Quelques semaines après l’arrivée massive de réfugiés ukrainiens fuyant la guerre dans leur pays, Pierre Reding, le directeur général de l’Intégration au ministère de l’Éducation nationale, fait le point sur l’offre scolaire proposée aux enfants.
Un peu plus de 1 000 enfants ukrainiens en âge d’être scolarisés seraient présents sur le territoire luxembourgeois. Un chiffre «en deçà» de celui escompté, mais qui reste important.
Un «vrai défi logistique» pour le ministère de l’Éducation nationale, qui, par la voix de Pierre Reding, le directeur général de l’Intégration, détaille les mesures mises en place dès la mi-avril.
Plus de 1 000 enfants vont devoir intégrer rapidement les écoles luxembourgeoises. Est-on prêts à les accueillir ?
Pierre Reding : Nous agrandissons l’offre déjà existante. Nous ne mettons pas quelque chose de très particulier en place spécifiquement pour les Ukrainiens, nous essayons de faire la même chose pour les autres réfugiés.
Normalement, au début de chaque année scolaire, nous anticipons déjà l’arrivée de potentiels réfugiés, au secondaire comme au fondamental. Nous accordons ainsi aux écoles des postes et des classes d’accueil pour les recevoir. Nous en avons à peu près 40 au début de chaque année scolaire.
Maintenant, il est vrai qu’avec l’arrivée d’un peu plus de 1 000 enfants ukrainiens, à ce stade (début avril), nous sommes dépassés et avons dû créer des offres supplémentaires. Nous avons été étonnés par le nombre d’enfants. Je m’attendais à deux tiers d’enfants, un tiers d’adultes.
Mais finalement, nous avons compris qu’en fait ils ont amené aussi beaucoup de personnes âgées. C’est donc plutôt un tiers d’enfants, beaucoup entre 0 et 15 ans, un tiers d’adultes, surtout des mères, et un tiers de personnes âgées. Le nombre est moins important qu’attendu, mais quand même, cela reste un défi important pour l’Éducation nationale.
Que proposez-vous pour les enfants âgés de 3 à 6 ans ?
Ces enfants pourront fréquenter le préscolaire du village, quartier ou de la commune où ils habitent, pour leur éviter un voyage scolaire trop important. À cet âge, nous élaborons des contenus qui ne sont pas dépendants de la langue : le développement moteur, la logique, etc. Cela passe surtout par des jeux, qui ne dépendent pas de la langue proprement dites, donc ils peuvent se tourner vers les écoles locales.
S’il y a une grande communauté, comme une structure d’hébergement avec beaucoup d’enfants à l’âge du préscolaire, alors nous ajouterons une classe, soit au sein même de la structure d’hébergement, soit dans l’école communale. Nous privilégions plutôt cette deuxième option, pour que les enfants puissent sortir de la structure et voir autre chose.
Les capacités dans les crèches et maisons relais seront-elles également revues à la hausse ?
Oui, le ministère a demandé aux crèches et maisons relais d’augmenter le nombre de classes. De toute façon, dans les classes étatiques et les annexes mises en place dans tout le pays, il y aura des maisons relais, de la restauration et des prises en charge extrascolaires.
Pour le paiement, s’ils ne travaillent pas, l’État prendra en charge, comme pour chaque nécessiteux. S’ils travaillent, ils paieront et profiteront des chèques-services.
À l’école « normale », il nous manque des enseignants
Les écoles européennes ont été fortement recommandées aux réfugiés ukrainiens pour la scolarité des 6-12 ans. Pourquoi ce choix ?
Nous avons l’ambition de leur offrir une scolarisation qui tient compte de leur parcours scolaire, de l’ambition, des points forts de l’enfant, mais aussi de son projet de vie. Avant d’organiser leur instruction, nous avons réfléchi avec la communauté ukrainienne ici au Luxembourg et nous avons aussi consulté l’organisation scolaire en Ukraine, pour voir ce que nous pouvions organiser au mieux pour ces enfants et ce qui est organisable.
Pour les enfants du fondamental, donc, nous avons laissé le choix aux parents, en leur proposant deux options : soit l’école locale, avec des cours d’accueil, où leur enfant apprendra le français ou l’allemand. Soit l’inscription dans une classe internationale.
Effectivement, nous recommandons ce type de scolarisation aux parents ukrainiens, tout simplement parce que ces établissements se sont multipliés ces dernières années dans le pays et ont la possibilité d’embaucher des enseignants anglophones ou autres.
À l’école « normale », il nous manque des enseignants, et dans ces écoles internationales, le marché va de la Nouvelle-Zélande au Canada, et ils peuvent donc embaucher des gens de tiers pays. L’enseignement de l’anglais est aussi ici très important.
Nous avons tenu compte des projets de vie des enfants. Ils peuvent parler anglais dans leur pays d’origine et traverser le monde, s’inscrire dans une université à travers toute l’Europe… C’est essentiellement pour ces raisons.
Le Luxembourg dispose actuellement de cinq écoles internationales réparties sur le territoire. Ont-elles suffisamment de places, au regard des listes d’attente déjà très longues pour intégrer ces établissements ?
Nous pensons que cette rentrée-ci, avec le lycée Gaston-Thorn à Luxembourg qui va accueillir des élèves, nous arriverons à diminuer la longueur des listes d’attente. Mais ce sont là deux choses distinctes : les listes d’attente regroupent essentiellement des demandes très précises qui n’ont rien à voir avec celles des réfugiés.
De plus, chaque lycée aura des annexes. Nous allons créer un réseau d’écoles qui fonctionneront sous l’égide de ces lycées. Le lycée de Mersch aura ainsi une annexe à Diekirch et à Redange-sur-Attert pour permettre aux enfants d’y aller.
Même chose pour Junglinster, avec une annexe à Echternach et une autre à Berbourg et Sandweiler. Nous aurons un réseau qui couvre tout le pays, pour éviter les longs voyages et répondre aux besoins.
Je sais qu’il y a des personnes qui expriment des jalousies par rapport aux Ukrainiens, qui nous disent qu’ils sont considérés comme des réfugiés première classe… Mais nous ne faisons pas la différence entre réfugiés et enfant nouvellement arrivé au Luxembourg pour une tout autre cause. Ils sont considérés de la même façon, peu importe d’où ils viennent.
La prise en charge de l’Éducation nationale n’est pas dépendante du statut de l’enfant. L’obligation scolaire pour les enfants ne dépend pas non plus de leur statut. La loi utilise le verbe, très limpide je trouve, « habiter au Luxembourg », et non pas « résidents ».
Un projet de loi adopté le 31 mars par la Chambre vise à créer des postes de médiateur dans les classes étatiques et à simplifier les critères d’embauche d’enseignants supplémentaires. En quoi consistera ce rôle de « médiateur » ?
Effectivement, dans ces classes-là, il y aura la présence de personnels ukrainophones. Ce seront des médiateurs interculturels, qui seront là pour aider les écoles à accueillir les familles, pour leur expliquer le système, etc. Mais aussi pour nous orienter sur ce que les Ukrainiens attendent de l’école, nous expliquer parfois certaines réactions, les différences de culture…
Ces personnes-là seront également présentes dans les classes des lycées. Elles ne peuvent pas être présentes dans toutes les écoles primaires du pays, il nous en faudrait 300. Mais la Chambre vient d’adopter ce projet de loi qui prévoit d’embaucher 80 médiateurs culturels, nous sommes très contents.
Ils joueront un rôle de personnes de confiance pour les enfants, qui, à un certain moment, voudront peut-être exprimer leurs soucis. Moi, j’aimerais exprimer mes soucis dans une langue que je maîtrise. La présence de ces médiateurs est donc très importante.
Cette vague de réfugiés me rappelle celle des Balkans dans les années 90
La priorité sera-t-elle axée sur l’apprentissage des langues pour leur permettre une meilleure intégration ?
Non, nous ne devons pas négliger les autres besoins de ces jeunes. Si l’apprentissage de l’anglais me semble essentiel, les enfants ukrainiens développent également beaucoup d’intérêt pour les sports, la musique et la danse, des domaines que nous négligeons.
La tradition slave l’emporte certainement. Nous devons leur offrir aussi des cours dans tous les domaines de développement et pas exclusivement en langues.
Avez-vous constaté une différence entre l’arrivée de cette vague de réfugiés par rapport aux précédentes, notamment en 2015 ou dans les années 90 ?
Celle-ci ressemble plutôt à celle des Balkans dans les années 90 : c’était aussi une population très précise. Un nombre de personnes important, à un moment précis, en provenance d’un seul pays. Si les habitants des Balkans provenaient de différentes « ethnies », ils avaient des points communs et parlaient tous serbe ou croate. À ce moment-là, il y avait aussi une communauté déjà présente au Luxembourg. C’est la même chose avec les Ukrainiens.
En 2015, les gens venaient d’ici et de là, beaucoup d’Afrique, mais aussi de Syrie, de l’Afghanistan. C’était différent.
À partir de quand verrons-nous de jeunes Ukrainiens dans les écoles luxembourgeoises ?
J’espère bien voir les premiers enfants ukrainiens à l’école à la rentrée après Pâques. Nous mettons tout en œuvre depuis trois semaines, notamment avec la direction de la Santé, pour que la priorité soit la scolarisation. J’ai vu des enfants qui veulent absolument intégrer l’école. Mais n’oublions pas : la guerre est dans leur tête. Ils souhaitent savoir ce qui se passe dans leur pays, entendre leur père ou leur frère rester là-bas. C’est devenu leur vie quotidienne. Il faudra aussi en tenir compte en leur proposant un suivi psychologique adéquat.
80 médiateurs culturels vont être embauchés
Une forte demande pour l’apprentissage du français
Pierre Reding : «Il ne faut surtout pas oublier les adultes, qui sont aussi des apprenants potentiels. La demande des parents est très grande, surtout en ce qui concerne l’apprentissage de la langue française pour aller travailler. Nous savons très bien que la « langue de survie » au Luxembourg reste le français, c’est plus simple.
Le service de la formation des adultes a donc créé 600 places pour leur permettre d’apprendre le français. Pour les autres langues, c’est l’Institut national des langues qui avait encore des disponibilités, essentiellement pour l’allemand et l’anglais. La langue luxembourgeoise n’est pas la première nécessité, nous le savons : ils n’ont pas comme projet de vie de rester au Luxembourg, ils voudront retourner dans leur pays.»