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«Les données sont le pétrole du monde moderne»


Pas de panique, les infrastructures internet du Luxembourg sont surdimensionnées et pourront fonctionner normalement en période de confinement (Photo : AP)

L’intelligence artificielle, ce n’est pas le futur: c’est déjà notre quotidien! Et l’Europe ne doit pas laisser les algorithmes prendre le pouvoir, prévient la députée européenne Mady Delvaux-Stehres.

«L’intelligence artificielle au service de l’homme» : jeudi soir, Mady Delvaux-Stehres a réalisé une conférence à Luxembourg sur ce sujet aussi épineux que complexe. En charge du dossier à la Commission européenne, elle revient sur les cinq risques que fait peser l’intelligence artificielle (IA) sur notre société.

I : la cybersécurité

Illustration Piratage Informatique

Les cyberattaques se multiplient. (Photo : archives editpress)

«Les cyberattaques se multiplient, de la part de hackers isolés, mais aussi d’États malveillants», rappelle-t-elle. La Commission européenne a donc déclaré la cybersécurité comme priorité numéro 1. Mais il faudra beaucoup de moyens pour y arriver. Et le consommateur doit être prévenu : il y aura toujours des failles dans nos objets connectés. Imaginons que demain, on ait des toasters connectés, un pirate pourra s’en servir pour pénétrer dans votre réseau.»

II : La responsabilité

Les voitures autonomes ont déjà causé des accidents. Mais à qui la faute? (Photo : AFP)

Les voitures autonomes ont déjà causé des accidents. Mais à qui la faute? (Photo : AFP)

«C’est une question juridique : qui sera responsable pour des dommages causés par un robot? Selon la législation actuelle, c’est le constructeur. Mais il faut pourtant démontrer que le produit était défectueux lors de sa mise sur le marché, et que le défaut a causé ce dommage. Or, avec la sophistication des produits, avec les mises à jour fréquentes et la mise en réseaux, il sera bien plus difficile de remonter jusqu’à la cause. Donc il va falloir changer cette législation.» Surtout qu’on aura bientôt «des robots auto-apprenants, qui assimileront des comportements grâce à leur environnement, donc il sera encore plus dur de déterminer la cause!» «Les experts se disputent depuis quatre ans sur ce sujet, certains pensent qu’il ne faut pas adapter la législation, d’autres non.» Elle espère une conclusion au niveau européen d’ici un an.

III : L’étique

Les terminaux intelligents vont se multiplier et envahir notre quotidien. Il se pose donc la question de l'éthique. (Photo : AFP)

Les terminaux intelligents vont se multiplier et envahir notre quotidien. Se pose donc la question épineuse de l’éthique 2.0. (Photo : AFP)

Si les algorithmes prennent de plus en plus des décisions, «on aimerait évidemment qu’ils respectent nos valeurs fondamentales, comme les droits de l’homme, le respect de la vie privée, la non-discrimination, etc. La Commission a mis en place un groupe d’experts qui doit présenter pour la fin de l’année des lignes directrices sur l’éthique à respecter, et qui doivent être intégrées rapidement dans les robots.» Il faudra aussi des commissions éthiques spécialisées selon les secteurs. «Car on ne peut pas tout prévoir et programmer. Prenons la santé. Imaginons un patient qui refuse de prendre un médicament : est-ce qu’un robot hospitalier pourra le forcer à le prendre, dans son intérêt, ou respectera-t-il la décision de la personne?»

IV : Nos données

«L'intelligence artificielle, ce n'est pas l'avenir, car elle est déjà parmi nous. Regardez ces ordinateurs qui battent les champions de jeu de go, la traduction instantanée, les voitures autonomes… Nos GSM sont déjà remplis d'IA!», rappelle l'eurodéputée Mady Delvaux-Stehres. (photo : Julien Garroy)

«L’intelligence artificielle, ce n’est pas l’avenir, car elle est déjà parmi nous. Regardez ces ordinateurs qui battent les champions de jeu de go, la traduction instantanée, les voitures autonomes… Nos GSM sont déjà remplis d’IA!», rappelle l’eurodéputée Mady Delvaux-Stehres. (photo : Julien Garroy)

«La protection de nos données est le sujet qui me préoccupe le plus. En principe, tous les États membres ont transposé depuis mai le nouveau Règlement sur la protection des données (RGPD), qui consacre le droit à l’oubli, la protection des données, etc. Mais j’ai quand même beaucoup d’interrogations.»

Car «les données sont le pétrole du monde moderne. Si le capitalisme industriel a utilisé la force physique des ouvriers pour s’enrichir, je me demande si le capitalisme digital n’utilise pas, lui, nos données pour s’enrichir. Donc ces données ne sont jamais gratuites.» Elle évoque, par exemple, le droit à l’oubli, que le fournisseur de contenus est obligé de respecter. «Mais si ces données ont déjà été exploitées par d’autres entités? Il en restera toujours une trace.» Il y a aussi la question de la centralisation des données dans les serveurs aux États-Unis. «Il va y avoir des batailles pour l’accès à ces données, pour identifier leurs sources. Est-ce que les données d’hommes blancs vont être surreprésentées, ou est-ce qu’elles seront plus représentatives?»

V : L’emploi

L'intelligence artificielle va-t-elle créer plus d'emplois qu'elle ne va en détruire? (Photo : AFP)

L’intelligence artificielle va-t-elle créer plus d’emplois qu’elle ne va en détruire? (Photo : AFP)

«Il y a des craintes fréquentes sur le fait que les robots vont tuer les emplois. Les optimistes disent que l’IA va créer plus d’emplois qu’en détruire», relate-elle. «Moi, j’aimerais qu’on se prépare surtout au pire. Donc savoir comment on pourra assurer la protection sociale, organiser nos sociétés, le financement d’une vie décente pour les gens qui n’auront plus d’emploi? La réponse évidente est la formation. Il faut former tout le monde, les jeunes et les vieux, et surtout, tout au long de la vie.» Mais il reste une question : qui va payer tout ça? Il y a la question d’une éventuelle taxe sur les robots, qu’elle préfère éviter : «Car je vous assure qu’au Parlement européen, ça a créé des débats passionnés entre la gauche et la droite. En même temps, le fait que ce clivage existe encore me rassure», ironise-t-elle.

Romain Van Dyck