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[Musique] Les confidences de Clara Luciani


Il y a un an, elle sortait un second disque acclamé et en février dernier, elle soulevait logiquement deux trophées majeurs aux Victoires de la musique. Clara Luciani se raconte avant sa venue à Esch-sur-Alzette pour les Francofolies. Entretien.

En novembre 2021, à la Rockhal, ça faisait longtemps que l’on n’avait pas vu une telle foule. Près de 3 000 personnes appréciaient alors le rayon de soleil apporté par Clara Luciani qui, depuis 2018 et son tube La Grenade, donne le sourire et de la chaleur. Danser mais ne rien lâcher sous la boule à facettes : voilà comment on pourrait définir son second disque, Cœur, aux légers élans disco mais aux messages forts. Avant sa venue à Esch le 11 juin pour les Francofolies, la chanteuse, bientôt trentenaire, parle du vertige du succès, de sa passion pour la variété française et bien sûr, de l’importance du lâcher-prise, surtout en ces temps difficiles.

Comment avez-vous abordé ce disque sorti l’an passé, en pleine pandémie?

Clara Luciani : Bien avant les confinements, j’avais loué un Airbnb à Aix-en-Provence pour pouvoir me concentrer sur le travail d’écriture. Ensuite, il y a eu la production pendant les confinements. L’habillage de l’album aurait été différent sans la pandémie. Ce que l’on traversait était tellement sombre qu’il fallait ajouter de la couleur et des paillettes (elle rit). C’est donc pour ça que j’ai été vers quelque chose de dansant, très disco.

Cette énergie, on la retrouve dans les arrangements, mais aussi sur scène. Cela vous vient d’où?

J’ai toujours été hyper intéressée, obsédée même, par les esthétiques des années 1960 et 1970. Je n’ai jamais cherché à faire une copie de ces années-là, car je pense qu’il faut vivre avec son temps. Mais il est vrai que j’ai toujours été influencée par ces sonorités, cet héritage.

Cela se retrouve également sur scène avec un spectacle très vivant, exaltant même!

C’était l’idée de départ : je voulais proposer quelque chose de chaleureux. Je pense que la joie est plus facile à transmettre que le covid! Nous sommes tellement heureux sur scène. Je pense que le public s’en rend compte et repart avec toute notre énergie. Avec mon équipe, il y a une vraie osmose, même dans les moments hors scène. C’est un peu comme une colonie de vacances.

N’est-ce pas trop difficile de transmettre cet état d’esprit après la pandémie, le conflit en Ukraine?

On pourrait être tenté de rester chez soi et de se dire qu’à tout moment, il peut y avoir un accident nucléaire par exemple. Je crois que cela ne servirait à rien et qu’au contraire, il faut profiter de nos pays en paix, de savourer ces instants et aider autant que possible. On se sent démuni à notre échelle et nous méritons ces moments d’insouciance et d’oubli. Ils sont nécessaires, nous allons devenir fous sinon et se les interdire, ce serait presque capituler.

Sur le titre d’ouverture Cœur, qui a donné son nom à l’album, vous abordez les violences domestiques sur une mélodie quasi festive. Ce décalage, est-ce votre signature? 

Oui, je pense, déjà depuis La Grenade puis Nue et même Le Reste. Ces chansons peuvent sembler légères de prime abord car elles sont entraînantes mais il y a toujours une double lecture. Sur Cœur, c’est d’autant plus le cas, et sur un sujet très lourd (NDLR : les violences conjugales).

Est-ce un équilibre difficile à obtenir?

C’est un faux dilemme que devoir choisir entre une chanson emportée et un sujet grave. J’ai toujours eu l’exemple de la chanson Le Petit Train des Rita Mitsouko, qui abordait les juifs que l’on déportait dans les camps de concentration. On ne pouvait pas faire plus sombre comme sujet, et pourtant, ils ont fait danser des générations dessus. Ce n’est pas contradictoire pour moi. Il y a dans la danse l’énergie du désespoir. C’est un exutoire.

J’avais peur du flop total et de rester cantonnée à être la fille qui chante La Grenade

Respire encore est devenu un tube, presque un hymne après ces deux années de crise sanitaire et de confinements. Aviez-vous pensé à ce succès?

Franchement non. Même l’album, je me demandais s’il n’allait pas arriver comme un cheveu sur la soupe. Je l’ai sorti en juin 2021. Peu de choses sortaient, beaucoup de personnes se demandaient si c’était le bon moment pour un disque, me disaient qu’il fallait laisser passer la crise… J’ai pris le pari d’y aller malgré tout et je n’avais aucune idée de la façon dont l’album allait être reçu. J’étais en plein flou artistique.

Aviez-vous aussi la pression du premier album, lequel vous a révélée au grand public?

C’était terrible, d’autant plus qu’il y avait ce titre, La Grenade, qui me paraît encore aujourd’hui indétrônable. Son ombre flottait au-dessus de moi et me dépassait. Je me demandais ce que je pouvais faire pour que le public soit encore curieux de découvrir mon univers. J’avais peur du flop total et de rester cantonnée à être la fille qui chante La Grenade. Je m’imaginais parfois même reprendre mes études. On ne peut vraiment pas savoir comment le public va vous accueillir.

Finalement, vous êtes revenue à l’été 2021 avec Le Reste, et son clip réalisé dans le sud de la France, dans une esthétique des films de Jacques Demy…

J’ai souvent une idée puis avec mon équipe, nous cherchons un réalisateur qui se sent capable de la porter, de la nourrir et de l’emmener plus loin. Je voulais une sorte de Demoiselles de Sanary dans le sud de la France, version 2021. Nous avons rencontré Alice Rosati. Elle a eu une vision et nos univers se sont complétés. C’est d’ailleurs elle qui a eu l’idée des citrons.

Ce que l’on traversait était tellement sombre qu’il fallait ajouter de la couleur et des paillettes!

Le titre Tout le monde est lui aussi accrocheur et n’est parfois pas sans rappeler Mylène Farmer, dans la mélodie, votre façon de placer votre voix. En aviez-vous conscience?

Sincèrement non, mais on m’a déjà parlé de Mylène Farmer, ce que je prends toujours comme un compliment. J’aime beaucoup sa voix, sa place dans le paysage francophone et j’adore la façon dont elle a géré sa carrière, à l’opposé de notre époque où les gens veulent parfois tout savoir, même ce que l’on mange. Elle a nourri un univers visuel très fort et inimitable.

Vous parlez d’amour dans ce disque notamment sur Bandit, Amour toujours, mais est-ce qu’un titre comme Le Chanteur est une façon de parler davantage de vous?

Je pense que toutes les chansons ont un sens autobiographique. J’ai écrit Le Chanteur durant ma première tournée, me disant que nous avons une drôle de vie, nous, les chanteurs. Je me posais des questions sur la vie que l’on peut avoir, notamment en termes de famille, quand on se réveille, par exemple, dans une ville différente chaque jour.

Vous avez fait un duo avec Julien Doré sur Sad & Slow. Est-il, artistiquement, votre alter ego masculin?

C’est un frère. Je suis très heureuse d’avoir fait sa connaissance, car il est extrêmement bienveillant. Je me sens chanceuse d’avoir pu me constituer une petite famille musicale et je pense bien sûr à mes musiciens aussi. Cela fait partie de mon équilibre personnel.

Comment avez-vous vécu vos Victoires de la musique?

Avec beaucoup d’émotions et je crois que cela s’est vu (elle rit). J’étais très touchée.

Est-ce que votre appétit de vivre est une façon de s’affirmer et de tourner la page du covid?

C’est totalement ça. Et je crois que de manière générale, je profite de chaque moment de vie, tel que retrouver ma sœur pour aller déjeuner. Je trouve que les bonheurs simples sont encore plus savoureux. C’est aussi cela le secret du bonheur, juste apprécier ces moments, et c’est peut-être une bonne chose que le covid nous aura laissée en héritage.

Francofolies d’Esch-sur-Alzette. Du 8 au 12 juin. www.francofolies.lu