« Les modérés, nous sommes les grands perdants » en Catalogne, assure Santi Vila, qui fut membre du gouvernement régional indépendantiste de Carles Puigdemont jusqu’à la veille de la déclaration d’indépendance et est désormais qualifié de « traître » pour avoir refusé le choc frontal avec Madrid.
Pendant des mois, cet homme politique et historien de 44 ans, ami personnel de Puigdemont, a participé à une discrète médiation en coulisses avec le gouvernement espagnol, à la recherche d’une solution.
Il a démissionné juste avant la proclamation de la « République catalane » du 27 octobre 2017 qu’il avait tenté d’éviter jusqu’à la dernière minute et qui entraina la mise sous tutelle de la région par Madrid.
Dans son livre « Héros et traîtres », il rassemble ses souvenirs sur ces semaines critiques qui ont secoué l’Espagne, en accusant ses anciens compagnons indépendantistes de poursuivre un rêve impossible, en dehors de la légalité, et de faire primer l’émotion sur la raison.
« Le pragmatisme a fait défaut. En politique, le rêve est très important mais le sens des réalités aussi », affirme à l’AFP l’ancien « ministre » , barbe noire soigneusement taillée, dans la cafeteria d’un luxueux hôtel de Barcelone.
« Il faut avoir des idéaux mais garder les pieds sur terre. Quand l’écart est trop grand, tout s’effondre ».
«Nous avons régressé»
Le rêve indépendantiste s’évanouit: le gouvernement catalan a été destitué, Puigdemont et plusieurs de ses anciens ministres sont partis en Belgique, d’autres ont été placés en détention provisoire et l’administration régionale est contrôlée depuis Madrid, pour la première fois en 40 ans.
« Nous avons régressé », déplore Vila. « Maintenant, la revendication du catalanisme consiste à récupérer l’autonomie (suspendue) et à obtenir l’amnistie pour les prisonniers », comme après la mort du dictateur Francisco Franco en 1975.
Une nuit décisive lui a laissé des remords: celle du 25 au 26 octobre quand, à 03H00 du matin, Puigdemont était finalement résolu à convoquer lui-même des élections régionales plutôt que de proclamer unilatéralement l’indépendance.
Vila lui conseilla d’attendre le matin pour le faire… et Puigdemont changea d’avis, sous la pression des critiques de son camp et des accusations de « traîtrise » sur Twitter.
« Ca a été une erreur », dit-il, sourire contrit.
La modération passée de mode
Cette semaine, les indépendantistes catalans n’ont pas modéré leur programme, au contraire.
Ils se sont engagés à mettre en œuvre la république – proclamée sans résultat – et à ébaucher une Constitution catalane qu’il faudrait faire approuver par un référendum, vraisemblablement déclaré illégal comme la consultation sur l’indépendance interdite du 1er octobre 2017.
« Le projet indépendantiste doit apprendre qu’il lui faut agir toujours dans le cadre de l’ordre juridique », dit Vila.
Et surtout obtenir davantage d’appuis, dit-il, en rappelant qu’aux deux derniers scrutins de 2015 et 2017, les formations séparatistes n’ont pas passé la barre des 50% des voix, même si elles ont la majorité en sièges du fait de la sur-représentation des zones rurales, plus indépendantistes.
« Il y a beaucoup d’erreurs d’analyse dans l’indépendantisme, l’une d’elles consiste à surestimer ses soutiens alors qu’il a été démontré qu’on arrive à un ex-æquo » dans la région entre pro et anti-indépendance.
« Un projet d’une telle ampleur a besoin d’une majorité plus large », insiste-t-il.
L’indépendance en 18 mois? Raté !
Les critiques qu’il a formulées ont indigné dans les rangs indépendantistes: « livre truffé de contre-vérités » pour nourrir son ego, « bassesse morale indescriptible », ont tranché deux de ses anciens collègues du gouvernement.
« C’est un exercice d’honnêteté que les citoyens méritaient », réplique celui qui contredit, en quasiment 200 pages, de nombreuses assertions du gouvernement de Puigdemont formé en 2016, quand il promettait l’indépendance en 18 mois.
« Au gouvernement, nous ne travaillions pas à préparer une nouvelle république pour le lendemain de la déclaration d’indépendance », écrit-il, alors que le camp indépendantiste a assuré disposer déjà d’une administration fiscale propre, de facilités de financement ou de soutiens internationaux.
Etait-ce du bluff? Jusqu’au dernier moment, Puigdemont espérait « qu’en gagnant de la force politique, nous allions parvenir à arracher au gouvernement espagnol un accord pour un référendum » d’autodétermination, comme en Ecosse, explique Vila.
Retiré pour le moment de la politique, il se consacre à des cours à l’université et à l’entreprise privée, en attendant que « la modération revienne à la mode en Catalogne ».
Le Quotidien / AFP