Lex Delles est à la tête d’un super-ministère de l’Économie et de l’Énergie. Les défis ne manquent pas et le ministre les a bien dans son viseur, de la production d’hydrogène au spatial, en passant par l’informatique quantique.
La hausse des prix de l’électricité annoncée pour janvier 2025 couplée à une nouvelle structure tarifaire fait débat. Pour le régulateur (l’ILR), il s’agit de responsabiliser les consommateurs à l’heure du tout-électrique. N’est-ce pas contradictoire?
Lex Delles : En premier lieu, j’aimerais rappeler qu’on est encore un des seuls pays dans l’Union européenne à maintenir les prix de l’énergie à un niveau moins cher que le prix du marché. Un budget de 171 millions d’euros est destiné à maintenir la hausse à 30 % du prix de l’énergie tel qu’il est aujourd’hui, et qui a déjà été fixé depuis 2021. Donc il n’y a pas de hausse de prix depuis 2021 au Luxembourg. On voit quand même qu’il y aura, à moyen terme, une baisse du prix de l’énergie.
Raison pour laquelle ce gouvernement s’engage encore à soutenir cette limitation de la hausse du prix de l’énergie. En ce qui concerne la nouvelle structuration décidée par l’ILR, qui n’est pas le ministère, il y a plusieurs raisons à cela. Tout le monde veut avoir un réseau qui fonctionne très bien, qui soit très fort et très fiable, à tout moment.
On notera, d’ailleurs, que le pays est doté d’un réseau formidable, ça aussi, il faut le dire. Les pannes d’électricité au Luxembourg sont quasi inexistantes parce que le réseau est bien entretenu et qu’il est bien élaboré. Cela a aussi un coût. Si on a des investissements énormes dans le réseau pour augmenter sa capacité, ils sont directement répercutés sur le prix de l’électricité.
Effacer les pics de consommation, c’est le but recherché. S’il n’est pas atteint, les ménages en subiront les conséquences, pourquoi et comment?
Pour une meilleure efficience, il faut utiliser le réseau de manière plus rationnelle. La nouvelle tarification que l’ILR a mise en place vise à gommer les pics dans les réseaux qui, dans ces moments-là, doivent avoir une capacité maximale. Si on arrive à enlever les pics, le réseau n’aura pas besoin d’être reconstruit pour être renforcé. Sinon, cela engagera des investissements qui, encore une fois, se répercuteront sur les prix de l’électricité. Cette nouvelle structure tarifaire représentera, peut-être, jusqu’à 200 euros de plus par an pour les ménages, puisqu’ils sont les seuls à être concernés par les compteurs A.
Les ménages ne risquent-ils pas d’être moins tentés par le tout-électrique?
Non, justement. Nous continuons à encourager les pompes à chaleur et les voitures électriques. Les aides de l’État se poursuivent pour installer des panneaux photovoltaïques afin d’être moins dépendants du prix de l’énergie. Nous voulons avancer plus rapidement dans le développement de l’énergie renouvelable au Luxembourg pour être moins dépendants du prix de l’énergie fossile. On a très bien vu, lors de l’agression en Ukraine, que le prix de l’électricité a augmenté. Pas parce qu’il y a une production d’électricité en Ukraine, mais parce qu’il y a encore beaucoup d’électricité qui est produite à partir de centrales au gaz. Et comme le prix du gaz a augmenté, le prix de l’électricité aussi.
Trouver des endroits qui sont opportuns pour le développement des énergies renouvelables
Le gouvernement a annoncé la création d’un groupe de travail que vous allez coprésider avec le ministre de l’Environnement et qui aura pour mission de trouver des solutions concrètes pour le développement des énergies éolienne et photovoltaïque au Luxembourg. Qu’aura-t-il de particulier, quelle est la nouveauté?
Le but de ce gouvernement est d’atteindre les objectifs du PNEC, le Plan national énergie-climat, qui prévoit l’extension de l’énergie renouvelable sur le territoire luxembourgeois à 37 % d’ici 2030. Donc on a encore du chemin à faire et il faut avancer plus vite. Aujourd’hui, avec toutes les procédures, il faut compter 6, 7, 8 voire 10 ans pour le développement d’une seule éolienne. Ce n’est plus acceptable. Il faut faire une première étude, puis une deuxième, puis une troisième et une quatrième!
Il faut chercher à englober certaines études ensemble, à les faire en même temps. Il est arrivé qu’à la fin de toutes les études, le modèle d’éolienne n’existait même plus. Donc tout le travail a été fait pour rien… Le deuxième grand problème qu’on a avec le développement du photovoltaïque et de l’éolien, c’est la place disponible au Luxembourg pour les installations.
C’est la raison pour laquelle nous avons organisé cette rencontre dernièrement à Senningen, et créé un groupe de travail, pour justement aller plus vite, faire plus, et à des endroits où, aujourd’hui, ce n’est pas possible de le faire. Il faut maintenant trouver des endroits qui sont opportuns pour le développement des énergies renouvelables.
Quelles ont été les premières solutions concrètes à l’issue de cette rencontre?
Par exemple, il est interdit au Luxembourg d’installer des panneaux photovoltaïques ou des éoliennes le long des autoroutes, alors que de nombreux autres pays le font. Pourquoi? Parce que l’on se trouve dans des zones non constructibles, au cas où les autoroutes devraient être élargies. Très souvent, ces terrains appartiennent à l’État. Une première étude a été réalisée en janvier pour installer des panneaux photovoltaïques le long de l’A13, donc de Luxembourg-Ville vers la France, jusqu’à la frontière. On a ici un potentiel de 150 mégawatts de panneaux photovoltaïques dans des zones où, pour l’instant, c’est interdit. D’ici le mois de décembre, on aura terminé l’étude pour l’entièreté du réseau des autoroutes au Luxembourg.
Et pour l’éolien?
Pour les éoliennes, il faut actuellement rester à X mètres des habitations et on voit que les terrains disponibles sur lesquels on peut encore construire des éoliennes au Luxembourg sont très limités. Est-ce que ça fait encore du sens de rester à une distance X des autoroutes? Une des raisons pour lesquelles il faut garder cette distance de l’autoroute n’est plus d’actualité. Quand les pales étaient gelées en hiver, on craignait des projections de glace sur l’autoroute à leur démarrage, et ça faisait du sens.
Mais aujourd’hui, les pales sont chauffées depuis des années. C’est aussi une des questions dont on a discuté et qu’on va approfondir avec les différents acteurs, c’est-à-dire les communes, la Fedil, la Chambre des métiers, les architectes, pour voir où est-ce qu’on peut encore faire un développement, où est-ce qu’il y a des blocages et comment, en simplifiant nos procédures, on peut accéder plus rapidement à l’énergie renouvelable. On attend les conclusions, au plus tard, pour avril 2025.
Comptez-vous sur aussi sur l’hydrogène vert pour accélérer le mouvement? Le récent appel à projets a-t-il déjà porté ses premiers fruits? N’eut-il pas fallu se tourner plus tôt vers l’hydrogène vert?
La stratégie de l’hydrogène a été lancée en 2021. Aujourd’hui, on a lancé l’appel à projets pour avoir une production au Luxembourg d’hydrogène à base d’électricité verte au Luxembourg qui est en surplus, donc une fois que le Luxembourg aura une production de 110 % de l’électricité dont il a besoin, ce qui n’est pas pour demain.
Cependant, il faut quand même avoir une certaine production d’énergie pour avoir l’expertise dans ce domaine. On travaille aussi ensemble au niveau européen avec la Belgique, la France, l’Allemagne, pour le réseau de pipelines d’hydrogène vert produit au Danemark ou en Finlande où le Luxembourg a investi également. Si on n’a pas d’hydrogène vert demain, il n’y aura pas d’industrie après-demain. Le développement et la décarbonisation dans l’industrie se font d’un côté par l’électrification, mais aussi par l’hydrogène.
Cet appel à projets, d’un budget total de 110 millions d’euros, s’inscrit dans la volonté du gouvernement de soutenir la transition énergétique et de réduire la dépendance aux énergies fossiles. La période de dépôt des candidatures s’étend du 31 octobre 2024 au 15 février 2025.
Le Luxembourg a remporté un appel d’offres lui permettant d’installer et d’héberger un ordinateur quantique, le 7e en Europe. Il est d’une importance capitale pour la recherche fondamentale, mais quels sont ses bénéfices économiques pour le Luxembourg? Que représente aujourd’hui l’économie numérique?
L’ordinateur quantique que le Luxembourg va installer est un projet qui coûte 17 millions d’euros, payé à moitié par EuroHPC et à moitié par le Luxembourg. Si nous avons participé à cette soumission pour l’ordinateur quantique, c’est pour rester à la pointe de l’innovation au niveau mondial. Avec cet ordinateur quantique, on va avoir l’expertise des chercheurs et des personnes qui peuvent faire tourner cet ordinateur quantique qui a un tout autre fonctionnement. L’ordinateur quantique fonctionne en 3D et sa capacité augmente de façon exponentielle.
$Il sera utile dans de nombreux secteurs, de la recherche des matériaux à la médecine personnalisée, en passant par la technologie financière, etc. Un dernier exemple est la simulation climatique : l’informatique quantique permettra de calculer des interactions complexes entre de nombreux paramètres, rendant ainsi les modèles climatiques plus performants.
À partir du moment où cet ordinateur quantique fonctionne bien et qu’il est à la disposition de nos entreprises, il peut y avoir des retombées économiques directes. On fait nos premiers pas pour avoir l’expertise que nous n’avons pas encore au Luxembourg, du moins pas à un niveau assez élevé.
Comment se porte l’écosystème spatial, huit ans après le lancement de l’initiative Space Resources, en 2016? Que représente le secteur dans l’économie luxembourgeoise et quel accueil a reçu le pays à l’International Astronautical Congress à Milan en octobre dernier?
Le secteur spatial a pu se développer au Luxembourg grâce au soutien du gouvernement depuis maintenant trois décennies. On a un écosystème au Luxembourg qui fonctionne, pour lequel on a pour l’instant aux alentours de 80 acteurs qui travaillent directement dans le secteur du spatial, soit 1 400 emplois qui sont directement liés au secteur. Mais on a aussi des entreprises qui travaillent dans le spatial et dans le développement industriel normal. Par exemple, les recherches sur les matériaux qui sont beaucoup plus légers pour le lancement dans l’espace. C’est pour cela que c’est intéressant d’avoir aussi ces entreprises.
Le Luxembourg est fortement reconnu au niveau du développement spatial à travers le monde. On l’a vu à notre stand à Milan, par la qualité des entreprises qui étaient sur place, plutôt renommées au niveau du spatial. Il y avait énormément de rendez-vous pris pendant ce congrès, que ce soit avec les entreprises ou moi-même en tant que ministre responsable du développement spatial, ou avec d’autres agences spatiales. Nous sommes confrontés à des défis urgents, tant dans le secteur spatial que dans notre vie quotidienne.
Je suis convaincu que l’espace a le potentiel de contribuer et d’apporter des réponses précieuses à ces défis. Les infrastructures publiques et privées et les données générées par l’espace ont un rôle majeur à jouer à cet égard.
Vous êtes à la tête d’un super-ministère de l’Économie. Avez-vous les yeux sur tout?
Pour ce gouvernement, il est très important de mettre ensemble l’énergie et l’économie, parce que tout ce qui a trait à l’énergie, c’est le défi de notre industrie et de notre économie dans les années à venir. C’est pour ça qu’il était important d’avoir le département de l’énergie au sein du ministère de l’Économie, pour justement pouvoir répondre à ces défis de l’économie luxembourgeoise.
Je le répète encore, mais si notre industrie n’a pas d’hydrogène demain, il n’y aura plus d’industrie. C’est pour ça que c’est fortement lié. C’est important d’avoir les liens directs au sein d’un seul ministère. Oui, c’est un ministère qui est très grand, mais les relations sont plus directes entre les différentes directions générales. C’est pour ça que ça fait du sens d’avoir l’ensemble des compétences au sein du ministère de l’Économie.
La construction est un secteur essentiel pour l’économie luxembourgeoise et il se porte mal…
Le secteur de la construction est encore en difficulté. Le gouvernement a développé des aides et pris des mesures de soutien comme l’acquisition de logements directement par le ministère du Logement. On voit qu’il y a encore des difficultés au niveau des prêts. Avec la baisse du taux d’intérêt, on observe une légère hausse des ventes de maisons et appartements déjà construits.
Mais les VEFA (NDLR : ventes en l’état futur d’achèvement) sont toujours à un niveau très bas. L’État a tout fait au niveau de l’imposition, au niveau des différentes aides par le ministère du Logement et par le ministère des Finances. Maintenant, c’est une question du prix du logement. On voit que les logements déjà construits se vendent plus facilement que les nouvelles constructions.
Formation. Lex Delles, né le 28 novembre 1984, a entamé des études de droit à l’université du Luxembourg avant d’être diplômé en sciences pédagogiques à la Haute École Robert-Schuman (HERS) à Virton (Belgique).
Démocrate. Lex Delles s’engage dès 2010 auprès de la Jeunesse démocrate et libérale du Luxembourg (Jonk Demokraten – JDL). Il relance la section de la JDL à Mondorf-les-Bains. Il est président du DP depuis juin 2022.
Député-maire. Il se présente pour la première fois aux élections communales en 2011 et est élu d’emblée premier échevin de Mondorf-les-Bains. En janvier 2014, il est assermenté bourgmestre de sa commune natale. En 2013, Lex Delles est élu à la Chambre des députés et devient en 2014, à l’âge de 29 ans, le plus jeune député-maire du pays.
Profession. Après ses études, Lex Delles entame une carrière d’instituteur au sein de l’école fondamentale à Lenningen.
Ministre. Lex Delles fait son entrée au gouvernement comme ministre des Classes moyennes et ministre du Tourisme le 5 décembre 2018. En 2023, il est nommé ministre de l’Économie, des PME, de l’Énergie et du Tourisme dans le gouvernement de coalition entre le Parti chrétien-social (CSV) et le Parti démocratique (DP).