Malgré l’odeur de soufre qui plane sur le monde des cryptomonnaies, certains investisseurs tentent d’introduire les NFT dans le monde des galeries d’art et des musées.
Découper virtuellement un tableau en petits carrés, associés chacun à un NFT («non fungible token», ou «jeton non fongible») : c’est ce que propose Artessere, une entreprise créée par Anaida Schneider, une ancienne banquière du Liechtenstein. Chaque NFT, sorte de certificat de propriété électronique, est vendu de 100 à 200 euros, ce qui permet, selon cette dernière, de «démocratiser l’art».
«Tout le monde n’a pas 100 000 dollars, ou un million, à investir. D’où cette idée de créer une espèce de fonds commun de placement» permettant d’investir sur une œuvre bien réelle, en s’appuyant sur la technologie de la «blockchain», a-t-elle indiqué.
Un registre numérique réputé infalsifiable
Les «blockchains» sont des sortes d’immenses registres numériques partagés entre une multitude d’utilisateurs, sans autorité centrale et réputés infalsifiables. Elles ont été rendues célèbres par les cryptomonnaies, qui s’appuient sur cette technologie.
Artessere a démarré l’an passé et propose des œuvres de représentants de l’art soviétique non conformiste, comme Oleg Tselkov (1934-2021) et Shimon Okshteyn (1951-2020). Selon Anaida Schneider, l’entreprise prévoit de garder les tableaux une dizaine d’années au maximum avant de les revendre sur le marché. La plus-value sera alors partagée entre les propriétaires des NFT des tableaux.
Flou autour des droits
Mais que se passe-t-il si l’œuvre perd de sa valeur, où si elle est détruite? «Nous sommes assurés», affirme Anaida Schneider. Quant à la perte de valeur éventuelle, «nous pensons que cela n’arrivera pas. Nous sommes des experts. Nous savons ce que nous faisons», affirme-t-elle.
L’ancienne banquière dément que son objectif soit uniquement spéculatif, et assure que son projet respecte complètement la loi sur la «blockchain», adoptée par le Liechtenstein en 2019. La principauté et paradis fiscal a été l’un des premiers pays au monde à approuver une loi spécifique pour encadrer les activités basées sur cette technologie.
Selon un sondage réalisé au premier trimestre par le site web Art+Tech Report auprès de plus de 300 collectionneurs, quelque 21 % d’entre eux avaient commencé à acheter des NFT représentant une fraction d’une œuvre d’art. Les NFT du monde de l’art représentaient en 2021 une valeur cumulée d’environ 2,8 milliards de dollars, selon un bilan de la société française NonFungible.
Pourtant, le flou qui entoure encore les droits attachés à un NFT lié à une œuvre d’art dissuade les musées publics d’exploiter le filon. En Italie, où le patrimoine artistique est immense, le ministère de la Culture a déclaré qu’il suspendait ses projets de création de NFT liés à des œuvres d’art, faute de sécurité juridique.
Léonard de Vinci numérique
Une entreprise italienne, Cinello, a signé des contrats avec des musées de la péninsule pour vendre des reproductions numériques de leurs trésors artistiques. Mais le NFT associé n’est qu’une option proposée à l’acheteur, souligne Cinello, soucieuse de se démarquer de l’emballement autour des «jetons non fongibles».
Cinello vend une reproduction numérique haute définition de l’œuvre, qui est contenue dans un boîtier électronique remis à l’acheteur. Ce boîtier est relié à un écran aux dimensions de l’œuvre, entouré d’un cadre artisanal reproduisant le cadre original. La reproduction numérique est protégée par un système de code, et fournie avec un certificat d’authenticité qui peut, le cas échéant et si l’acheteur le demande, être complété par un NFT.
Cinello indique avoir déjà numérisé 200 œuvres, dont celles d’illustres maîtres comme Léonard de Vinci, et affirme que ses reproductions ont déjà assuré 296 000 euros de revenus aux musées italiens partenaires.
D’une manière générale, le fondateur de Cinello, l’ingénieur informatique Francesco Losi, se montre encore sceptique sur le potentiel des NFT dans le domaine de l’art. «Je ne dis pas que les NFT vont disparaître», précise-t-il, mais beaucoup sont «utilisés de manière incorrecte».