Une nouvelle étude de l’Observatoire de l’habitat révèle la pression croissante sur les locataires du marché privé. Malgré des revenus plus élevés qu’ailleurs, les ménages luxembourgeois affichent l’un des taux d’effort les plus lourds d’Europe.
Le Luxembourg connaît une tension sans précédent sur son marché locatif. Une réalité pas si nouvelle, mise en avant ce jeudi par la dernière étude de l’Observatoire de l’habitat. En effet, entre 2010 et 2024, les loyers annoncés ont été multipliés par 1,75, alors que les prix de vente des appartements, eux, ont doublé.
Cette hausse continue s’explique par une croissance démographique très rapide : entre 2001 et 2021, le pays a accueilli 78 000 nouveaux ménages, (l’arrivée d’étrangers au Luxembourg a été multipliée par cinq sur la période), mais seulement 60 000 logements ont été construits dans le pays.
Les conséquences sont directes pour les locataires du marché privé. Leur taux d’effort, c’est-à-dire la part du revenu consacrée au logement, est passé de 31,8 % en 2016 à 39,3 % en 2023, souligne l’Observatoire de l’habitat. Les propriétaires avec emprunt (36,8 %) ou les locataires à tarif réduit (34,4 %), par exemple, fournissent un effort moindre.
Le nombre de ménages locataires a été multiplié par 1,6 en dix ans, contre seulement 1,3 pour les propriétaires, témoignant d’une difficulté croissante à accéder à la propriété.
Cette pression a même favorisé l’émergence de nouvelles formes d’habitat, dont nous vous parlions dans l’édition du Quotidien du 28 octobre dernier : les chambres meublées représentent désormais 18 % des annonces locatives, contre 11,6 % en 2022.
Des inégalités qui se creusent
Malgré l’augmentation des prix de vente des logements, le Luxembourg reste majoritairement un pays de propriétaires en comparaison avec certains pays voisins (66 % contre 60 % en France ou 41 % en Allemagne en 2023).
Un constat déjà porté dans notre édition du 27 octobre par l’économiste de la Fondation Idea Michel-Edouard Ruben, qui rappelait la volonté politique de l’époque de faire du Luxembourg un pays de propriétaires. Un vrai «succès» selon lui.
Néanmoins, leur proportion tend à diminuer aujourd’hui, tandis que le poids des locataires augmente régulièrement (28 % en 2013 et 33 % en 2023), reflétant la difficulté croissante d’accéder à la propriété dans un contexte de prix élevés.
Ce qui engendre, forcément, un report sur le marché locatif : entre 2013 et 2023, le nombre de ménages locataires a été multiplié par 1,6, contre seulement 1,3 pour les ménages propriétaires.
L’étude met aussi en lumière des disparités importantes selon le niveau de vie et la composition familiale. Pour les ménages les plus modestes (revenus inférieurs à 2 600 euros par mois), le taux d’effort dépasse désormais 55 %, contre seulement 20 % pour les plus aisés.
Pire encore, l’écart se creuse : les ménages modestes ont vu leur taux d’effort augmenter de 15 points entre 2016 et 2023, contre 2,5 points «seulement» pour les plus aisés.
Les familles monoparentales, dirigées à 80 % par des femmes et représentant 7 % des locataires, sont, encore une fois, les plus vulnérables avec un taux d’effort atteignant 50 %. Les adultes seuls, qui constituent près de la moitié des locataires (47 %), consacrent également 43 % de leurs revenus au logement, une hausse de 28 % depuis 2016. Seuls les couples, avec ou sans enfants, bénéficient d’un effet qui limite leur taux d’effort à environ 34 %, bien que ce niveau reste élevé dans le contexte luxembourgeois.
L’Observatoire a aussi proposé un comparatif avec les pays voisins dans cette Note 44. Le Luxembourg affiche ainsi le niveau de vie moyen des locataires le plus élevé des quatre pays comparés dans l’étude (France, Belgique, Allemagne), avec des revenus 1,5 à 2 fois supérieurs. Pourtant, les ménages luxembourgeois sont parmi les plus exposés financièrement.
Alors que le taux d’effort est resté stable en France (34 %) et en Belgique (40 %) et a même reculé en Allemagne (28 %), il a fortement progressé au Luxembourg.
Cette situation s’explique par plusieurs facteurs selon l’étude : l’absence de régulation des loyers comme en Allemagne, un parc social quasi inexistant (2 % contre 18 % en France ou 7 % en Belgique) et une demande qui dépasse largement l’offre disponible.
Gagner plus mais… payer davantage
Ce phénomène met en lumière une réalité propre au Luxembourg : malgré un niveau de vie plus élevé et en hausse et une économie particulièrement dynamique, les ménages locataires du marché privé, surtout les moins aisés, voient leurs charges de logement peser de plus en plus sur leur revenu disponible comparé à leurs homologues des pays voisins.
Cette situation s’explique, entre autres, par le fait que les revenus sont plus élevés qu’ailleurs, mais comme la demande de logements est très forte et que l’offre reste limitée, les loyers augmentent rapidement.
À l’inverse, en France, en Belgique et en Allemagne, les revenus sont plus modestes, mais les loyers restent en moyenne nationale moins élevés et/ou souvent davantage régulés, ce qui limite la hausse du taux d’effort des ménages.
Dans les quatre pays, les locataires vivent généralement dans des logements plus petits que les propriétaires. Au Luxembourg, en France et en Belgique, leurs biens comptent, voire dépassent, les trois pièces, ce qui n’est pas le cas en Allemagne (2,8).
Par ailleurs, si on rapporte la taille du logement au nombre de personnes, la Belgique se distingue par des logements plus spacieux pour l’ensemble de ses ménages locataires (1,8 pièce/personne), tandis qu’ils apparaissent de quasiment la même taille en France, en Allemagne (1,5 pièce/personne) et au Luxembourg (1,6 pièce/personne).
L’Observatoire souligne que le Luxembourg se rapproche davantage de zones métropolitaines comme l’Île-de-France ou le Grand Londres que d’une moyenne nationale. À Paris, par exemple, le loyer moyen atteint 32 euros par mètre carré, proche des 37 euros luxembourgeois, contre 14 euros pour la moyenne française. La pression immobilière se diffuse donc largement au-delà des frontières nationales vers les zones frontalières de la Grande Région.
Et l’Observatoire de l’habitat de conclure : «Cette situation souligne l’importance de renforcer la régulation du marché locatif et d’accélérer le développement de l’offre abordable, en grande partie publique, afin de garantir un accès équitable au logement.»