À quelques jours de la sortie de son livre « Briser le silence, au cœur de l’affaire Grégory », Murielle Bolle a accordé plusieurs entretiens aux médias français dont une interview télévisée au groupe TF1. Elle s’y confie avec émotion et l’envie d’être enfin « entendue ».
Le mouchoir, froissé dans sa main crispée, essuie avec insistance ses yeux bleus rougis. Des larmes s’en échappent sans qu’elle puisse les retenir. Son expression affiche la même moue contrariée, le même air renfrogné et taiseux qu’en novembre 1984. La Murielle Bolle de novembre 2018 ressemble encore à l’adolescente de 15 ans à l’époque de la découverte du corps ligoté de Grégory Villemin, 4 ans, rejeté par les eaux houleuses de la Vologne. Son tumulte, ce 16 octobre 1984, a rompu la quiétude de ces Vosges profondes où les plus sombres secrets ne remontent jamais à la surface.
Ce tumulte qui a secoué la vie d’une gamine à l’épaisse tignasse rousse, devenue malgré elle le personnage central d’un drame insoluble. Elle se voit davantage comme un dommage collatéral. Murielle Bolle est une femme brisée. Affectivement et physiquement. Elle s’est enveloppée, a coupé ses cheveux très courts. Aujourd’hui, elle est âgée de 49 ans mais en paraît facilement quinze de plus. Elle a l’allure de quelqu’un qui a vieilli trop vite sans pouvoir grandir. Sa parole a toujours été rare, les mots ne viennent pas si facilement quand on doit taire ses sentiments, ses états d’âme. La dernière fois qu’elle s’est livrée publiquement, c’était en 1993, seule face à la meute de journalistes qui la dévoraient lors du procès de Jean-Marie Villemin, poursuivi pour l’assassinat de Bernard Laroche dont elle affirme porter la responsabilité.
Cette fois, épaulée par ses avocats, elle est allée au-devant de ceux choisis pour médiatiser ses propos. Pour ne pas se faire bouffer, à nouveau. Pas question de revivre le même « cauchemar » que la gosse « jetée en pâture », « montrée du doigt », « traitée de menteuse ». Et puis cette fois, elle veut se faire « entendre », raconter une vérité dont l’espoir qu’elle éclate un jour s’amenuise à mesure que l’affaire relancée en juin 2017 piétine. Pour cela, elle a donc décidé de briser le silence. Dans la presse, à la télévision et dans un livre, sous la plume de Pauline Guéna à paraître jeudi aux éditions Michel Lafon.
Ses Vosges pour refuge
Il ne faut attendre de Murielle Bolle aucune révélation qu’on ne connaît déjà. Sa vérité, c’est cette version qu’elle répète inlassablement depuis le début. Après s’être rétractée sur l’implication de son beau-frère dans l’enlèvement et la mort de Grégory. Bernard Laroche est innocent et elle aussi, continue-t-elle de clamer. Elle n’était pas dans la voiture ce jour-là, elle est rentrée du collège en bus chez la tante Louisette à Aumontzey. Elle n’a pas subi de pressions familiales ni de violences de sa sœur Marie-Ange pour revenir sur ses aveux. Quoi qu’en disent ceux qui prétendent en avoir été témoins. Tout ce qu’on rapporte sur elle, « c’est du n’importe quoi », chasse-t-elle de sa main toujours crispée sur le tissu humide en boule.
Quelques anecdotes légères ponctuent son récit pesant : les chansons de Johnny Hallyday qui la réconfortent dans les moments difficiles et qu’elle fredonne « à tue-tête », ses rêves avortés d’embrasser une carrière de gendarme – « une vocation » -, ou pâtissière, « ses » sapins des Vosges qu’elle ne quitterait pour rien au monde « parce que c’est chez moi, j’y ai toute ma famille et je n’ai rien à me reprocher ».
La douleur des parents de Grégory, elle assure la partager, elle-même maman de trois enfants et grand-mère d’une petite fille – Maëlle, si l’on en croit le bracelet serrant son poignet. C’est justement pour les siens qu’elle « survit », dit-elle dans ses sanglots. Le reste finit par la laisser indifférente tant elle se sent démunie et condamnée. D’autres témoignages accablants ? Une nouvelle mise en examen (la première ayant été annulée pour vice de procédure) ? « Plus rien ne peut me surprendre. » Elle formule un unique souhait – et lance d’ailleurs un appel – celui de « trouver le vrai coupable et qu’on nous laisse enfin tranquilles ».
Pour trouver aussi la consolation sous les ruines d’une existence « détruite ». Et, peut-être, sécher ces torrents de larmes qui coulent depuis trente quatre longues années dans la vallée de la Vologne.
Alexandra Parachini