La décision a été accueillie dans la panique lundi matin dans le service maternité du CHdN à Ettelbruck. La fermeture provisoire est apparue comme indispensable en attendant de trouver une solution politique pour la sécurité des patientes. Le directeur a bon espoir.
L’annonce a été accueillie ce matin par les pleurs des sages-femmes et dans une panique totale», raconte le Dr Duschinger, gynécologue au CHdN (Centre hospitalier du Nord) à Ettelbruck alors que la fermeture provisoire de la maternité est source de toutes les inquiétudes. «Le personnel périphérique a peur pour des raisons financières et son emploi, même si je pense qu’on n’en arrivera pas là», nuance le docteur également président de la Société luxembourgeoise de gynécologie et d’obstétrique. La réaction des patientes, des femmes enceintes suivies au CHdN, a elle été «extrêmement positive vis-à-vis des gynécologues. Il n’y a pas eu de reproches. Elles connaissent les raisons de cette fermeture», même si bien sûr celle-ci provoque forcément de l’inquiétude.
Seule maternité dans le Nord, alors que celle de Wiltz a déjà fermé ses portes en 2012 par manque de personnel, celle d’Ettelbruck subsiste difficilement et voit la naissance de 800 bébés chaque année. Depuis 2014, la maternité a déjà menacé plusieurs fois de fermer. Comment en est-on arrivé à une décision aussi extrême?
CHEM : «Une bombe prête à exploser»
Depuis la loi passée en 2018 qui impose la prise en charge du nouveau-né en cas d’urgence dans un délai rapide par un médecin spécialiste en pédiatrie, «nous travaillons dans l’illégalité complète», explique le gynécologue. «Nous ne sommes pas les seuls, c’est pareil à Esch-sur-Alzette (au CHEM), c’est une bombe prête à exploser.»
Pourtant, le service fonctionnait tant bien que mal ces dernières années grâce à «l’engagement et les compétences des anesthésistes-réanimateurs du CHdN qui assuraient la réanimation immédiate des nouveau-nés en détresse vitale», indique le Dr Paul Wirtgen, directeur général du CHdN. Mais «ces médecins ne sont pas non plus des néonatologues et ne peuvent pas seuls continuer la prise en charge intensive de ces enfants». Un néonatologue est spécialisé dans la réanimation des nouveau-nés et peut intervenir en salle d’accouchement pour les urgences néonatales. Une situation qui ne pouvait plus continuer ainsi, comme l’ont fait savoir les médecins anesthésistes dans une lettre adressée au conseil d’administration du CHdN qui a procédé à la fermeture en conséquence.
«Crise aiguë du déficit de pédiatres»
Jusque-là, les anesthésistes étaient accompagnés par des pédiatres non spécialisés en néonatologie, des pédiatres de ville qui travaillent essentiellement en cabinet. «C’est un peu comme si vous appeliez un médecin généraliste en cas d’urgence pour un adulte dans un cas très grave alors qu’il a besoin d’un médecin réanimateur», illustre le directeur général. Une situation pour le moins pas idéale mais qui permettait aux anesthésistes d’être couverts selon les modalités de la loi. Même cette solution palliative s’est effondrée ces derniers temps avec notamment des départs en retraite de pédiatres entraînant une «crise aiguë du déficit de pédiatres» qui ne va pas s’arranger, souligne le directeur général qui a pris ses fonctions début avril. «Nous n’avons pas assez de pédiatres les nuits et les week-ends tout comme au CHEM.»
Quelles sont les solutions?
Alors que faire pour rouvrir au plus vite la maternité? Car cette fermeture a un but moins avoué : obliger le gouvernement à réagir. «La ministre de la Santé (Paulette Lenert) s’est exprimée ce matin (hier matin sur RTL) de façon très floue, estime président de la Société luxembourgeoise de gynécologie et d’obstétrique. Elle dit que le problème n’est pas résoluble à courte échéance, que cela peut prendre trois ou quatre semaines. Mais rien ne le garantit, cela peut-être aussi prendre six semaines. Il faut une décision politique pour une solution pragmatique.» Selon lui, la fermeture était indispensable pour entraîner une réaction politique car depuis des années «nous sommes face à un mur». «Il faut travailler dans la légalité, point barre. Là nous en étions très loin, depuis très longtemps et sans être entendus.»
La piste du SAMU néonatal
Du côté de la direction, on assure «travailler très bien avec le ministère de la Santé pour une solution rapide». «Nous sommes trop petits pour avoir un néonatologue à plein temps à l’hôpital, il n’y aurait pas assez de travail pour lui sachant que nous n’avons pas d’enfants malades puisque nous n’avons pas de service de néonatologie.»
La piste envisagée et déjà partiellement utilisée est celle du SAMU néonatal du Centre hospitalier de Luxembourg (CHL) auquel la maternité d’Ettelbruck fait déjà appel deux fois par mois. Pourtant, là aussi ça bloque. «Si en journée les spécialistes sont assez nombreux pour intervenir dans les temps, ce n’est pas le cas la nuit et le week-end. Les délais d’intervention sont certaines fois trop longs car actuellement seul un néonatologue est présent à la Kannerklinik du CHL et un autre est de permanence à son domicile. Le pédiatre ne peut pas abandonner les petits prématurés, il est obligé d’attendre que son collègue arrive. Pour que cela marche, il faut que qu’il y ait deux spécialistes sur place en permanence. Actuellement, la dotation publique ne le permet pas.»
Changer la loi
Ça, c’est pour la solution à court terme. À moyen terme, le directeur envisage une autre piste qui nécessiterait carrément de revoir la loi pour qu’elle soit plus flexible et «beaucoup plus proche de la réalité». «La loi est trop courte et ne précise pas quels types d’actions sont possibles. Il faut analyser ça. Les anesthésistes sont tout à fait capables de réanimer mais il faut que le cadre légal le permette, sans pression juridique.»
Nous n’avons pas pu avoir la réaction de la ministre de la Santé, absente pour la semaine selon son équipe.
Quelques jeunes mamans arrivées avant l’ultimatum finissent leur séjour dans la maternité d’Ettelbruck. Avec leur départ, le service va se vider et le personnel être provisoirement redéployé. Elles sont les dernières à avoir accouché dans le service pour au moins plusieurs semaines, désormais les suivantes seront transférées dans les maternités de la capitale en environ 25 minutes en ambulance. Le directeur souhaite que la maternité reprenne sa mission au plus vite en se limitant aux grossesses à bas risques. En attendant, si une future mère se présente au CHdN en plein travail et en urgence vitale sans pouvoir être transportée, l’hôpital assurera tout de même sa responsabilité.
«Une situation inacceptable»
Avant même que le communiqué de presse annonçant la fermeture provisoire de la maternité d’Ettelbruck ne tombe, les réactions politiques ne se sont pas faites attendre. Dès vendredi, les députés DP André Bauler et Gilles Baum ont interrogé la ministre de la Santé sur la probable fermeture du service et sur les conditions de sécurité de la maternité. Dimanche soir, Jean-Paul Schaaf, Martine Hansen et Claude Wiseler, députés CSV, ont à leur tour envoyé des questions parlementaires adressées à Paulette Lenert. Ils interrogent notamment sur la responsabilité du médecin anesthésiste qui réanime un nouveau-né sans que le médecin spécialiste en néonatologie soit présent : «Peut-il être tenu responsable dans tous les cas?»
Le DP Nord a lui aussi réagi hier dans un communiqué de presse dans lequel il affirme qu’il «s’agit d’une situation inacceptable. Les femmes et les nouveau-nés du nord du Luxembourg ne sont pas seulement défavorisés,
mais il y a aussi un risque sanitaire élevé».