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Logements : une spéculation qui coûte cher


Des logements en VEFA sortiront bientôt de terre. (Photo : archives Editpress/Alain Rischard)

L’Autorité de la concurrence a dévoilé les résultats de son enquête dans le secteur de l’immobilier résidentiel. Elle pointe du doigt la promotion immobilière.

Un rapport qui donne le vertige. L’Autorité de la concurrence s’est «autosaisie» d’une enquête dans le secteur de l’immobilier résidentiel au Grand-Duché. L’enquête s’est concentrée sur l’analyse du métier de promoteur immobilier, au cœur de la chaîne de valeur de création de logements et de ses interconnexions avec d’autres intervenants de la chaîne. Elle vient de dévoiler son rapport alors que le logement et le secteur de la construction sont en crise. Le 1er semestre de l’année 2023 a été marqué par une baisse des prix de vente annoncés des logements. En parallèle, les demandes d’autorisation de bâtir sont en fort recul depuis 2022 (-23 % par rapport à 2021), de même que le nombre de mètres carrés autorisés à construire (‑27,5 %). Sans compter les taux d’intérêt qui s’envolent et des terrains de plus en plus rares et chers.

Au centre du secteur, précise l’Autorité de la concurrence, se trouve le promoteur immobilier qui compte 1 105 entreprises et dégage 2,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Il est au cœur de la mobilisation de terrains et de la création de logements, précise l’institution.

Dans son enquête, entre 2010 et 2020, l’Autorité de la concurrence explique que dans le secteur de la promotion immobilière, le chiffre d’affaires a été multiplié par 2,7 et l’excédent brut d’exploitation par presque 8 tandis que le nombre d’entreprises est 1,6 fois plus élevé qu’il y a 10 ans. «Comme l’évolution des logements construits a été très faible durant la même période, ceci signifie que, d’année en année, l’activité de promoteur immobilier est devenue de plus en plus rentable malgré l’entrée importante de nouvelles entreprises», précise l’Autorité de la concurrence.

Lors de cette enquête, 16 entreprises sur 32 interrogées ont bien voulu répondre aux demandes de l’Autorité. Cette dernière a noté que la grande majorité de ces promoteurs (14 sur 16, soit 87 %) appartiennent à un groupe. Le nombre de sociétés contrôlées par chaque groupe est très variable. Il peut aller de 3 à 110 sociétés contrôlées, avec une moyenne s’établissant à 30 sociétés contrôlées. Même constat pour les sociétés dans lesquelles les promoteurs ont des participations minoritaires (9 sur 16, soit 56 %) : les chiffres oscillent entre 1 et 28, avec une moyenne calculée de 11 sociétés. Au sein de ces groupes, on constate que les entreprises contrôlées ou dans lesquelles les promoteurs ont une part minoritaire sont actives à différents niveaux de la chaîne de valeur (intégration verticale : entreprises de construction, agences immobilières, etc.).

Ces promoteurs détiennent également des parts dans d’autres entreprises de promotion immobilière. Au sein de l’échantillon de l’Autorité, 16 sociétés possèdent ou exercent une influence sur plus de 400 sociétés de promotion immobilière, au Luxembourg ou à l’étranger ! Oui, de quoi donner le tournis. Et l’Autorité de la concurrence ajoute aussi qu’il est également courant de voir les promoteurs s’associer momentanément pour des projets. De telles formes d’associations entre promoteurs peuvent donner lieu à des échanges d’informations menant à des effets restrictifs sur le jeu de la concurrence. L’Autorité a appelé les parties prenantes concernées à demeurer attentives au respect des règles de concurrence applicables.

Pression sur les salaires

L’Autorité de la concurrence rappelle que les sociétés privées détenaient 817 hectares en 2022 de foncier constructible pour l’habitat, soit 19 % de la surface totale. Afin d’apprécier le degré de concentration de la détention de terrains constructibles pour l’habitat parmi les sociétés privées, l’Observatoire de l’habitat a été en mesure d’identifier les sociétés appartenant à un même groupe en regroupant les entités partageant un même actionnariat.

Ce regroupement a permis d’affiner l’analyse en passant de 1 723 personnes morales privées à 1 360 groupes de sociétés, dont 1 140 détenant du foncier résidentiel. En 2022, le top 10 des groupes de sociétés aux possessions foncières les plus étendues détiennent ensemble plus de 390 hectares, soit près de la moitié du total détenu par les sociétés privées. Le foncier constructible pour l’habitat détenu par les sociétés privées s’élève au total à une valeur d’environ 7 milliards d’euros selon la méthode de valorisation retenue par l’Observatoire de l’habitat.

Pour autant, si cette spéculation foncière profite aux promoteurs eux-mêmes, comme le montre l’évolution de leur profitabilité, elle contribue significativement à la flambée des prix du foncier et du logement en restreignant l’offre de logements, qui se trouve à la base de tant de problèmes sociaux au Luxembourg, souligne le rapport de l’Autorité.

Le problème de la main-d’œuvre dans le secteur de la construction est un sujet récurrent au Luxembourg. Il est possible que cette pénurie s’explique par le manque d’attractivité des conditions de travail dans le secteur, mais l’Autorité de la concurrence précise qu’«il n’est pas exclu qu’elle résulte d’une concertation entre employeurs pour maintenir de bas salaires et rendre l’embauche moins attractive». Une telle concertation serait susceptible de diminuer les capacités de construction de ces acteurs et de réduire par voie de conséquence le nombre de nouveaux logements construits (effet volume négatif) tout en augmentant le prix de vente des logements (effet prix positif) et les marges des employeurs», ajoute le rapport.

L’analyse de l’Autorité de la concurrence dévoile que les agences immobilières sont surreprésentées au Luxembourg, avec ses 1 293 agences au total et ses 1,99 agence pour 1 000 habitants. Le nombre élevé d’agences peut avoir un impact sur les prix, augmentés artificiellement par une course à l’enchère. De ce fait, une régulation et une revalorisation du métier sont souhaitables dans le cadre de la réforme du droit d’établissement, selon l’institution.

Lire notre édito sur ce sujet :
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