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Luxembourg : ces Russes qui se mobilisent pour l’Ukraine


Sergey Terentyev espère parvenir à son échelle à renouer des liens entre les différentes communautés russophones du pays. (Photo : alain rischard)

Les Russes du Luxembourg continuent de se mobiliser en faveur des réfugiés russophones impactés par la guerre en Ukraine.

Depuis sa création peu de temps après le début de la guerre en Ukraine, l’ASBL RUHelp – Russians against the war (les Russes contre la guerre) œuvre à rassembler les Russes du Luxembourg opposés à l’intervention militaire de Poutine en Ukraine et décidés à venir en aide aux réfugiés russophones.

Collecte de fonds et actions caritatives au bénéfice d’associations similaires, financement d’une bibliothèque pour les enfants ukrainiens, organisation d’évènements en marge du réseau officiel, comme l’invitation récente du cinéaste dissident Antonin Dolin, participation aux frais médicaux des réfugiés et aides ponctuelles à des demandes personnelles… RUHelp va en outre prochainement lancer des campagnes pour obtenir de la nourriture pour bébé, aider les animaux des réfugiés et mettre en place des cours informatiques.

« C’est l’armée russe qui tue des gens, et cela doit cesser ! »

Les membres de l’ASBL tentent ainsi de montrer que tous les Russes ne sont pas des soutiens indéfectibles de Poutine, bien au contraire. Une prise de position qui, si elle est soutenue par une majorité de résidents au Luxembourg, suscite parfois l’incompréhension, voire le mépris ou la colère de certains, qu’ils soient russes ou non.

«L’attitude de certaines personnes est quelquefois incompréhensible. Sur les réseaux ou lorsque nous organisons des piquets de manifestation, on nous rétorque par exemple que l’Ukraine est un pays corrompu. Peut-être que l’Ukraine n’est pas un pays idéal, mais c’est l’armée russe qui tue des gens, et cela doit cesser !», dénonce avec ferveur l’un des cofondateurs de RUHelp, Sergey Terentyev.

D’évidence, les relations ne sont pas toujours faciles non plus avec les Ukrainiens. «Certains ont un sentiment très négatif vis-à-vis de la Russie et vont jusqu’à renier le russe, qui peut être leur langue maternelle. La guerre a distendu les relations.

Mais si la Russie compte 140 millions d’habitants, les russophones sont deux fois plus nombreux à travers le monde, et ni Poutine ni la Russie n’ont le monopole de la langue russe», dénonce Sergey Terentyev, qui espère parvenir à son échelle à renouer des liens entre les différentes communautés. Les russophones (Russes, Ukrainiens, Biélorusses, etc.) sont environ 5 000 individus sur le territoire luxembourgeois.

Pas de menaces au Luxembourg

Quand aider les Ukrainiens est considéré comme un acte de trahison en Russie et le simple fait de décrire l’invasion russe de «guerre» (et a fortiori la critiquer) peut conduire à 15 ans de prison, les membres actifs de RUHelp sont-ils en danger, ici ou là-bas ?

«Ici, les gens ont trop d’illusions sur la Russie : l’armée russe était perçue comme très puissante, Poutine comme l’homme qui gère le pays, etc. Ce n’est pas vrai. Il n’y a pas d’armée forte – maintenant tout le monde le sait – et il n’y a pas de régime qui contrôle tout. Tout est tellement corrompu et mal organisé que ce serait vraiment la faute à pas de chance de se faire attraper en Russie. Quant aux gens sur place au Luxembourg, ce ne sont que de simples employés. Peut-être même pensent-ils comme nous en leur for intérieur», glisse Sergey Terentyev, qui n’a pour sa part plus mis un pied dans son pays natal depuis 2014, à la suite de l’invasion de la Crimée.

Venu au Luxembourg pour des raisons professionnelles, il a en effet refusé d’y retourner pour des raisons politiques, quand bien même cela signifiait perdre son statut social, lui qui occupait des fonctions importantes en Russie. «La guerre en Géorgie, le jeu entre Medvedev et Poutine, puis la Crimée… C’était honteux et insupportable.»

Hypocrisie des grandes puissances

Aussi, Sergey Terentyev est bien placé pour comprendre les hommes russes qui quittent leur pays pour échapper à la mobilisation et fustige les critiques laissant entendre que ces hommes devraient se révolter plutôt que de fuir.

«Des milliers de manifestants sont envoyés en prison et torturés par la police. Il y a beaucoup de citoyens russes qui risquent leur vie, il y a une résistance du peuple. Mais tout le monde est systématiquement vent debout contre les Russes. Les pays l’ont-ils autant été à vis-à-vis des Allemands quand Hitler est arrivé au pouvoir ? Je ne crois pas.»

Sergey Terentyev insiste sur l’hypocrisie des grandes puissances : «C’est inadmissible de les entendre exiger des Russes qu’ils se soulèvent contre le pouvoir : ce n’est pas le peuple russe qui a alimenté la corruption des élites. Et ce sont des pays comme la France ou l’Allemagne par exemple qui ont fourni des systèmes de surveillance du peuple russe ou des composants de missiles, et ce, même après l’invasion de la Crimée. Sans oublier que tant qu’on achète du gaz, on donne au pouvoir l’argent pour financer la guerre !»

Le cofondateur de RUHelp ne s’attend en tout cas pas à voir arriver des Russes en masse au Luxembourg. Comme au début de la guerre, les réfugiés se dirigent plutôt vers les pays voisins de la Russie ou vers la Turquie, où il n’y a pas besoin de visa.

Au Luxembourg, il s’agira plutôt de regroupements familiaux, à l’instar du fils de l’un des organisateurs de RUHelp, âgé de 21 ans, donc mobilisable, qui a réussi à quitter Moscou il y a deux semaines et se trouve désormais au Kazakhstan. Sa situation est encore instable, mais il devrait parvenir à retrouver son père, résident luxembourgeois.

https://www.ruhelp.org/

Des difficultés à se faire soigner

Théoriquement, la CNS prend en charge les frais médicaux des réfugiés ukrainiens. Si l’initiative est louable, elle ne permet toutefois pas toujours aux malades de se faire soigner, comme en témoigne Sergey Terentyev, très remonté à ce sujet.

«Comme les délais de remboursement de la CNS sont parfois longs – trois à quatre mois – certains médecins refusent purement et simplement de prendre en charge ces patients! Ou alors ils les prennent une fois en consultation, et exigent d’être payés immédiatement et en espèces les fois suivantes. Comment les réfugiés peuvent-ils payer certains actes avec seulement 300 euros par mois pour vivre ? C’est une honte. Il arrive donc que RUHelp paie ces consultations afin que les patients puissent quand même être soignés.»