Notre système de santé laisse passer un nombre croissant de malades entre les mailles du filet, déplore Médecins du monde, qui plaide pour une couverture maladie universelle (CMU).
Le Luxembourg peut, d’ordinaire, se vanter d’un modèle social pour le moins généreux. Mais il est un domaine qui fait exception : l’accès à la santé pour tous. Qui sait, par exemple, que le Luxembourg fait partie de la petite poignée de pays européens qui privent les plus démunis d’un simple rendez-vous chez le médecin généraliste?
En effet, la France, la Belgique, la Suède et le Luxembourg sont les seuls pays à exiger que les patients avancent le paiement d’une consultation chez le généraliste (si le coût de celle-ci est inférieur à 90 euros).
Dans les autres pays européens, les Caisses d’assurance maladie publiques, nationales ou locales prennent en charge des frais médicaux basiques. Or, au Luxembourg, certaines personnes ne peuvent tout simplement pas avancer la quarantaine d’euros d’une consultation chez le médecin, explique Sylvie Martin, chargée de direction chez Médecins du monde : «On est la seule ressource pour des personnes qui sont dans la rue et qui n’ont pas d’accès aux soins.»
En effet, «nos patients sont souvent des personnes qui n’ont pas de résidence officielle au Luxembourg et qui, du coup, ne peuvent pas prétendre à la carte de la CNS (NDLR : Caisse nationale de santé)» ni à d’autres aides sociales qui permettraient de pallier leurs problèmes financiers, mais qui sont liées à l’existence d’un lieu de résidence. Leurs patients sont aussi des personnes qui ont accès à la CNS, mais qui, «pour des raisons financières, ne peuvent pas avancer les frais médicaux».
1 500 personnes au Luxembourg
Depuis trois ans, Médecins du monde offre des soins gratuits aux plus démunis, dans ses Centres médicaux de Bonnevoie à Luxembourg et à Esch-sur-Alzette. «En 2017, nos équipes bénévoles ont offert 2 144 consultations et 784 personnes ont reçu des soins.» Mais l’association estime à 1 500 le nombre de personnes vivant sans accès aux soins au Luxembourg.
La plupart vivent dans la rue (42 %), chez des proches ou dans des associations (43 %), et n’ont pas ou peu de revenus. Ce sont souvent des personnes non originaires de l’UE, mais on compte tout de même 6 % de Luxembourgeois. Et surtout, «75 % n’ont aucune prise en charge de leurs soins de santé. Et seulement 11 % bénéficient de la couverture de la CNS».
Du temporaire appelé à durer?
Pour les aider, Médecins du monde peut compter sur une centaine de bénévoles, issus du milieu médical (médecins, pharmaciens, psychologues, infirmières…), mais aussi de simples citoyens (qui assurent par exemple des services de traduction.) Des associations offrent également des lunettes, des prothèses dentaires… Une chaîne de solidarité qui permet à ces malades de traiter des problèmes de santé classiques ou des maladies chroniques souvent liées à leur précarité.
Médecins du monde aimerait que ce service de soins gratuit ne soit que «temporaire», avant que les pouvoirs politiques ne s’emparent de cette problématique… Mais pour l’instant, ils ne peuvent que constater l’augmentation constante de leur nombre de bénéficiaires.
Romain Van Dyck.
Couverture universelle : un tabou politique
« Il faut qu’une Couverture Maladie Universelle (CMU) soit installée assez rapidement au Luxembourg», plaide Jean Bottu, président de Médecins du monde. «Car il est quand même assez étonnant qu’au Luxembourg, on n’ait pas les moyens d’offrir des soins à chaque personne.» Mais plus que financière, la question est surtout politique. Dans beaucoup de pays, la CMU est agitée comme un épouvantail, pour son supposé effet d’appel d’air : elle favoriserait l’immigration médicale. Jean Bottu n’y croit pas une seconde : «Seuls 3 % de nos patients déclarent avoir quitté leur pays pour des raisons médicales. Donc les soins de santé gratuits ne sont pas un mobile de migration, comme souvent on l’agite dans le milieu politique.»
Et de rappeler d’ailleurs que «soigner une maladie coûte plus cher que de la prévenir» : en laissant sans soins les plus démunis, on augmenterait ainsi les coûts mais aussi les risques sanitaires.
Une question politique qui mériterait d’être posée sur la table, mais qui paraît sulfureuse en cette époque pré-électorale… Jean Bottu laisse pourtant entendre que certains partis politiques commenceraient à s’emparer du sujet : «J’entends des discours bienveillants, et j’ai bon espoir.» À quand un débat sur la CMU au Luxembourg?