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Lutte antitabac : l’hypocrisie luxembourgeoise


Si les 18-34 ans sont les plus nombreux à fumer, toutes les tranches d'âge sont touchées par l'augmentation du tabagisme. (photo Adobe Stock)

Alors qu’un millier de personnes décèdent du tabagisme chaque année au Luxembourg et que le nombre de fumeurs a encore augmenté en 2021, le gouvernement rechigne à s’attaquer au problème, alors que le marché du tabac lui rapporte gros.

À l’occasion de la Journée mondiale sans tabac ce 31 mai, la Fondation Cancer publie les résultats jugés «alarmants» de son étude annuelle menée par TNS Ilres : alors qu’en 2020, le Luxembourg comptait 88 000 fumeurs quotidiens, ils sont désormais plus de 100 000, soit 19 % de la population, un taux qui ne cesse d’augmenter depuis 2009.

En incluant les fumeurs occasionnels, c’est plus d’un quart des résidents (28 %) qui s’allume régulièrement une cigarette, une part qui a bondi de 7 points en cinq ans, et que le pays n’avait plus connu depuis 2004. Et si c’est parmi les jeunes de 18 à 34 ans qu’on retrouve la plus importante part de fumeurs avec 37 %, la hausse s’observe dans absolument toutes les tranches d’âge : 18-24 ans (+4 %), 25-34 ans (+2 %), 35-44 ans (+7 %), 45-54 ans (+3 %), 54-65 ans (+2 %).

De quoi inquiéter Lucienne Thommes, la directrice de la Fondation Cancer : «On espérait que le pic de 2019 se résorberait, mais la tendance a perduré au contraire, avec une augmentation fulgurante du taux de fumeurs en trois ans», déplore-t-elle, rappelant que tous les pays ont constaté une explosion de la consommation de tabac et d’alcool durant la crise sanitaire. Malheureusement, les statistiques sont implacables : «Nous savons que la moitié des fumeurs actuels vont mourir prématurément d’une maladie liée au tabac.»

Même chose pour la chicha – perçue comme moins nocive que la cigarette et consommée désormais par plus d’un adolescent sur trois – qui voit ses adeptes augmenter de 5 points chez les 16-24 ans, de 4 points chez les 25-34 ans et de 10 points chez les 35-44 ans. «Les parents ont tendance à l’autoriser plus facilement, alors que ces produits contiennent de la nicotine et provoquent aussi la dépendance», note-t-elle.

Pour autant, le Luxembourg ne semble pas décidé à s’attaquer frontalement à ce problème de santé publique. Il fait même partie des trois plus mauvais élèves, parmi 36 pays d’Europe passés au crible en matière de politique contre le tabagisme : «On figure tout en bas du tableau, avec la Suisse et l’Allemagne, qui ont agi depuis, donc je crains qu’on arrive bientôt dernier», soupire la directrice.

Le plan national accumule du retard

Un manque de volonté politique qui n’a rien d’étonnant, vu le poids économique que représente le marché du tabac pour le Luxembourg (lire ci-dessous).

Ainsi, sur les 52 actions figurant au Plan national antitabac dressé pour la période 2016-2020, seules une trentaine ont été réalisées, et pas toujours de manière optimale – la hotline gratuite au 80 02 67 67 connaît par exemple de nombreux couacs, selon la Fondation Cancer, qui souligne la difficulté de concrétiser des mesures qui semblent bonnes, sur le papier.

Quant à la nouvelle loi de 2017, qui a interdit la publicité pour les produits tabagiques (hormis sur le lieu de vente) ou le fait de fumer dans les aires de jeux pour enfants, elle n’a pas permis, elle non plus, de réduire le nombre de fumeurs. Lucienne Thommes estime, là encore, que davantage aurait pu être fait, à commencer par l’augmentation significative du prix du tabac, l’instauration du paquet neutre comme c’est le cas en France, ou encore l’interdiction totale de la publicité, y compris dans les supermarchés et stations-services.

Des mesures urgentes pour la Fondation Cancer, tout comme des campagnes de prévention efficaces, la réduction de la disponibilité des produits du tabac, ou encore la promotion de l’arrêt de la cigarette, via un accompagnement. Ce qui répondrait à une attente bien réelle des fumeurs puisque plus de la moitié (56 %) d’entre eux déclarent vouloir en finir pour de bon avec cette addiction.

«Ce qui manque, c’est une augmentation des prix»

Pour la Fondation Cancer, la mesure phare qui pourrait réellement avoir un impact sur la consommation de tabac au Luxembourg ne figure ni dans le Plan national antitabac, ni dans la loi de 2017 : «Ce qui manque, c’est une augmentation conséquente des prix», tranche Lucienne Thommes. «Selon l’OMS, c’est ce qu’il y a de plus efficace pour contrer le tabagisme chez les jeunes, et faire baisser le nombre de fumeurs.»

Il faut dire qu’avec un prix du paquet à 5,40 euros, contre 6 euros en Allemagne, 7,75 euros en Belgique et plus de 10 euros en France, le Grand-Duché reste le fournisseur privilégié des fumeurs de la Grande Région, assurant des rentrées astronomiques dans les caisses de l’État : en 2021, la vente de produits du tabac a ainsi permis d’engranger 752 millions d’euros, un chiffre en constante augmentation depuis cinq ans.

Et c’est bien ce pactole qui empêche le gouvernement de franchir le cap, selon la directrice : «En France, la Cour des comptes a établi en 2017 que le tabac coûtait beaucoup plus cher à la collectivité qu’il ne lui rapporte. Les prix ont été augmentés et le nombre de fumeurs a baissé d’un million. Le Luxembourg, lui, est toujours très bénéficiaire : c’est là le cœur du problème.»

Elle souligne encore qu’en prenant en compte le niveau de vie des Luxembourgeois, le prix du paquet est dérisoire et ne constitue en rien un frein pour les jeunes : «C’est trop accessible», juge-t-elle, insistant une nouvelle fois sur la nécessité d’instaurer un prix prohibitif.

Un commentaire

  1. Patrick Hurst

    Je ne suis franchement pas fumeur… mais je trouve qu’on exagère un peu avec toutes ces campagnes anti-…: D’abord, c’est le tabac, puis l’alcool, puis le sucre, puis la viande, puis les jeux vidéos… les gens sont-ils encore considérés comme matures? Devrons-nous vivre comme les moines pour ne coûter aucun sou à l’économie? Et je constate que faute d’arguments, c’est toute la planète qui y passe!