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[Littérature] Dix autres indispensables de la rentrée littéraire


Que la lecture vous soit bonne ! (Photo : Pixabay)

Pour cette rentrée littéraire d’été 2022, 490 romans (31 de moins que l’an passé) sont attendus d’ici la fin octobre. Des délices de lecture en vue. Alors en toute subjectivité, Le Quotidien propose une deuxième sélection avec dix romans immanquables.

« Une heure de ferveur » de Muriel Barbery

Éditeur Actes Sud

Le roman de la délicatesse… et de l’amour. En écho à son précédent, Une rose seule (2020), Muriel Barbery nous offre Une heure de ferveur. Avec les mots de la romancière, on se retrouve à Kyoto, là où vivait Hanu Ueno, le père décédé de Rose. Magicienne, Muriel Barbery remonte l’histoire de ce Japonais marchand d’art contemporain. Il a aimé follement une Française; enceinte, elle est rentrée en France et n’a jamais voulu que Hanu voie sa fille, Rose. Cette fille qui a occupé son esprit, son imaginaire durant tant d’années, jusqu’à sa mort. Pour lui, Rose était une fleur parmi les fleurs des jardins qu’il appréciait par-dessus tout. Une fois encore, avec cet homme tout habité par la beauté et l’autre, l’auteure signe là un roman d’une élégance rare.

« L’Inventeur » de Miguel Bonnefoy

Éditeur Rivages

Né à Semur-en-Auxois (Côte-d’Or) dans les premières années du XIXe siècle, il fut surnommé «Prométhée». Homme de science, il a mis au point l’héliopompe, un réflecteur parabolique flanqué d’une chaudière en verre cylindrique alimentant une machine à vapeur. Il l’appellera Octave. En tout temps, cet inventeur serait une star, sauf que la machine n’a pas pu lutter contre l’industrie du charbon. Et Augustin Mouchot mourut en 1912 dans la misère, oublié, retourné à cette ombre qu’il n’aurait jamais dû quitter… Jusqu’à ce que l’écrivain franco-vénézuelien Miguel Bonnefoy, avec L’Inventeur, le remette avec son habituelle élégance d’écriture dans la lumière. Gloire à Augustin Mouchot, l’inventeur qui a cru, bien avant tant d’autres, à l’énergie solaire!

« Commencements » de Catherine Millet

Éditeur Flammarion

Une confidence : «Je publie effectivement mon quatrième livre autobiographique mais les quatre récits ont des points de départ différents.» Pour ce qui constitue un des évènements de la rentrée littéraire d’été 2022, à savoir Commencements, 320 pages bien denses, Catherine Millet a plongé dans deux malles où elle garde tout de sa vie. Elle dit s’être «prise en otage». Dans un récent entretien, elle expliquait avoir souhaité raconter «la période où (elle) commence à entrer dans la vie professionnelle, ce qui correspond aux débuts de ce qu’on appelle l’art contemporain, la fin des années soixante, le début des années 1970. Relater l’entrecroisement des deux relevait du défi, mais c’était amusant d’essayer de comprendre comment la jeune femme sans bagage que j’étais s’était glissée dans une époque où les artistes eux-mêmes réinventaient leur pratique.» Celle qui fut révélée par son premier texte autobiographique, La Vie sexuelle de Catherine M. (2001) est née en 1948 à Bois-Colombes, en région parisienne, en 1948, fille d’un directeur d’auto-école et d’une secrétaire. Enfance, adolescence, vie ordinaire… Dans un café, quatre garçons préparent une revue de poésie, l’adolescente les regarde, n’ose les approcher, ils deviendront amis. Avec l’un d’entre eux, qui deviendra un célèbre galeriste, elle commence une vie de couple. Il y aura la création d’Art Press, la revue indispensable consacrée à l’art contemporain. Il y aura aussi les révoltes étudiantes à Paris, même si Catherine M. est «passée à côté de Mai-68» ; l’émergence de SoHo à New York et, dans le monde, de cet art contemporain. D’une écriture quasi clinique et froide, Catherine Millet poursuit une introspection sentimentale, sexuelle et intellectuelle. Un texte indispensable.

« Disparaître » de Lionel Duroy

Éditeur Mialet-Barrault

On ouvre sur une histoire de famille, on boucle avec un voyage à vélo. Avec Disparaître, Lionel Duroy, romancier hautement fréquentable, offre à son héros Augustin, 70 ans, l’occasion lors d’un repas au restaurant d’annoncer à sa famille que, là, c’est décidé, il file à Stalingrad… à vélo, sans préciser le sens de cette expédition à deux roues. Disparaître, finir sa vie, «mourir, si vous préférez». Retour à son domicile, il prépare la machine, «un vieux Singer». Cap sur l’est. Valbonne puis Bucarest, Ljubljana, Zagreb, Belgrade… après avoir voyagé à travers paysages, souvenirs, littérature (Malaparte, Istrati ou encore Botez) et histoire, disparaîtra-t-il à Stalingrad? Disparaître, c’est délicieusement triste, follement mélancolique, furieusement romantique…

« Les Corps solides » de Joseph Incardona

Éditeur Finitude

Une vie de peu. De presque rien. Anna vend des poulets rôtis sur les marchés. Pour améliorer l’ordinaire et la vie dans son mobile home en bord d’Atlantique, pour que son fils, Léo, vive dignement en ne manquant de presque rien… Début d’histoire rapportée par l’écrivain suisse Joseph Incardona, 53 ans, auteur du très remarqué La Soustraction des possibles (2020) que l’on retrouve avec ce grand roman sur la société contemporaine et son cynisme. À l’image de la Rome antique, le pouvoir donne au peuple des jeux (beaucoup) et du pain (un peu). Quand dans un accident, elle perd son camion – outil de travail –, Anna va-t-elle avoir un autre choix que celui de participer à un jeu télé qui lui assurerait un chèque de 50 000 euros, synonyme de la fin des ennuis?

« Ils vont tuer vos fils » de Guillaume Perilhou

Éditeur L’Observatoire

Plus sombre que jamais, Lou Reed chantait en 1974 Kill Your Sons… Une chanson qui inspire à Guillaume Perilhou Ils vont tuer vos fils, assurément l’un des meilleurs premiers romans de cette rentrée d’été. Guillaume a 15 ans, l’âge du mal de vivre… Et il a de quoi être un ado «perturbé». Sa mère, enfant, a été violée par son père. Le narrateur décide de porter plainte contre son père pour agression sexuelle quand il était petit enfant. Le roman est le récit chez le juge, entretien qui va se terminer en explosion de violence. Conséquence : retour à l’HP où il est déjà interné… Sur les thèmes pas vraiment nouveaux du mal-être adolescent et de la quête d’identité, à coup de saynètes étourdissantes, Perilhou signe un livre cinglant, bouleversant.

« Crédit illimité » de Nicolas Rey

Éditeur Au Diable Vauvert

Bonheur et joie de retrouver, avec Crédit illimité, Nicolas Rey, écrivain qui s’était perdu dans des contrées peu fréquentables. Avec un roman délicatement amoral, qu’on ne peut qu’apprécier avec son personnage principal, Diego Lambert, la petite cinquantaine, à la ramasse financièrement. Alors, tout aussi humble qu’humilié avec un besoin urgent d’argent. Son père, PDG d’une multinationale, lui met le marché en main : pour l’aider, voici un chèque de 50 000 euros… à condition de remplacer la DRH d’une de ses boîtes de province et de licencier 15 ouvriers… À la découverte du monde ouvrier s’ajoute l’idée de tuer chez Diego. Au pays de la «lose», Nicolas Rey tricote, en rangs bien serrés, une farce œdipienne virevoltante et allégrement incorrecte!

« La Dépendance » de Rachel Cusk

Éditeur Gallimard

Depuis bientôt 30 ans, Rachel Cusk, née au Canada en 1967 et installée en Grande-Bretagne depuis l’enfance, se glisse en librairies. Après L’Œuvre d’une vie : devenir mère (2021), voici donc La Dépendance, son nouveau roman, qui a été salué par le New York Magazine et le Wall Street Journal. Certains, outre-Manche, y ont vu des airs de famille avec Mrs. Dalloway, un roman de Virginia Woolf paru en 1925. Belle parentèle, mais on a là surtout un roman de Rachel Cusk, et c’est impeccable. Une fois encore, la romancière qui ne craint pas de se présenter féministe s’intéresse au quotidien d’une femme, M. M est romancière (elle n’écrit plus vraiment), elle est, comme on dit, «entre deux âges», a vécu un premier mariage sans émerveillement, entre conjugalité et maternité, et le départ avec son deuxième mari pour vivre dans les marais, en bord de côte. Avec la maison, une dépendance délicatement transformée en résidence d’artistes. Le rêve de M : y accueillir L, un peintre qu’elle tient parmi les plus grands. Celui-ci accepte mais, déception de M, il débarque avec une créature tout autant de rêve qu’irritante. Ajoutons à cela la fille de M et son mari qui se pointent… Dans ce cadre idyllique en bord de côte, des tensions ne tardent pas à surgir. La Dépendance, ce sont les lettres qu’a écrites M à Jeffers… Elle y dit tout, par exemple : «Je t’ai déjà raconté, Jeffers, la fois où j’ai rencontré le diable dans un train au départ de Paris…» Roman épistolaire, voilà une forme littéraire que Rachel Cusk manie à la perfection. Tout y est : les désirs, l’orgueil, la désillusion d’une femme pour qui, selon l’auteure, la seule solution pour sortir de l’aliénation conséquente des traditions, des mœurs et des religions, est politique…

« Mon bel animal » de Marieke Lucas Rijneveld

Éditeur Buchet-Chastel

La sensation des lettres néerlandaises a 31 ans, se revendique non genrée et non binaire et a publié quatre livres : deux romans et deux recueils de poésie. Dont Qui sème le vent (lauréat de l’International Booker Prize 2020) et Mon bel animal, un roman partiellement autobiographique qui se glisse dans les pas de Lolita de Nabokov. Marieke Lucas Rijneveld nous emmène dans la campagne néerlandaise. Un été étouffant, une menace de grippe bovine… Un vétérinaire, 49 ans, se rapproche d’une jeune fille, 14 ans. Dans son journal, l’homme raconte la relation qu’il va entretenir avec la jeune fille. Dans ces pages d’un lyrisme glaçant, résonne la voix du prédateur. Le récit de cette relation est à sens unique, celui de l’homme. C’est sensible et érotique…

« Vers la violence » de Blandine Rinke

Éditeur Fayard

En Vendée, une fille et son père. Lou et Gérard Meynier, un patronyme qui signifie «robuste guerrier». Le père illumine la vie de sa fille, tout en trimbalant des fantômes et de lourds secrets. Il est grande gueule, rit fort, son credo est son école : «La sensation du couteau, ces moments où l’on se sent un peu plus que vivant.» De Lou, il veut faire une femme féroce. C’est Vers la violence, le troisième roman de Blandine Rinkel après le très remarqué Le Nom secret des choses (2019). Au fil du roman, on apprend que le père est idéaliste et diablement égocentré, qu’il a été un temps marin puis flic et qu’il demeure un sacré affabulateur. À ses côtés, Lou se construit, rebelle, sera danseuse («Danser, c’est nager sans eau»). Un roman troublant et puissant.