En présentant hier son rapport annuel 2024, Médecins du monde Luxembourg a alerté sur l’importance d’enrayer la misère sociale et l’exclusion du droit à la santé qui perdurent d’année en année.
Pour sa dernière présentation d’un rapport annuel en tant que président de Médecins du monde (lire ci-dessous), le Dr Bernard Thill a voulu commencer par une bonne nouvelle hier. «Le bilan 2024 est un bilan heureusement positif grâce à nos nombreux donateurs qui ont continué de nous soutenir durant toute l’année», s’est-il réjoui. L’ONG a enregistré une hausse de 38 % du nombre de ses donateurs par rapport à 2023, qui sont passés de 9 329 à 12 868 en une seule année.
Grâce à eux, 1,3 million d’euros ont été récoltés afin de financer les 3 856 consultations réalisées en 2024. C’est là que se trouve la mauvaise nouvelle : l’ASBL est toujours aussi sollicitée. En un an, le nombre de consultations a grimpé de près de 18 %, ce qui traduit une demande grandissante de la part des laissés-pour-compte du système de soins. «Nos activités visent une population vulnérable, des personnes qui vivent dans la précarité, qui n’ont pas de revenus ou pas de sécurité sociale», rappelle le président.
Changement de présidence en vue
Le Dr Bernard Thill a profité de la présentation du rapport pour glisser une petite confidence : il ne sera plus président d’ici la fin de l’année. Connu pour avoir introduit la médecine palliative au Luxembourg, il laisse sa place à un psychiatre et psychothérapeute, Marc Graas. «L’âme de Médecins du monde», ainsi que le qualifie son successeur, restera néanmoins engagée au sein de l’ASBL.
«40 % des gens reviennent nous voir»
Les 1 209 personnes reçues en 2024 sont une dizaine de plus qu’en 2023, ce qui démontre qu’ils sont toujours autant au Grand-Duché à être exclus «du droit à la santé, un droit pourtant fondamental». Parmi toutes les informations sur leurs profils, le directeur général, entré en fonction le mois dernier, Michel Genet, souligne «que 40 % des gens reviennent nous voir, car ils n’arrivent pas à entrer dans le système».
Le pire étant pour lui que Médecins du monde soigne «des gens au Luxembourg depuis dix ans et qui travaillent, qui font tourner le pays». Le Dr Bernard Thill se souvient encore de la stupeur lorsque «toute une communauté chinoise, près de 2 000 personnes, est venue nous voir pendant la vaccination pour le covid».

L’exclusion du circuit médical est donc un problème chronique, avec «des gens qui parfois reviennent depuis 2018». Chronique comme 61 % des maladies qui touchent les patients telles que les pathologies dentaires, les maladies pulmonaires, le diabète, les toxicodépendances, les maladies psychiatriques ou encore l’hypertension artérielle. Dans ces cas, l’exclusion est d’autant plus dangereuse qu’elle expose les malades à de graves complications s’ils ne bénéficient pas d’un suivi régulier.
D’où le slogan de la nouvelle campagne de plaidoyer présentée en même temps que le rapport : «Dans la rue, les problèmes de santé évitables deviennent des urgences mortelles». Cette phrase fait écho à la situation de près de «75 % des bénéficiaires qui n’ont pas d’adresse officielle», selon Dr Bernard Thill, ce qui les empêche donc d’être affiliés à la sécurité sociale.
Inscrire la CUSS dans la loi
Pour les représentants de Médecins du monde, l’une des solutions qui permettraient de soulager leur activité se trouve dans le projet pilote de la Couverture universelle des soins de santé (CUSS), lancé en 2022. Son rôle est de financer les soins des personnes sans couverture santé. «Nous sommes de grands supporters de la CUSS et notre priorité est qu’elle devienne une loi, parce que, pour le moment, nous sommes dans un entre-deux législatif.» À ce sujet, la ministre de la Santé et de la Sécurité sociale, Martine Deprez, a annoncé en février qu’un audit serait prochainement réalisé avant d’instaurer une loi.
D’ici là, l’ONG va continuer de réaliser le suivi des affiliations à la CUSS (222 consultations l’an passé), mais espère pouvoir un jour «alléger ce suivi social très lourd pour nos travailleurs sociaux». Et pour cause, outre les soins médicaux, l’assistance sociale est aussi très demandée : 1 013 personnes prises en charge en 2024 pour 1 957 démarches.
L’autre doléance adressée au gouvernement concerne la nécessité d’investir davantage en matière de logements adaptés. «Personne dans la rue n’est psychologiquement stable, explique le psychiatre Marc Graas. Avoir un toit fait en sorte qu’ils se stabilisent, qu’ils se lavent plus souvent, qu’ils gardent leur petit royaume propre et qu’ils boivent moins.» Sans toit, «les efforts de nos bénévoles et salariés ne peuvent avoir un succès durable».