Des manifestants se sont rassemblés mardi devant l’hôtel Parc Belair, à Luxembourg, où les actionnaires de Socfin tenaient leur AG annuelle, pour protester contre les opérations qualifiées de «greenwashing» du groupe.
Bruits de casseroles et slogans scandés au porte-voix : l’accueil réservé mardi matin aux actionnaires de la Socfin, devant l’hôtel Parc Belair à Luxembourg, a été visiblement intimidant. Malgré le tapis rouge déroulé devant l’entrée, tous se sont faufilés en catimini au sein de l’établissement, où se tenait l’assemblée générale de l’entreprise, dont le siège social est au Grand-Duché, refusant de prendre les tracts tendus par les manifestants.
La douzaine de membres d’organisations de la société civile présente, dans une ambiance un peu bruyante, mais bon enfant, tenait à dénoncer les pratiques d’autorégulation du groupe, qualifiées de «greenwashing» et de «socialwashing».
L’entreprise spécialisée dans la production d’huile de palme et de caoutchouc a publié en 2017 une charte intitulée «politique de gestion responsable», mais «celle-ci n’a pas d’effectivité sur le terrain : les conflits fonciers, sociaux et environnementaux ne sont pas résolus», dénonce Léa Papinutti, de ReAct Transnational, une association qui lutte contre les injustices sociales et environnementales liées aux entreprises multinationales.
Un groupe régulièrement pointé du doigt par l’OCDE
Pis, Socfin «utilise les failles dans les mécanismes internationaux pour certifier ses productions : elle peut par exemple écarter des zones de plantation non conformes aux critères de la certification afin d’obtenir une certification plus rapide et accommodante».
Les organisations mobilisées accusent en outre Socfin d’imposer unilatéralement des «vérifications» face aux doléances locales, sans aucune garantie de critères impartiaux, d’autant que Socfin participe seulement aux mécanismes de vérification qu’elle contrôle! «Ce n’est que du greenwashing!», répètent les militants.
Socfin, fruit du rachat d’entreprises coloniales, est un groupe agro-industriel présent dans dix pays d’Afrique et d’Asie et détenu à près de 39 % par le groupe Bolloré et à 54 % par l’homme d’affaires belge Hubert Fabri.
Le groupe est régulièrement pointé du doigt pour ne pas respecter les principes directeurs de l’OCDE en matière de droit du travail (le travail des enfants par exemple) et d’environnement. Accaparement des terres, privation des moyens de subsistance, répression et criminalisation des populations locales qui osent s’opposer font également partie des faits reprochés à la société.
C’est notamment le cas au Cameroun, du côté de la SOCAPALM d’Edéa, dans l’est du pays. Quelque 80 femmes riveraines de la SOCOPALM, réunies en association et ayant épuisé tous les recours face à une entreprise «qui n’écoute pas et fait ce qu’elle veut», comme le résume Léa Papinutti, ont écrit une lettre au président Paul Biya pour dénoncer l’impossibilité de «vivre dignement dans les terres de (leurs) ancêtres».
Accaparement des terres
La palmeraie, dont l’accès leur est strictement interdit sous peine de répression violente, a remplacé les forêts, les a privées de leurs terres et de leurs ressources.
Elles ne peuvent plus cultiver, ne disposent plus de zones de chasse, n’ont plus de fruits à cueillir. Elles font état de pollution des cours d’eau et de déchets déversés près de leurs habitations. Des propos qu’auraient pu tenir, ou ont déjà tenu, des communautés en Sierra Leone, en Côte d’Ivoire, au Liberia, au Nigeria, au Cambodge…
Cette lettre, deux militantes, qui détiennent à dessein des actions Socfin, ont pu en partie la lire mardi au cours de l’AG, avant d’être conduites vers la sortie.
«Nous avons aussi pu relayer auprès des actionnaires les questions des communautés locales, auxquelles ils n’ont pas répondu. Ils ont une distance vis-à-vis de la réalité aberrante. Ils croient véritablement faire de l’aide humanitaire», témoigne Florence Kroff, de FIAN Belgium, ONG qui lutte pour le droit à l’alimentation et à la nutrition.
Dix ans après la première journée d’action globale menée pour dénoncer les abus toujours en cours de la Socfin, force est de constater que les militants ne baissent pas les bras. «Les avancées sont minimes», reconnaît Léa Papinutti.
«Mais il y a toujours l’espoir de faire bouger les choses, notamment en termes de régulation nationale ou internationale : en France, une loi sur le devoir de vigilance est passée et l’UE travaille sur une directive européenne. Nos actions permettent d’ailleurs de rappeler que ces régulations sont nécessaires, puisqu’on ne peut pas compter sur les actionnaires, et sont l’occasion de remonter la parole des gens dans les plantations. C’est aussi une manière de montrer aux actionnaires que la révolte, dix ans plus tard, est toujours forte.»
Aucun actionnaire n’a répondu aux nombreuses demandes de discussion des manifestants et les journalistes sur place n’ont pas été autorisés à pénétrer dans l’établissement.
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