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«L’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur tout le reste»


«Les communes se doivent d’accepter l’inscription de tout enfant, même s’il n’est pas possible de présenter un certificat de résidence.» (Photo : Fabrizio Pizzolante)

Le directeur de l’ASTI, Sérgio Ferreira, doit chaque année faire un rappel à la loi en ce qui concerne l’obligation scolaire. La rentrée a aussi été marquée par la disparition de Caritas, un partenaire de longue date de l’ONG.

L’ASTI a rappelé, la semaine dernière, certaines dispositions en matière d’obligation scolaire qui ne sont pas toujours respectées. N’avez-vous pas le sentiment de devoir inlassablement vous répéter ?

Sérgio Ferreira : Si, mais c’est toujours nécessaire. Il n’y a pas d’obligation de statut de résidence pour les enfants, qui s’oppose à l’obligation scolaire. C’est clair au moins depuis dix ans avec la circulaire du ministère de l’Éducation nationale qui indiquait que tous les enfants, dépendamment du statut administratif de leurs parents, sont soumis à l’obligation scolaire.

Légalement, les communes se doivent d’accepter l’inscription de tout enfant, même s’il n’est pas possible de présenter un certificat de résidence. Or, il y a encore des communes ou des lycées qui, par ignorance des textes légaux – je préfère croire cela que de parler de malveillance –, ne les respectent pas. L’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur toute autre considération.

Trouver une adresse, c’est facile à dire, mais pas à faire, surtout une adresse légale…

C’est une mauvaise pratique de plusieurs administrations et communes. Notre guichet Info-migrants à l’ASTI intervient régulièrement, énormément en début d’année scolaire, mais aussi en cours d’année.

L’année dernière, nous avons dû intervenir à 73 reprises et nous ne sommes pas les seuls. Nous faisons alors appel au service du SIA (NDLR : Service de l’intégration et de l’accueil du ministère de l’Éducation nationale) pour nous aider à expliquer aux personnes qui rechignent encore à accepter l’inscription qu’elles doivent appliquer la loi.

Les parents n’ont peut-être pas encore d’adresse légale, mais ils habitent chez des proches dans la commune, ou dans un studio qui ne répond pas aux règles de surface minimum, mais cela n’interfère pas. Il y a une obligation scolaire, point.

Pour les personnes en séjour irrégulier, est-ce le même combat ?

Oui, mais ceux-là, face au premier refus d’un employé administratif quel qu’il soit, ne veulent pas aller plus loin parce qu’ils craignent d’autres conséquences. C’est la perversité du système. Raison pour laquelle, l’ASTI, comme d’autres organisations, plaide pour la régularisation de ces personnes, la dernière datant de 2013.

Il est bien temps de le faire, mais nous savons, depuis notre rencontre avec le ministre Léon Gloden, qu’il n’a pas la volonté ni l’intention de procéder à une telle régularisation. Nous avons souvent le cas de personnes qui ont eu un jour un séjour régulier, mais parce qu’un contrat de travail a été résilié à la suite d’une faillite ou d’une maladie, ils ont perdu ce statut.

Pour l’enfant scolarisé, cela signifie qu’il ne peut pas participer à des sorties à l’étranger. Il faut que cette question soit abordée, sans a priori idéologique ou autre, et en ayant à l’esprit, toujours, l’intérêt supérieur de l’enfant.

La loi sur l’immigration le prévoit déjà…

Oui, le seul article qui prévaut ici, c’est l’article 89 de la loi sur l’Immigration qui stipule qu’une autorisation de séjour est accordée par le ministre au ressortissant de pays tiers dont l’enfant suit sa scolarité de façon continue dans un établissement scolaire au Grand-Duché depuis au moins quatre ans.

Le législateur a compris qu’il existe des situations pour lesquelles l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer sur tout le reste. Mais pour l’immense majorité, cet article ne peut pas s’appliquer, ce qui fait que nous avons des centaines de personnes qui vivent sans droits au Luxembourg et sont dépourvues de toute protection. Celles-là sont exploitées au travail, subissent des harcèlements en tous genres.

L’État se préoccupe davantage de la résidence régulière que de la situation des droits de l’homme. Cette situation n’est ni bonne pour ces personnes, ni bonne pour l’économie parce que ces employeurs fraudeurs ne paient pas de cotisations sociales et leurs employés pas d’impôts.

Ils sont en situation de concurrence déloyale. Avec une régularisation, bien sûr sous conditions, comme cela a été fait en 2013, tout le monde y gagnerait.

Ces régularisations massives font craindre chez certains décideurs un appel d’air dont ils ne veulent pas. Que montre la réalité ?

Les dernières expériences ont démontré, primo, qu’il n’y avait pas eu d’appel d’air et secundo, pas de tentative de profiter de la situation pour être régularisé sans y avoir droit. Dans un pays d’immigration comme le Luxembourg, il faut arrêter de travailler avec des mythes qui servent au discours de certains politiciens dans nos pays voisins.

Ici, au Luxembourg, nous avons besoin de factualiser la discussion autour du séjour des étrangers. Malheureusement, on voit avec ce gouvernement, et même avec le précédent, car Jean Asselborn n’a pas engagé une régularisation « one shot« , que ce n’est pas le cas. En résumé, ce n’est pas parce que l’on traite bien les migrants qu’il y a plus de migrants. Toutes les recherches et la science le démontrent.

L’été a été marqué par l’affaire Caritas, avec qui l’ASTI a beaucoup travaillé. Quelle a été votre première réaction à ce scandale financier ?

Tout d’abord, cela a été un immense choc. Pas seulement par rapport au montant faramineux qui a été détourné, mais surtout qu’un tel acte criminel puisse avoir lieu dans une organisation comme Caritas qui était vue comme un exemple.

Ensuite les informations ont commencé à fuiter, et c’est dommage que le parquet ne communique pas davantage sauf pour lâcher que c’est une histoire d’arnaque au président. Je pense que, compte tenu de l’impact social et sociétal de cette affaire, il devrait y avoir une meilleure communication du parquet.

Cela étant dit, l’étonnement a succédé au choc. Même dans notre organisation, bien plus petite que Caritas, nous ne pouvons pas faire un virement de dix euros sans pièce justificative sans que l’on s’en aperçoive. Après le choc et l’étonnement, il y a la surprise du lapin que le gouvernement et le Premier ministre ont sorti du chapeau avec cette nouvelle entité.

«Au Luxembourg, comme partout ailleurs, dès qu’on a atteint un certain niveau de notoriété, toutes les portes s’ouvrent plus facilement.»

Le plaidoyer politique de la Caritas va disparaître avec la création de la nouvelle entité, est-ce un danger ?

Au-delà des services indispensables que Caritas assurait à ses bénéficiaires, que ce soit des projets financés par l’État ou par des dons, ce qui nous manquera, c’est effectivement le plaidoyer politique, même si nous n’étions pas toujours sur la même longueur d’onde.

Le lobby politique que représentait Caritas, indépendamment de nos convictions religieuses, c’était une voix avisée, avec de l’expérience et au contact du terrain. C’est ça aussi l’avantage d’organisations comme Caritas ou nous-mêmes à l’ASTI, c’est l’expérience du terrain qui nous permet de faire notre travail de réflexion avant d’être une force de proposition.

Je crois que du côté du monde politique, que l’on soit d’accord ou pas avec les acteurs de terrain, on sait bien que si des propositions sont faites et des constats dressés, c’est bien parce qu’elles se réfèrent à la réalité du terrain.

Cette courroie de transmission, qui est fondamentale pour notre démocratie et pour l’évolution sociale, politique et économique, est aujourd’hui affaiblie par la disparition de la voix de Caritas. C’est un danger pour notre démocratie et nous pesons nos mots quand nous disons cela.

Les ONG dérangent-elles tant que cela ?

Si nous regardons le gouvernement actuel, et surtout notre Premier ministre, nous constatons qu’ils prêtent une oreille attentive aux acteurs économiques, ce qui est une bonne chose.

Mais au niveau social, et surtout en ce qui concerne la pauvreté, ils n’ont pas besoin d’interlocuteurs parce qu’ils pensent avoir le savoir nécessaire. C’est un danger, je le répète. Les démocraties saines sont celles qui permettent à la société civile d’avoir une voix qui porte et qui soit écoutée, et surtout entendue.

L’affaire Caritas a-t-elle fait du mal aux ONG en ce sens qu’elles ont perdu la confiance des donateurs ?

Pas pour l’instant, mais aussi parce que nos donateurs sont des gens qui comprennent notre engagement. Bien évidemment, d’une façon générale, cette affaire renforce ceux qui voudraient que les ONG aient moins de moyens et de force d’intervention publique et c’est aussi un danger pour la survie de certaines associations.

Il n’y a aucune analyse, pour le moment, réalisée dans le secteur en général par rapport à ça, mais la vox populi, et c’est normal, se dit qu’elle ne va pas donner de l’argent pour qu’il soit détourné en Espagne.

C’est effectivement un coup énorme pour le secteur associatif au Luxembourg. Il faut souligner encore que cela ne doit pas être une occasion de démanteler tout un secteur. C’est déjà le cas pour Caritas.

L’arrêt de ses activités internationales ne semble pas émouvoir le ministère de la Coopération. Qu’en pensez-vous ?

Il y avait déjà des signaux du côté du ministère de la Coopération, bien avant le scandale de Caritas. Les ONG étaient prévenues qu’il y aurait moins d’argent et d’autres priorités en matière de politique de Coopération.

Le cercle des ONGD (Organisations non gouvernementales de développement) avait pris position au début de l’année pour avertir des coupures budgétaires.

Que pensez-vous de la proposition de loi du LSAP en faveur d’un contrôle plus rigoureux des ASBL disposant de fonds publics ?

Ce n’est que pur opportunisme, sinon de la précipitation. Nous venons de voter une nouvelle loi sur les ASBL après 15 ans de discussions, qui dispose déjà de conditions de gestion et de gouvernance absolument strictes, surtout en ce qui concerne les rapports financiers.

L’ASTI, qui est une association reconnue d’utilité publique, dispose d’un budget annuel qui tourne autour des 3 millions d’euros et, avec la nouvelle loi, nous devons avoir un réviseur d’entreprise agréé. La nouvelle loi est suffisamment élaborée. Il ne faut pas en rajouter parce qu’on a eu un cas de fraude.

Ce n’est pas l’architecture de la gouvernance qui a causé cette situation. C’est un acte criminel. On peut réglementer comme on veut, même dans le secteur financier, s’il y a des criminels à la manœuvre, c’est qu’ils ont réussi à contourner les règles. Inutile de vouloir être plus royaliste que le roi. Les règles existantes sont assez strictes.

Strictes au point de décourager les associations ?

Les associations qui n’ont pas beaucoup de moyens propres, surtout pour le suivi administratif et la gestion, devront arrêter certains projets. Ceci dit, dès qu’il s’agit des deniers publics, il faut faire du rapportage, du contrôle, et ça existe déjà.

Nous y sommes d’ailleurs favorables pour plus de transparence. Nous avons lutté pendant des années pour que les rapports concernant nos conventions soient rendus publics sur le site du ministère de la Famille. C’est le cas depuis quelques années.

Aujourd’hui, il y aura de la transparence pour toute dépense d’argent public, que ce soit dans le domaine de la migration comme dans les autres domaines.

Que dire des banques dans cette affaire de détournement de fonds ?

Je vais vous donner un exemple très concret : il y a quelques années, nous avions besoin d’ouvrir une ligne de crédit pour l’ASTI d’un montant de 80 000 euros. Nous avons eu besoin de quatre signatures et d’être tous présents dans le bureau de l’employé de la banque.

Mais au Luxembourg, comme partout ailleurs, dès qu’on a atteint un certain niveau de notoriété, toutes les portes s’ouvrent plus facilement. Il faut aussi se poser des questions par rapport à cela parce que cela crée deux poids deux mesures dans notre société.

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