« C’est paisible, on ne s’imagine pas l’enfer que c’était »: confiné, le directeur de l’Ossuaire de Douaumont (Meuse) Olivier Gérard s’improvise homme à tout faire pour entretenir seul un site déserté, qui abrite les ossements de 130.000 soldats de la Première Guerre mondiale.
L’ossuaire, géré par une fondation privée depuis 1919, accueille 350.000 à 400.000 visiteurs par an, 1.200 à 1.800 personnes par jour pendant les vacances de Pâques. En contrebas, 15.000 croix blanches composent la nécropole, propriété de l’Etat. L’entretien a été suspendu avec le confinement. A l’ossuaire, les 7 à 12 employés, selon la période, sont désormais au chômage partiel. Gérard, qui habite avec sa femme, Elisa, 39 ans, et leurs deux garçons de 10 et 12 ans, à 400 mètres de l’imposant monument, s’est donc retrouvé tout seul pour entretenir les lieux.
Outre les ossements de 130.000 soldats dans l’ossuaire et les 15.000 tombes renfermant 16.142 corps, les cadavres d’environ 80.000 portés disparus sont dispersés dans la forêt domaniale alentour, rappelle-t-il. « C’est paisible, on ne s’imagine pas l’enfer que c’était », murmure-t-il, rappelant que « des millions d’obus sont tombés pendant 300 jours ». Près de 300.000 soldats sont morts pendant la bataille de Verdun, qui s’est étirée de février à décembre 1916. « La mort est présente partout… mais la vie prend toujours le dessus. On entend plus les oiseaux ! C’est silencieux d’habitude, parce que c’est un lieu de recueillement, mais il y avait toujours un bus ou une voiture. Là, rien! C’est très prenant », souligne le directeur, moustache noire en guidon, barbe fournie et crâne rasé sous une casquette.
« Passionné d’histoire et des conflits mondiaux »
Le silence est à peine troublé par les détonations de militaires qui s’entraînent sur un champ de tir à proximité et les tronçonneuses des bûcherons. Ou la tondeuse à gazon que manoeuvre Sven, 12 ans, devant l’entrée de la boutique. Le garçon est mis à contribution avec sa mère et son frère pour arracher les mauvaises herbes ou tondre. Quelques carrés d’herbe plus loin, le directeur, vêtu d’un bermuda et d’un polo noir, juché sur un tracteur tondeuse, veut en finir avec les herbes folles d’une pelouse.
En temps normal, Olivier Gérard, « passionné d’histoire et des conflits mondiaux », s’occupe de l’administratif, du personnel et de la promotion du site, en lien avec le conseil d’administration. Depuis le confinement, il surveille la pousse effrénée du gazon sur huit hectares, passe l’aspirateur, enlève les toiles d’araignées et… traque les punaises. « L’hiver n’a pas été assez froid pour les tuer et elles se sont beaucoup reproduites », soupire-t-il en chassant de la main une bestiole près de sa tête.
100e anniversaire du choix du Soldat inconnu
Souvent, il s’assoit près des tombeaux, dans le cloître long de 137 m, plongé dans une lumière rouge-sang grâce aux vitraux, balayant du regard quelques-uns des 4.000 noms gravés de soldats français ou allemands. « J’ai un moment privilégié avec tous ces hommes qui reposent ici. Je peux m’imaginer les veuves et les orphelins qui sont venus se recueillir », glisse-t-il. Au pied d’une statue d’un Poilu à l’entrée du cloître, des fleurs, déposées avant le confinement, rappellent qu’en temps normal les cérémonies et les messes rythment les semaines, que le devoir de mémoire est incessant.
« Cette année, c’était le 100e anniversaire du choix du Soldat inconnu », qui repose dans une tombe sous l’Arc de triomphe à Paris. « A Pâques il y a une cérémonie pour la Crête des Eparges (lieu d’intenses combats en 1915, NDLR) et en juin la commémoration de la bataille de Verdun. Tout a été annulé », se désole Gérard. Dans la chapelle, aux lumières éteintes, quelques cierges se consument. « Des personnes m’ont téléphoné pour me demander de brûler un cierge pour elles », explique le directeur. Veiller sur le site et ses morts est « plus qu’un métier, c’est un engagement ». Alors peu importe qu’il doive s’improviser homme à tout faire, il a le sentiment « d’accomplir (son) devoir ».
LQ / AFP