Si le législateur décide de modérer le réajustement des retraites aux salaires, l’écart va se creuser entre les actifs et les pensionnés et la cohésion sociale risque d’en pâtir.
En mai dernier, la Chambre des salariés avait déjà publié un rapport détaillé sur les effets de la réforme des pensions de 2012 qui portera pleinement ses fruits en 2052, avec, d’ici là, une détérioration progressive. La pension d’un salarié rémunéré toute sa carrière au salaire moyen, sera presque 13 % plus faible qu’elle ne le serait sans la réforme. De plus, le niveau des pensions ne sera prochainement plus intégralement ajusté à l’évolution des salaires.
Selon le calcul de la Chambre des salariés, la combinaison des deux dégradations signifie qu’après 25 ans en retraite, un salarié moyen aura une pension qui sera entre 23 et 32 % plus faible qu’en absence de réforme. La CSL craint déjà un taux de pauvreté des retraités condamné à la hausse.
L’ajustement à l’évolution des salaires va se détériorer dès 2027. Jusqu’à présent, lorsque les salaires réels au Luxembourg augmentent de 2 %, le réajustement garantit que les pensions soient aussi augmentées de 2 % pour éviter qu’un écart se creuse entre les deux. Ce système assure aussi que les gains de la productivité et du niveau de vie au sein d’une économie que les pensionnés ont aidé à construire, soient partagés entre les actifs et les retraités. «Le mécanisme de réajustement est ainsi primordial à la fois dans une optique d’équité intergénérationnelle que dans une optique de cohésion sociale», souligne la CSL.
Des hausses annuelles à hauteur de 1 %
Au cours des 25 dernières années grâce au système de réajustement, les pensions ont connu des hausses annuelles moyennes à hauteur de 1 %, hors indexation automatique. L’effet cumulé de ces ajustements sur plusieurs années est très important.
La CSL cite l’exemple des retraités avec des carrières exclusivement luxembourgeoises qui perçoivent la pension de vieillesse depuis l’année 2000. En moyenne, ceux-ci ont perçu une pension moyenne mensuelle de 3 264 euros en janvier 2023. Ce niveau de pension moyenne ne leur est alloué que grâce aux réajustements pendant les 23 dernières années. Sans réajustement durant toute cette période, ces retraités auraient eu en janvier 2023 une pension de seulement 2 603 euros, soit 20 % en moins, calcule la CSL.
Ainsi, la pension de vieillesse moyenne des personnes en retraite depuis 2000 ne représenterait plus que 46,5 % du salaire équivalent temps plein (ETP) moyen de la population de référence, mais grâce au système de réajustement ce taux est maintenu à 58,4 %. Même exemple avec une pension minimum : sans réajustement, le retraité aurait perçu en 2023 une pension mensuelle de 1 691 euros au lieu de 2 121 euros. Pour la CSL, ces chiffres démontrent que le système actuel est essentiel pour tous les retraités. Mais il est en danger, prévient-elle.
«Danger non négligeable»
En effet, la réforme des pensions a instauré un mécanisme semi-automatique qui limite le réajustement des retraites existantes et réduit la hausse annuelle de la pension à laquelle auraient droit les retraités. Selon l’Inspection générale de la sécurité sociale (IGSS), un tel scénario devrait se réaliser dès l’année 2027. La modération du réajustement prévue par la réforme devrait s’effectuer par une loi réduisant le modérateur de réajustement à un niveau inférieur ou égal à 0,5. Lorsque les salaires réels augmentent de 1 %, les pensions ne sont augmentées qu’à hauteur de 0,5 %. Une telle situation signifie que toute hausse du salaire réel contribue à une hausse des inégalités entre retraités et actifs.
Selon la CSL, rien n’empêche que, le moment venu, le législateur fixe le modérateur de réajustement à 0, ce qui reviendrait à ne pas du tout réajuster les pensions à la hausse du salaire réel. La chambre professionnelle prévient que le réajustement doit être considéré comme un facteur précieux du système de pension luxembourgeois.
«La remise en question de ce système constitue un danger non négligeable sur la cohésion sociale», insiste la CSL. En effet, avec un taux de pauvreté des personnes âgées déjà en forte progression (11,6 % en 2022 contre 6,1 % en 2012), la modération du réajustement risque d’aggraver la situation davantage.
Le gouvernement qui veut initier un débat sur une réforme des retraites serait donc mal avisé de vouloir toucher au système actuel de réajustement. Le sujet sera pourtant abordé quand il s’agira de savoir comment assurer le niveau des retraites à l’avenir.