Les signataires d’une tribune défendant la « liberté » des hommes « d’importuner » les femmes, dont l’actrice Catherine Deneuve, étaient mercredi sous le feu des critiques en France, accusées par une ministre de discours « dangereux » et par des féministes de « mépris » pour les victimes de violences sexuelles.
A l’étranger aussi, cette prise de position a été abondamment commentée et dénoncée. « Deneuve et d’autres femmes françaises expliquent au monde comment l’intériorisation de leur misogynie les a lobotomisées jusqu’à un point de non retour », a tweeté l’actrice italienne Asia Argento qui avait été l’une des premières à accuser d’agressions sexuelles le producteur américain Harvey Weinstein.
Catherine Deneuve and other French women tell the world how their interiorized misogyny has lobotomized them to the point of no return https://t.co/AuH0aZdnCq
— Asia Argento (@AsiaArgento) 9 janvier 2018
Dans une tribune publiée mardi dans le quotidien Le Monde, un collectif d’écrivaines, comédiennes – dont la célèbre actrice française Catherine Deneuve – chercheuses et journalistes déclarent : « le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste ». Elles s’inquiètent en particulier du « puritanisme » et de l’avènement d' »un féminisme qui prend le visage d’une haine des hommes et de la sexualité », dans le sillage de la libération de la parole de femmes agressées sexuellement après l’affaire Weinstein aux États-Unis.
De l’affaire sont nés les mouvements #Balancetonporc ou #Metoo, qui ont incité des dizaines de milliers de femmes à témoigner. « Cette fièvre à envoyer les ‘porcs’ à l’abattoir, loin d’aider les femmes à s’autonomiser, sert en réalité les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux, des pires réactionnaires et de ceux qui estiment (…) que les femmes sont des êtres à part (…) réclamant d’être protégées », estiment les signataires de la tribune.
À rebours des réactions saluant une « libération de la parole », la tribune a suscité une pluie de commentaires. Il y a des « choses profondément choquantes, voire fausses » dans cette tribune, a affirmé mercredi la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, jugeant « dangereux » le fait que selon elle des agressions sexuelles y sont minimisées. « Nous avons énormément de mal à faire comprendre aux jeunes filles que se frotter contre elles, frotter un sexe d’homme contre une femme dans le métro sans son opinion, est une agression sexuelle », a-t-elle martelé.
.@MarleneSchiappa: »Dans cette tribune il y a des choses profondément choquantes. Nous avons déjà énormément de mal à faire comprendre aux jeunes filles que frotter un sexe d’homme dans le métro contre elles, c’est une agression. Je pense que c’est dangereux de tenir ce discours. » pic.twitter.com/PO4nVVKQLA
— France Culture (@franceculture) 10 janvier 2018
Catherine Deneuve fustigée
L’ancienne ministre socialiste du Droit des femmes Laurence Rossignol a qualifié la tribune de « gifle à l’encontre de toutes les femmes qui dénoncent la prédation sexuelle ». Dès mardi soir, une contre-tribune, publiée par un groupe de féministes, a fustigé le « mépris » des défenseurs de la « liberté d’importuner ». « Dès que l’égalité avance, même d’un demi-millimètre, de bonnes âmes nous alertent immédiatement sur le fait qu’on risquerait de tomber dans l’excès », affirment les signataires du texte.
« Dommage que notre grande Catherine Deneuve se joigne à ce texte consternant », a tweeté l’ex-ministre Ségolène Royal.
Dommage que notre grande Catherine Deneuve se joigne à ce texte consternant. Toutes nos pensées, hommes et femmes soucieux de la dignité des femmes, vont aux victimes de violence sexuelle, écrasées par la peur d’en parler
— Ségolène Royal (@RoyalSegolene) 9 janvier 2018
La romancière australienne Van Badham a dénoncé dans un article pour le journal britannique The Guardian que « Deneuve et ses amies s’alignent avec leur lettre sur les Allen, Weinstein et autres hommes accusés d’abus ». Sur les réseaux sociaux, où le sujet est devenu tendance dans plusieurs pays européens, nombre d’anonymes ont également critiqué la tribune, en particulier un passage invoquant le droit pour une femme « de veiller à ce que son salaire soit égal à celui d’un homme, mais de ne pas se sentir traumatisée à jamais par un frotteur dans le métro, même si cela est considéré comme un délit ».
« Je propose que Deneuve commence par s’immerger dans le métro à l’heure de pointe », a ainsi lancé un internaute. « Catherine Deneuve aurait peut-être une opinion très différente sur le harcèlement si elle n’était pas une femme blanche extraordinairement belle et très riche vivant dans une bulle de privilèges. Et un peu d’empathie », a tweeté Colleen Doran, caricaturiste au New York Times. La porte-parole de Catherine Deneuve a déclaré que l’actrice ne souhaitait pas répondre à ses critiques.
Le Quotidien/AFP