Alors que les concerts sont interrompus jusqu’à nouvel ordre, le spectre de l’annulation pèse aussi sur les nombreux festivals d’été au Luxembourg. Le Quotidien s’est alors tourné vers les organisateurs, suspendus aujourd’hui aux décisions gouvernementales et à l’évolution de la crise sanitaire. Quand il n’est pas déjà trop tard.
Il y a eu d’abord le Like a Jazz Machine de Dudelange, qui a discrètement disparu des radars, puis le Out of the Crowd, suivi de près par la Nuit de la culture, déplacée elle en septembre. Tous devaient se dérouler entre fin avril et mi-mai. Depuis jeudi, on sait qu’un troisième rendez-vous eschois, le FlamencoFestival, ne se déroulera pas, en raison de cette crise sanitaire qui frappe de plein fouet le milieu culturel. Toutefois, d’autres festivals doivent suivre, dès juin prochain, frappés du sceau de l’incertitude, avec des organisateurs n’imaginant pas que l’été se passera sans musique. Le Quotidien les a interrogés, de Wiltz à Luxembourg en passant par Echternach. Confirmation, annulation ou report ? Voici un état des lieux.
FlamencoFestival Esch (2-16 mai) : «tout ira bien… quand ça arrêtera d’aller mal !»
Mercredi, Paca Rimbau Hernández n’avait pas le cœur à rire, et c’est étonnant. Cette figure incontournable et explosive du rendez-vous, qui devait fêter ses 15 ans d’existence début mai, a dû envoyer une lettre aux partenaires et publics précisant, la mort dans l’âme, que le FlamencoFestivalEsch n’aura pas lieu cette année. Hier, un communiqué général confirmait la décision. Elle se souvient des derniers jours épiques, qui en annonçait d’autres compliqués : «C’était rocambolesque! Il y a eu d’abord eu l’annulation de la soirée de lancement (NDLR : celui de Cristina Aguilera), prévu fin mars. Puis celle de l’exposition, dont les œuvres devaient venir de Séville.» Puis, maintenant, celle du festival en entier.
Enfin, non, parlons ici de report : «On remet l’édition en 2021, en essayant, dans la mesure du possible, de récupérer les artistes qui étaient prévus cette année, en dehors du spectacle d’ouverture, D. Quixote, que l’on ne pourra pas reprogrammer.» Elle poursuit : «Dans notre malheur, on a de la chance!», lâche-t-elle en référence à la «compréhension», au «positivisme» et à la «solidarité» des artistes vis-à-vis du festival, qu’ils retrouveront sûrement l’année prochaine. Et ce, malgré leur propre situation, franchement à plaindre : «Leur travail, leurs conditions de vie sont bouleversés, témoigne celle qui, avec le Círculo Machado, est régulièrement en contact avec l’Espagne. Imaginez : la biennale des Pays-Bas est annulée, comme les festivals flamencos de Düsseldorf, Milan, New York… C’est dur.»
Un climat toutefois tendu pour tout le monde, le FlamencoFestivalEsch devant s’attaquer dès lors aux conséquences de ce report : «Il y a toutes une série de frais qu’il faut gérer, des hôtels aux assurances en passant par les voyages.» Mais il en faut bien plus pour entamer son moral : «Tout ira bien… quand ça arrêtera d’aller mal!», lâche-t-elle dans un rire retrouvé, imaginant déjà des soirées en octobre à la Cinémathèque, et, pourquoi pas, même, un récital !
Francofolies (12-13-14 juin) : «ceux sont les artistes qui nous demandent si ce ne sera pas annulé…»
«Tout ce qui n’est pas interdit est autorisé.» Gérard Pont, le grand manitou de l’évènement célébrant la francophonie dans le monde, philosophe en attendant mieux. Il faut dire que les Francofolies, ce n’est pas seulement le rendez-vous phare de La Rochelle (10-14 juillet), mais également d’autres évènements «décentralisés», notamment à Spa (Belgique), Montréal (Canada), et même à La Réunion (à Saint-Pierre), où le festival s’est déroulé normalement début mars. Dans le lot, on trouve, bien sûr, la version «made in Luxembourg», avec celui d’Esch-sur-Alzette, chapeauté par Loïc Clairet, nouveau coordinateur général de l’évènement.
D’une voix tranquille, il évoque la situation : «Jusque-là, tout va bien. On avance toujours! On suit, bien sûr, l’actualité, les recommandations du gouvernement…» Malgré tout, pour l’instant, il met en avant son devoir de réserve : «Question faisabilité, il est trop tôt pour se prononcer.» Et si report il y a, ce sera pour 2021. Malgré tout, il reste confiant, notamment en raison du caractère propre à l’évènement : «C’est un festival francophone, et donc, au niveau du déplacement des artistes, c’est moins contraignant que de programmer des musiciens américains ou anglais. Surtout à l’heure actuelle.» Aucun de ceux à l’affiche cette année, en tout cas, ne sont «en délicatesse».
«Personne n’est indisponible ou repousse ses concerts. Au contraire, ce sont eux qui nous demandent si ce ne sera pas annulé…» Et là aussi, Loïc Clairet garde espoir : «On devrait y arriver», à une seule condition : «Que les choses se fassent dans la sécurité de tous!» Après une édition «test» bâclée en 2018, décidément, les Francofolies peinent à s’installer au pays. Mais pour le coup, ce ne sera pas de sa faute.
Fête de la Musique (17-21 juin) : «notre décision sera prise autour du 15 avril !»
Séverine Zimmer, coordinatrice de la fête de la Musique, est submergée d’appels, elle qui doit gérer le monstre tentaculaire que représente cet évènement, impliquant de nombreuses communes au pays. Dans un climat qu’elle admet «tendu», elle garde néanmoins la tête froide. Pour elle, d’abord, pas question de report : «Une fête de la Musique en septembre, franchement, je ne vois pas trop la logique, surtout au vu du calendrier de la rentrée, très chargé.»
En somme, déontologiquement, une manifestation, fêtée le 21 juin, et de surcroît à l’ancrage international, n’a pas de raison d’être reportée. Ensuite, avec le bureau exécutif de la fête de la Musique Luxembourg, elle réfléchit à des pistes secondaires, notamment passer par le numérique, au moins pour «soutenir les musiciens» sous une autre forme, eux qui sont durement impactés par la crise sanitaire. «On voit de bonnes choses se développer ces derniers jours au pays», reconnaît-elle. Une conversion sur le net, donc, qui fait débat en interne, imposant aux organisateurs «une certaine créativité.»
Séverine Zimmer explique : «Pour cet évènement, on parle de coordination nationale, à savoir que chaque commune est responsable de ses choix. Nous, on donne une direction à suivre, un cadre de réflexion, on suggère des thématiques, on lance différentes idées, mais on ne peut pas se substituer à leurs décisions», prenant au passage l’exemple de Niederanven, qui, pour la fête de la Musique, s’est fait une spécialité de se tourner essentiellement vers les petits et les familles.
Au sommet de la pyramide, la coordinatrice est sûre toutefois d’une chose : ils n’auront pas tout le printemps pour se décider : «Pour mettre sur pied un tel évènement, il faut du temps. Sinon, c’est impossible. À la coordination, on sait que chaque organisateur a besoin de deux mois pour mettre en place sa fête de la Musique.» Le calcul est donc vite fait : «Notre décision sera prise autour du 15 avril!»
Quid du Blues’n Jazz Rallye, du Rock um Knuedler et des autres réjouissances estivales du LCTO ? Joint depuis mercredi, au terme d’un véritable parcours du combattant pour glaner de rares informations, la réponse de la Ville de Luxembourg se fait toujours attendre, aussi bien auprès du service «espace public, fêtes et marchés», qu’après de celui en charge de la communication et des relations publiques.
Siren’s Call (27 juin) : «on va tout faire pour que ça se passe !»
Michel Welter a connu de meilleurs moments à l’Atelier, et c’est peu dire : «Cette crise, on la subit de plein fouet, lâche-t-il, ému. C’est une catastrophe! On n’a plus aucune activité culturelle jusqu’à début juin, et ce n’est pas fini. On puisse dans les réserves de la société, on fait des demandes de chômage partiel… La réalité du moment est difficile, et on ne peut franchement rien y faire.»
Du coup, le Siren’s Call, porté à bout de bras depuis trois ans (avec Neimënster, partenaire de l’aventure) et mis en avant comme le nouveau festival urbain à la mode au Luxembourg, apparait presque au second plan. «Un évènement à côté», souffle-il, un brin résigné, qui reste, malgré tout, un souci supplémentaire à gérer. «On va tout faire pour que ça se passe!», martèle-t-il, comme pour s’en convaincre, avouant au passage de pas avoir tous les leviers en main. «On est tributaire à la fois du ministère d’État, et des artistes.» Bref, l’homme à tout faire égraine les jours, et songe aux rares éventualités de report. «C’est compliqué. Ça reste un festival en plein air, et pas sûr que l’abbaye de Neumünster ait des disponibilités pour plus tard. Tout comme les autres salles (Melusina, De Gudde Wëllen).»
Sans oublier les musiciens même, qui cherchent eux aussi à rebondir. «Quand on voit que Glastonbury est annulé, et que Primavera est reporté, certains artistes vont suivre ces changements. Ils bougent avec! Du coup, on est bloqués…» Au pire, il évoque la possibilité de dispatcher les concerts, au cours de la saison prochaine, à l’Atelier ou à la Rockhal. Mais avouons-le, revoir encore une fois Foals en intérieur, ça n’a plus la même saveur.
Festival de Wiltz (27 juin-15 juillet) : «La culture passe après la santé !»
Alors que les remuants Gipsy Kings sont attendus pour la fin juin à Wiltz, sur place, on privilégie la raison et l’attente. Pas de publicité qui ferait tâche dans le climat ambiant, aux autres urgences, ni d’activité du côté de la billetterie… Bref, c’est le calme plat, comme témoigne Elvira Mittheis, véritable cheville ouvrière de l’organisation. «La situation, inédite, est complexe pour tout le monde, soutient-elle. On attend, on se tient prêts.»
Dans le Nord, c’est l’aspect sanitaire qui, apparemment, prime : «L’important, c’est de respecter les conditions de sécurité, les mises en garde, et d’affronter cette crise avec sérieux : la culture passe après la santé!», précise-t-elle avec justesse. D’ailleurs, au cœur de la ville, les habitants, qui fréquentent le festival, ne sont pas du genre à insister, eux aussi conscients du moment, et patients. «Les remarques sont amicales», commente-elle, évoquant au passage une belle «solidarité» entre concitoyens.
Reste que l’heure avance et que le festival, regroupant communes et associations, a besoin quand même de temps pour s’établir. «Entre partenaires, on s’appelle régulièrement pour en discuter», précise Elvira Mittheis. Cependant, question report ou annulation éventuels, le festival de Wiltz ne tient pas, aujourd’hui, à se prononcer, préférant, pour l’instant, croiser un maximum de doigts.
Congés annulés (24 juillet-21 août) : «c’est sûr, on retournera voir des concerts !»
Sur le site internet des Rotondes, le gros rendez-vous musical de l’année, les Congés annulés, s’est mis en retrait. Pas d’effets d’annonce, simplement un agenda bouleversé par des annulations en pagaille dont la dernière en date, Bambara et Holy Motors, n’est même pas encore annoncée. D’autres artistes, eux, profitent de réajustements de fortune, comme Pan American et Kai Schumacher, que l’on devrait justement retrouver en été, lors de cette célébration de la musique «alternative», avec DJ sets sur le parvis, apéros qui tirent en longueur, cinéma en plein air et franche bonne humeur.
Marc Hauser, programmateur des lieux, garde le moral, même si dans sa salle, «tout est tombé à l’eau» jusqu’à la mi-juin, avec des reprogrammations prévues, petit à petit, à la rentrée. Reste donc l’imposant morceau, ce festival, sur lequel il travaille un bonne partie de l’année. Malgré le Covid-19, en surface, tout «paraît normal», confie-t-il, en dehors, sûrement, du télétravail de l’équipe. «Rien n’a véritablement changé. Les artistes sont prêts, les gros festivals sont toujours programmés…»
Le circuit estival, en Europe, sur lequel «misent tous les groupes» ne serait-ce que pour les cachets «plus élevés» qu’en saison régulière, n’est, en somme, pas encore entamé. «Annuler ces festivals causerait des pertes considérables. Ce serait catastrophique!», poursuit-il, même si Glastonbury a déjà montré le contraire. Lui, en tout cas, ne l’imagine pas une seule seconde, peut-être en raison d’un «optimisme profond», concède-t-il. «On retournera bientôt voir des concerts! Je ne peux pas l’imaginer autrement.» D’ailleurs, pour les Congés annulés, son mentor songe à prolonger, si possible, les plaisirs de «quelques jours». Histoire, peut-être, de garnir son filet de quelques musiciens à l’affiche du fameux Primavera de Barcelone, décalé à la fin août. Comme quoi, l’embarras des uns peut faire le bonheur d’autres.
e-Lake (7-8-9 août) : «Ou ça se joue en temps et en heure, ou ça ne se fera pas !»
Frank Rippinger est un homme demandé… Il vient en effet tout juste de raccrocher avec un partenaire technique du festival, et, juste dans la foulée, avec l’un de ses principaux sponsors. «Vous vous être donné le mot ou quoi ?», plaisante-t-il. Au moins, ça confirme une certitude : nombreuses sont les personnes qui comptent avec le e-Lac qui doit, de surcroît cette année, fêter ses 25 ans d’existence.
Oui, si il le savait, il répondrait à toutes ses interrogations, mais voilà : «Comme beaucoup de monde, on avance dans le brouillard. Et personne n’a de boule de cristal.» Malgré cette avancée à tâtons – à l’aveugle même! – il ne passe pas par quatre chemins pour parler de son festival, qui, certes, arrive en queue de peloton. «C’est simple, ce sera soit A, soit B! Ou ça se joue en temps et en heure, ou ça ne se fera pas!», explique-t-il. Suivant «un optimisme élevé», pour lui, à l’état des choses, il y aura bien des concerts au lac d’Echternach cet été. Il se donne toutefois, avec son équipe, le temps à la réflexion. Objectif : en savoir plus début mai, pour prendre une juste décision, «au moment où les écoles sont censées rouvrir». «Ce sera alors un premier pas vers une normalité. Quand la vie sociale et culturelle sera de nouveau sur pied, on y verra plus clair. J’espère…»
Et si «les autorisations sont limitées et que la situation est toujours risquée pour le public», il donnera rendez-vous en 2021. D’ailleurs, les groupes semblent être déjà d’accord pour décaler leur prestation d’une année, et ce, sans frais supplémentaire pour l’organisation. Sans oublier d’autres considérations, que maîtrise Frank Rippinger. «N’oublions pas que nos sponsors vivent aussi une situation complexe. Et s’ils doivent rogner sur leur budget, on risque d’en pâtir.» Qu’importe, «on a des réserves, et plutôt que de forcer le geste, on verra tranquillement ça pour l’année prochaine». Et quid d’une édition spéciale «indoor»? «Même pas en rêve!»
Grégory Cimatti