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L’IA et la santé mentale : «Il n’y a aucun cadre thérapeutique ni aucune limite»


Isabelle Kieffer est psychologue et psychothérapeute à Mamer. (Photo : adobe stock)

Selon Isabelle Kieffer, psychothérapeute à Mamer, l’usage de l’intelligence artificielle s’est complètement intégré dans le quotidien de ses patients.

L’IA remplacera-t-elle bientôt les psychologues ? Alors que l’intelligence artificielle a envahi depuis quelques mois le quotidien de nombreux Luxembourgeois, que ce soit au travail ou dans la sphère privée, elle s’immisce également de plus en plus dans le domaine de la santé mentale.

Simple et accessible, l’IA est pour beaucoup l’outil idéal pour confier ses états d’âme ou trouver des réponses à certaines questions. Ce phénomène, Isabelle Kieffer, psychologue à Mamer, le constate depuis plusieurs mois dans son cabinet.

«J’ai pas mal de patients qui l’utilisent dans l’attente du prochain rendez-vous. Dans mon cabinet, comme chez beaucoup d’autres, je suis saturée. Les délais peuvent parfois être très longs», explique la professionnelle.

Conseils sur les relations amicales ou amoureuses ou simples renseignements : l’intelligence artificielle est utilisée dans de nombreux domaines.

«Mes patients peuvent s’en servir pour s’informer sur certains sujets de santé mentale ou simplement pour avoir une discussion, comme ils pourraient l’avoir avec un thérapeute. Ils vont alors questionner l’intelligence artificielle sur des réflexions qu’ils ont sur leur vie. Par exemple, sur la façon de régler certaines situations, sur comment répondre ou interpréter certains SMS. C’est très varié», indique Isabelle Kieffer.

Cette diversité, elle l’observe également du côté du profil des utilisateurs de l’IA. «Il y a évidemment beaucoup d’adolescents ou de jeunes adultes qui utilisent l’intelligence artificielle, mais ce n’est pas la grande majorité. En revanche, c’est un phénomène que l’on observe particulièrement chez les personnes isolées socialement ou chez celles souffrant d’anxiété», poursuit la psychologue et psychothérapeute.

Pour elle, l’IA peut avoir certains avantages. «Il n’y a pas de jugement, pas de stigmatisation. Depuis le covid, nous avons une hausse des besoins en psychothérapie, nous avons beaucoup de patients souffrant de dépression ou d’anxiété. Alors, même si l’IA ne remplacera pas les thérapeutes, une écoute active peut être bénéfique.»

Autre avantage : le coût. Pour certaines personnes, recourir à des séances chez un professionnel peut représenter un budget important. «Au Luxembourg, nous avons la chance que les séances de psychothérapie soient remboursées à hauteur de 70 %. Ce n’est pas le cas pour les psychologues. C’est un coût que tout le monde ne peut pas se permettre», regrette la spécialiste.

«Les algorithmes ne vous contredisent pas»

Pour autant, l’usage de l’IA dans le domaine de la santé mentale soulève de nombreux problèmes. En 2024, un adolescent américain s’est suicidé après avoir développé une dépendance affective à une intelligence artificielle.

D’autres affaires similaires se sont également produites sur le continent européen. «Il y a évidemment beaucoup de risques. Car il n’y a aucun cadre thérapeutique ni aucune limite. Les algorithmes sont faits pour soutenir les idées de ceux qui se confient. Ils ne vous contredisent pas. Cela peut soutenir quelqu’un qui a par exemple des idées malsaines», explique la psychologue.

De plus, le travail réalisé par un thérapeute lors d’une séance ne peut être reproduit par l’IA. «Il n’y a pas de considération du non-verbal ou une prise de conscience des ambivalences d’un patient. Moi, j’analyse les hésitations, les silences. L’algorithme, lui, ne peut pas (…). Les questions sont aussi très génériques, il n’y a rien de profond.»

Isabelle Kieffer est psychologue et psychothérapeute à Mamer.

Autre désavantage de l’IA : la protection des données. Se confier à une intelligence artificielle peut, en effet, représenter un risque de violation de ses informations personnelles. «Il n’y a pas de garantie de confidentialité, alors que c’est la base de la relation thérapeutique.»

Dans le futur, les robots officieront-ils à la place des psychologues ? «Peut-être que dans 15-20 ans, les machines seront aussi performantes qu’un être humain. Je veux croire que non, car je pense qu’un thérapeute sera toujours nécessaire. Les intelligences artificielles ne pourront jamais véritablement nous comprendre.»