Le paysagiste alsacien Luc Meinrad a imaginé pour la LUGA un jardin inspiré d’un éboulement rocheux, au cœur du Pfaffenthal. Ou comment regarder autrement les friches.
Pouvez-vous nous décrire le jardin « Après l’effondrement« que vous avez conçu pour la LUGA ?
Luc Meinrad : C’est un jardin qui prend place au pied d’une falaise, dans le quartier du Pfaffenthal, juste en dessous de l’église Saint-Mathieu. Les lieux m’ont immédiatement inspiré : j’ai imaginé un jardin né d’un effondrement, organisé autour d’un cratère formé par un éboulement rocheux. C’est une façon de rendre visible (NDLR : le thème de l’exposition est « Rendre visible l’invisible ») le mouvement constant des falaises, qui sont d’ailleurs surveillées de très près au Luxembourg.
Vous avez voulu représenter un paysage désolé ?
L’éboulement génère un paysage chaotique qu’on associe aux friches. Mais les friches sont justement des espaces d’une grande richesse, à la fois esthétique et écologique. J’ai voulu scénographier une recolonisation végétale, à travers un jardin qui semble s’être développé sur un terrain brutalisé. Parce que les friches, on en voit beaucoup, mais on les regarde à peine.
L’idée vous est venue dès la première visite du site ?
Oui, quand j’ai répondu à l’appel à projets de la LUGA, c’était la première fois que je venais au Luxembourg, et j’ai été frappé par l’omniprésence des falaises dans la ville.
Quel est l’aménagement exact du lieu ?
Le jardin s’organise autour d’un espace circulaire, qui figure l’épicentre de l’éboulement. Nous avons utilisé des blocs de grès issus d’une carrière proche, pour rester fidèles à la roche locale. Autour de ce cœur minéral, on trouve des éléments naturels comme du bois brûlé, des broussailles, de la matière organique — tout ce qu’un éboulement pourrait charrier. Cette composition crée des contrastes de texture et de couleurs. Mais c’est aussi un lieu hospitalier, propice à l’apparition de la végétation et à l’installation de la petite faune — reptiles, lézards et autres espèces… Les visiteurs vont pouvoir s’installer et observer ce qui se passe au sein du jardin en termes de recolonisations végétale et animale.
Le jardin est donc pensé comme un lieu vivant ?
Absolument. C’est un espace qui va évoluer tout au long du festival. Il y a beaucoup de plantes grimpantes, de végétation spontanée. Ce jardin, il faudra y revenir plusieurs fois, car il ne cessera de se transformer. C’est aussi une manière de dire que la vie reprend toujours ses droits, même après un traumatisme.
Vous avez tenu compte de l’exposition du site ?
Bien sûr. Le jardin est orienté est-ouest, avec de l’ombre le matin et du soleil l’après-midi. La palette végétale a été pensée en fonction de cette lumière changeante, avec des plantes de mi-ombre en fond de parcelle, et d’autres faites plus pour le soleil à l’ouest. Le sol est assez argileux, donc il retient bien l’eau — une autre contrainte prise en compte dans le choix des espèces.
Le chantier est en cours. Comment cela se passe-t-il ?
Très bien. On a eu deux mois pour produire les esquisses et une fois que le jury a eu validé sur le principe le projet, on est rentré dans les plans et les coupes de détail. Après une nouvelle validation, on a sélectionné les entreprises luxembourgeoises qui allaient réaliser les jardins à partir de nos plans. Depuis, nous assurons un suivi régulier, avec des réunions de chantier.
Ce jardin éphémère pourrait-il devenir pérenne ?
La LUGA est un festival de jardins temporaires. Mais personnellement, je suis persuadé qu’il serait dans sa plus belle expression la deuxième année. Il a été conçu pour évoluer, pas pour s’arrêter à six mois de vie.
Quel message souhaitez-vous transmettre aux visiteurs ?
C’est une invitation à poser un autre regard sur les friches urbaines, qu’on a tendance à négliger. Le jardin pose aussi une question : comment intervenir de manière subtile dans ces lieux? Quelle est la place du paysagiste dans un monde où la nature sait très bien reprendre ses droits?