Avec une trame simple, le nouveau roman de Bernhard Schlink mêle parfaitement l’intime et l’universel, le passé, le présent et le futur.
D’Ouest en Est, un voyage sur terre et dans le temps… Un homme en recherche d’une petite-fille. Celle que sa femme a mise au monde dans une autre vie, dans un autre monde. En quelques mots, le résumé de La Petite-Fille, le nouveau roman de l’écrivain allemand Bernhard Schlink, 78 ans, ancien professeur de droit, juriste et auteur, voilà 25 ans, d’un texte vertigineux : Le Liseur… Une certitude en refermant La Petite-Fille, Schlink demeure un des grands auteurs européens contemporains; un auteur essentiel, aussi.
Comme peu, il mêle et manie parfaitement l’intime et l’universel. Le passé, le présent et aussi le futur. Résumé, donc, son nouveau roman file sur une trame toute simple. Un homme, Kaspar, 70 ans, ancien professeur devenu libraire en cette contrée appelée pendant un demi-siècle République fédérale allemande (RFA), a perdu sa femme récemment. Birgit avait quitté l’Allemagne de l’Est en 1965 pour le rejoindre à l’ouest. À la mort de la femme, l’homme découvre qu’avant de le rejoindre, elle a eu une enfant qu’elle a abandonnée à la naissance. Tout un pan de sa vie qu’elle lui a toujours caché.
La découverte de cette information intrigue Kaspar, qui «n’appartenait pas au monde. Il appartenait à Birgit morte. À Birgit morte qui était tournée vers lui avec sa joie de vivre et son affection (…) Mais elle était aussi la Birgit morte des carnets, de son écriture et non-écriture qu’elle lui avait tenues cachées. Tant de choses qu’elle lui avait dissimulées, avec lesquelles elle l’avait trompé, dont elle l’avait privé!» C’est décidé, il quitte sa librairie de Berlin, direction l’Est pour (tenter de) retrouver, de rencontrer cette belle-fille totalement inconnue.
Bernhard Schlink est un auteur essentiel, un homme de lettres et de sentiments
Première impression de Kaspar à l’Est : «Le brouillard lourd et gris de décembre pesait sur la ville, étouffait les bruits et obscurcissaient la vue. Mais pour Kaspar tout était curieusement limpide et proche, les immeubles, les rues, la rivière. Comme si la dangerosité de son projet avait aiguisé son regard au point que les choses prenaient une forme plus dure. Et ce n’était pas que son regard, tous ses sens étaient affûtés.» L’ancien libraire retrouve la fille de Brigit, elle est à présent femme et mère d’une jeune fille de 14 ans, Sigrun. La petite-fille. Avec n’importe quel ouvrier spécialisé de la chose écrite, on en serait resté là. Il en est tout autre avec Bernhard Schlink, homme de lettres et de sentiments. D’histoire(s) aussi…
Un dialogue impossible
Donc, avec Kaspar, on découvre que, dans cette ex-RDA, Sigrun est élevée dans un environnement de droite extrême, dans le culte du sinistre IIIe Reich et dans cette idée fixe de redonner à l’Allemagne, décadente et débauchée, bien sûr, sa «grandeur» du temps passé. Plus précisément dans la mouvance «völkisch» – le plus grand nombre de ses adhérents vit en milieu rural, souhaite revenir à la terre, au sang et à la pureté allemande et veut tout reprendre à zéro et s’autosuffire. «Un mélange de racisme, d’antisémitisme et d’écologie», confie Bernhard Schlink.
A priori, un dialogue entre l’homme de l’Ouest et sa «petite-fille» de l’Est est impossible, inimaginable. Pourtant, c’est le sujet d’une grande partie de La Petite-Fille. Évoquant récemment les fantômes de l’Allemagne, Bernhard Schlink répond à la question sur la possible manière de lutter contre l’extrême droite chez les jeunes : «Je pense qu’on ne peut que les ouvrir à un monde plus grand. Car le leur est étroit, fait de petits groupes, de rituels, d’une culture étriquée. Ils sont unis contre ceux qu’ils considèrent comme leurs ennemis. Kaspar essaie d’amener Sigrun vers la musique et les livres. Non pas qu’ils garantissent de nous rendre meilleurs, mais ils nous ouvrent au monde…»
Bernhard Schlink, La Petite-Fille. Gallimard.