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«Les maisons de retraite ne sont pas que des mouroirs»


Toute la bande a déjà donné trois représentations au grand public, avec succès.

La résidence «Op der Rhum» de Luxembourg met à l’honneur depuis plusieurs années ces aînés en proposant un spectacle alliant théâtre, chant et danse assise. Reportage.

Il y a des talents qui se révèlent avec l’âge. Derrière les murs du Servior «Op der Rhum», c’est même une certitude. Voilà cinq ans que les pensionnaires de cette maison des aînés brûlent les planches en proposant leur spectacle «Déi 5 Villercher».

La Philharmonie leur a ainsi ouvert ses portes à plusieurs reprises. Et le Trifolion d’Echternach s’apprête à les accueillir à son tour, en avril prochain. Une vraie reconnaissance pour les 25 participants, dont la moyenne d’âge se situe autour des… 80 ans. Mais qui a dit que l’art était réservé aux plus jeunes? Certainement pas nous.

Une naissance durant le Covid-19

C’est un article sur la «danse assise» pour seniors qui nous a tout d’abord poussés à ouvrir les portes du Servior, en plein cœur de la capitale luxembourgeoise. Une pratique peu connue et courante, sur laquelle nous voulions mettre l’accent. Mais très vite, il est apparu que l’angle de cet article allait être tout autre…

Laissez-nous vous raconter. L’histoire des «5 Villercher» commence lors de la pandémie de Covid-19. Alors que les aînés étaient forcés à l’isolement, Robert Bodja, éducateur dans le centre, décide de les initier au théâtre, en leur rendant visite quotidiennement dans leurs chambres pour pratiquer.

«J’ai toujours aimé proposer des activités originales, qui sortent du cadre institutionnel», dit-il, rappelant que des cours de djembé sont réalisés au sein de la maison de retraite depuis plus de dix ans, avec succès. «J’aime innover et proposer des activités qui permettent davantage d’inclusion.»

De la joie avant tout

De fil en aiguille, une histoire autour de cinq petits oiseaux émerge de ces cours et lance alors pour la première fois la pièce des «5 Villercher». Si le théâtre reste au centre de ce projet, la pièce fait aussi la part belle aux chants et à la danse assise.

«Nous utilisions le tunnel souterrain qui permet de relier les différents bâtiments du Servior entre eux pour pratiquer le chant. Nous marchions tous ensemble en chantant et cela a donné envie à d’autres de nous rejoindre», se remémore Robert Bodja avec le sourire.

Petit à petit, les oiseaux font ainsi leur nid. Et y prennent du plaisir. «Je fais tout ce que je peux faire encore», détaille Henj, 95 ans, qui joue le rôle phare de la fermière. C’est elle qui ouvre le spectacle et interagit le plus avec l’audience et ses petits oiseaux. Et n’hésite jamais à chambrer le premier rang, même lorsque ce sont des journalistes… «J’improvise la plupart du temps», sourit-elle lorsque nous lui demandons son secret. Celle qui pratiquait fut un temps le mime dans des auberges de jeunesse, s’est trouvé une vraie passion pour le théâtre. Et l’assure : à son grand âge, le stress n’existe pas.

Déambulateur, chaise roulante, en solo, en duo… Durant une heure, les nonagénaires se suivent sur scène et font évoluer leur histoire, rythmée par les sons des djembés, des chants gospel et de la danse assise. «Tout le monde a le sourire après ces ateliers», souligne Pia Hoffmann, éducatrice. «Nous sommes là pour leur donner de la joie avant tout.»

«Je ne peux pas me laisser aller»

Et ça se voit. Très vite, alors que les premières notes du morceau «Jerusalema» de Master KG résonnent dans la salle, les sourires se font plus intenses. Au premier rang, très concentrée, Rassel saisit son chapeau haut-de-forme et fixe Pia, qui se place devant les «danseuses» pour leur montrer les mouvements : en avant, en arrière, en haut, en alternant les jambes, tout le corps est mobilisé. «Je ne peux pas me laisser aller», explique Rassel. «J’ai la maladie de Parkinson, donc je profite tant que je peux faire tout ça.»

La danse assise fait partie du spectacle et permet de mobiliser tout le corps. Photo : Hervé Montaigu

Cette ancienne biochimiste belge ne pouvait plus marcher à son arrivée à Luxembourg l’année dernière. Après une opération du genou, elle a heureusement pu retrouver un peu de mobilité. Et n’a pas hésité une seconde lorsque le cours de danse assise lui a été proposé. «Ce sont des choses que je ne peux pas faire chez moi. Je suis une très grande fan de musique en plus : j’allais voir André Rieu tous les ans à Trèves. Donc cette activité me plaît vraiment beaucoup.»

Au-delà du plaisir, les bienfaits de ce type d’activités sur le corps humain sont tout aussi bénéfiques. «Il y a ici un vrai travail de coordination cognitive par exemple», détaille Pia Hoffmann. «Nous travaillons avec eux sur l’équilibre, la mémoire à long terme ou encore le tonus musculaire.»

Des bienfaits aussi sur le corps

Des bénéfices aussi pour la vie au quotidien. «Ils sont beaucoup plus actifs, surtout le matin. Certains nous ont dit qu’ils arrivaient mieux à se lever depuis le lit par exemple. Nous n’oublions pas leurs douleurs, chaque mouvement a été étudié avec un kinésithérapeute. Et surtout, nous luttons ici contre l’isolation, la dépression», appuie l’éducatrice.

Au Luxembourg, près d’un quart des plus de 65 ans vivent en effet seuls, selon les dernières données du Statec. «Les maisons de retraite ne sont pas que des mouroirs. Il s’y passe aussi de belles choses», souligne avec gravité Pia Hoffmann.

Après plusieurs prestations réussies devant un public nombreux (plus de 200 personnes à chaque représentation!), les petits Villercher continuent de poursuivre leur rêve, en préparant notamment une deuxième pièce de théâtre, plus personnelle.

«Nous avons eu un parcours incroyable jusqu’ici, cela les motive. Ils veulent raconter leurs propres histoires aux spectateurs maintenant», explique Robert Bodja. En attendant, rendez-vous est déjà pris le 18 avril prochain à Echternach pour (re)découvrir avec émotion les talents cachés de Henj, Rassel, Paulette et tous les autres. Et se dire qu’il n’y a finalement pas d’âge pour s’amuser.