Georges Simenon est de retour en librairies à l’occasion du 120e anniversaire de sa naissance et de la réédition de ses 117 «romans durs», réunis. Réalisateur de Monsieur Hire et Maigret, Patrice Leconte raconte «son» Simenon.
Son œuvre donne le vertige : 193 romans, 158 nouvelles, des œuvres autobiographiques ou encore des articles publiés sous son nom, et aussi 176 romans, des dizaines de nouvelles, contes galants et articles parus sous 27 pseudonymes différents. Né à Liège le 13 février 1903, Georges Simenon demeure l’écrivain belge le plus lu et traduit dans le monde avec 550 millions d’exemplaires vendus. Auteur populaire, pour André Gide, qui a entretenu une correspondance quasi quotidienne avec Simenon, il est «un romancier de génie et le plus vraiment romancier que nous ayons dans notre littérature d’aujourd’hui».
Disparu en 1989, le créateur du commissaire Maigret fait un retour remarqué en librairies : ses 117 «romans durs» sont réédités en douze volumes. En février 1931, Simenon décide qu’il ne consacrera pas tout son temps d’écriture à Maigret, et alternera ainsi jusqu’en 1972 (date à laquelle il met fin à sa carrière romanesque) avec ces «romans durs», qui lui permettent de se tenir à distance des codes et d’appliquer sa devise : «Comprendre mais pas juger». Le premier volume est ouvert par un entretien avec le cinéaste Patrice Leconte qui, à deux reprises, a adapté Simenon sur grand écran. Pour Le Quotidien, il raconte «son» Simenon.
Comment l’œuvre de Georges Simenon est arrivée à vous ?
Patrice Leconte : Je suis entré en Simenon par Maigret. Je devais avoir 14 ans… Quand mes parents partaient en voyage, ma grand-mère venait nous garder à Tours, où nous habitions. Elle amenait des livres, des Maigret qu’elle laissait quand elle partait. Alors je les lisais, moi qui me demandais comment on pouvait être captivé par Chateaubriand. Maigret, ça me parlait, c’était magique. En même temps, quelque chose me retenait, j’avais des doutes sur mon plaisir à lire ce genre de livres qu’on classait facilement dans le genre « littérature de gare »…
Quel est le déclic qui vous a fait admettre que lire Simenon et Maigret n’était pas un plaisir inavouable ?
En classe de terminale, au début de l’année scolaire, notre professeur de philosophie, Monsieur Payot, nous dit que nous allons étudier Nietzsche et Kierkegaard mais que, bien plus que ceux-là, le plus grand philosophe, c’est Georges Simenon. Et là, il sacralisait le même Simenon que je lisais sans l’avouer. Soudain, je me suis senti à l’aise, même si de toute l’année scolaire, notre professeur ne nous a jamais reparlé de Simenon…
Simenon, c’est un magnifique observateur des gens, des dysfonctionnements, des dérapages…
Justement, qu’est-ce que Simenon philosophe ?
Dans tous ses livres, il évolue au plus près de la nature humaine. De l’humain. Simenon, c’est un magnifique observateur des gens, des dysfonctionnements, des dérapages… Il établit une manière de voir la vie et le monde qui n’est jamais fumeuse…
À l’occasion du 120e anniversaire de sa naissance, vous introduisez le premier des douze tomes de ses « romans durs »…
Une précision s’impose : ces « romans durs » ne sont pas des romans durs à lire! Je dirais plutôt que ce sont des romans sombres. Simenon y développe un tel art de l’observation… Une observation pessimiste de la nature humaine! Et pourtant, c’était un type assez jovial, un bon vivant avec une puissance de travail hors du commun. Mais il n’était pas vraiment d’un optimisme scintillant. Il ne pratiquait pas la complaisance. Avec Simenon, on est dans la vraie vie, avec de vraies gens.
Les 117 « romans durs » de Simenon raconteraient-ils la tragédie humaine ?
Un peu comme La Comédie humaine de Balzac…. Mais on peut dire cela de tous les grands auteurs. Dans ses livres, Simenon est assez hors du temps, ce qui fait que ses romans sont universels. Ils n’ont pas besoin d’être datés, juste besoin d’être non datés. Juste atemporels. Ses histoires sont universelles; si elles étaient trop datées, le lecteur serait moins concerné.
Si, enfin, il vous fallait définir l’univers de Georges Simenon…
… je dirais : attentif, réaliste, humain et pessimiste.
Et son écriture ?
Il y a un réel style Simenon. Avec une grande économie des mots. À chacun de ses livres, il donnait une leçon d’écriture : rien à élaguer, rien à virer. S’en tenir à l’essentiel. En deux pages, le lecteur est pris par un truc, d’emblée. Parfois, les fins sont un peu bâclées, mais tous ses livres sont assez parfaits. Jamais je n’ai été déçu par la lecture d’un Simenon!
«Les romans durs» (1931-1972, douze volumes), de Georges Simenon.
Simenon, Leconte et le cinéma
Entre cinéma et télévision, on compte à ce jour pas moins de 300 adaptations d’un texte de Georges Simenon. Patrice Leconte en a réalisé deux.
Monsieur Hire (1989)
Tailleur misanthrope et taciturne, ni riche ni pauvre, Monsieur Hire (Michel Blanc) épie Alice, dont il est tombé amoureux, depuis la fenêtre de son appartement. Elle habite juste en face; brusquement, elle se rend compte qu’il l’observe depuis des mois. Il sait tout d’elle mais elle est éprise d’Émile et prête à tout pour le protéger. Alors qu’un inspecteur enquête sur le meurtre non résolu d’une jeune femme, Monsieur Hire devient un suspect…
Patrice Leconte souhaitait réaliser le remake de Panique (Julien Duvivier, 1946). Un producteur propose d’acheter les droits des Fiançailles de Monsieur Hire, roman de Simenon paru en 1933, que Duvivier avait adapté à l’écran. Ce qu’ignorait Patrice Leconte qui, une fois les droits acquis, lit le roman et, dans la foulée, lance la réalisation. Le film, présenté au Festival de Cannes 1989, sera nommé dans huit catégories aux Césars 1990.
Maigret (2022)
Un appel anonyme depuis une borne de police : le corps d’une jeune femme est retrouvé place Vintimille, à Paris, 9e arrondissement. La victime est vêtue d’une robe de soirée, mais les enquêteurs ne trouvent pas le moindre papier d’identité. L’enquête est confiée au commissaire Maigret et à ses hommes, qui vont tenter de démêler les fils de cette affaire criminelle. En dépit d’une santé faible, Maigret décide de suivre l’affaire de très près : ce meurtre particulièrement sordide réveille en lui le souvenir d’une disparition douloureuse et plus personnelle…
Après le tournage de cette adaptation de Maigret et la jeune morte, paru en 1954, Patrice Leconte a commenté la performance de son Maigret, incarné par Gérard Depardieu : «C’est toujours bouleversant de filmer des comédiens quand ils ont du talent. Ils vous donnent de ces trucs… Depardieu, j’ai souvent eu les larmes aux yeux de voir ce qu’il me donnait, comment il s’abandonnait à la caméra avec discrétion, retenue, émotion.»
S. B.