Ragondins, moustiques tigres, moules zébrées… Ces espèces d’ordinaire peu (ou pas) présentes au Luxembourg ont fait leur apparition sur le territoire. Et inquiètent.
Les espèces exotiques envahissantes (EEE) représentent une menace croissante pour la faune, la flore, les écosystèmes et même les humains. Elles sont désormais reconnues comme l’une des cinq principales causes de la perte actuelle de biodiversité. En septembre 2023, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (l’IPBES) a publié un rapport montrant qu’elles jouent même un rôle majeur dans l’extinction de 60 % des plantes et des animaux dans le monde.
Le Luxembourg n’échappe pas à ce problème, et la lutte contre ces espèces est devenue une priorité nationale. À tel point que depuis quelques semaines, le ministère de l’Environnement, du Climat et de la Biodiversité a mis en place une campagne pour sensibiliser et agir contre ces EEE. Sonja Thill, de la direction des Ressources naturelles, de l’Eau et des Forêts, a coordonné cette initiative.
Tout d’abord, qu’est-ce qu’une espèce exotique envahissante?
Sonja Thill : Les néobiotes (espèces exotiques/non indigènes) sont des espèces animales, végétales ou fongiques qui se sont établies en dehors de leur habitat naturel. Elles colonisent alors de nouveaux sites ou de nouvelles régions à un rythme rapide et peuvent former des populations dominantes. Elles se maintiennent de manière autonome et sur plusieurs générations si elles ne sont pas confrontées à une intervention humaine.
Comment arrivent-elles au sein de ces nouveaux milieux?
Généralement, cette propagation se fait par l’intervention humaine, qu’elle soit accidentelle ou non. Elle peut se produire par transport aérien, routier, ferroviaire, mais aussi fluvial. Cependant, ce ne sont pas les seules possibilités. Certaines espèces peuvent arriver dans un nouveau milieu par des pratiques de jardinage (semence, plantation, compost). D’autres s’échappent simplement des parcs zoologiques, des aquariums ou de leurs zones de détention. Malheureusement, la dernière possibilité – et non des moindres – est l’intervention humaine volontaire, c’est-à-dire lorsque certaines personnes relâchent ces espèces intentionnellement. Cette action, souvent réalisée dans le cadre de la chasse ou de la pêche, comme ce fut le cas pour les mouflons ou le goujon asiatique, a des conséquences néfastes.
Pourquoi sont-elles dangereuses?
Elles peuvent constituer une menace pour l’environnement. Tout d’abord, elles causent des dommages aux espèces indigènes par la prédation, l’herbivorie ou encore la compétition. Elles peuvent également propager des maladies face auxquelles les espèces indigènes ne sont pas immunisées. Leur activité modifie l’écosystème, pouvant le rendre inhospitalier pour d’autres espèces. Ces conditions, sur le long terme, représentent une menace d’extinction pour les espèces rares ou vulnérables.
Un danger pour l’environnement donc, mais pas que…
En effet, leur impact affecte également l’économie du pays. Il ne faut pas minimiser certains dégâts concernant les infrastructures, ainsi que les perturbations, voire les arrêts d’activités qu’elles engendrent. Récemment, au lac de la Haute-Sûre, certaines plages ont dû être interdites à la baignade en raison de la prolifération d’algues bleues, ce qui est très mauvais pour le tourisme. Enfin, elles peuvent représenter un danger pour la santé, ce qui est encore plus préoccupant. Par exemple, la berce du Caucase et l’ambroisie à feuilles d’armoise peuvent provoquer des brûlures ou des allergies chez l’être humain. Chez les animaux, le raton laveur peut être porteur de l’ascaridiose, tandis que le moustique tigre (Aedes albopictus) transmet des maladies telles que le chikungunya, la dengue ou le Zika, qui peuvent être mortelles.
Quelles sont celles que l’on retrouve au Luxembourg?
Quand nous observons les espèces exotiques envahissantes présentes dans le pays, certaines, comme la moule zébrée, le moustique tigre, la renouée du Japon ou le ragondin, apparaissent comme particulièrement inquiétantes.
Cette campagne nationale de lutte, à quoi sert-elle?
Elle est basée sur quatre grands axes, qui se complètent et se renforcent mutuellement. Tout d’abord, il y a la prévention. L’idée est de traiter le problème à la source et de sensibiliser le public aux espèces qui ne sont pas encore introduites, afin qu’elles ne le soient jamais. Lorsqu’il est déjà trop tard, nous nous concentrons alors sur la gestion de ces espèces pour minimiser leurs impacts. Ces deux premiers axes renforcent les deux derniers, qui sont la connaissance et la gouvernance de ces espèces. C’est dans cette logique que la stratégie a été développée. À terme, l’objectif est de réduire de 50 % le nombre d’espèces de la liste rouge, soit menacées par des espèces exotiques envahissantes, et de diminuer de 50 % les habitats d’intérêt communautaire détériorés pour la même raison.
Les citoyens peuvent-ils aider?
Bien sûr, c’est justement très important. Dans un premier temps, chaque citoyen peut signaler la présence d’une EEE au Luxembourg en utilisant la plateforme iNaturalist.lu. Initialement, cette campagne s’adressait aux spécialistes, mais les objectifs et les mesures placent chacun d’entre nous au centre de celle-ci. Nous pouvons tous y contribuer en nous informant sur l’élimination des déchets. Par exemple, jeter des déchets verts dans la nature n’est pas toujours une bonne idée. Il faut également se renseigner avant d’acheter des plantes, car certaines de ces EEE sont commercialisées. Il en va de même lors de l’acquisition d’un animal domestique. Évidemment, le plus important reste de ne pas les introduire dans la nature, par exemple en abandonnant ces animaux. Certains gestes bien intentionnés peuvent parfois entraîner des conséquences graves pour nos écosystèmes.