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Les clowns, ce n’est pas que pour les enfants


Une fois par mois, un duo de clowns de l’association se rend à la maison de soins de Diekirch pour apporter du sourire aux personnes âgées qui y résident. (Photos : fabrizio pizzolante)

Une fois par mois, un duo de l’ASBL Île aux clowns se rend à la maison de soins Sacré-Cœur de Diekirch pour apporter une bouffée d’air frais aux résidents. Nous avons suivi Nitouche et Lula dans leur sortie. Reportage.

Jeudi, 9 h 15. Le ciel est un peu grisâtre ce matin-là à Diekirch… Mais le temps de quelques heures, le soleil brillera tout de même au sein de la maison de soins Sacré-Cœur du groupe Elisabeth Senior. Mathilde Guénard et Elke Reiter passent le pas de la porte, les mines encore fatiguées de leur réveil matinal et de leur trajet jusqu’au nord du pays. Mais pas question de traîner pour autant, leur programme de la matinée est bien chargé. Durant deux heures, les deux femmes ont comme mission d’apporter du rire aux résidents de l’établissement. Et ce, pas de n’importe quelle manière… Elles sont clowns hospitalières.

Alors, à peine arrivées, elles filent dans une salle avec Paula, la membre du personnel chargée de les accompagner durant leur sortie mensuelle. Cette dernière a une liste avec les noms des résidents classés par étage. Assises autour d’une table, les trois femmes la passe en revue, notamment pour apprendre à connaître les nouveaux arrivés. «Ce monsieur vient d’arriver, il a des douleurs dans les articulations», informe Paula. Elke prend des notes sur son petit carnet. «Et quelle langue parle-t-il?», demande Mathilde.

Les informations et les questions s’enchaînent. Le briefing d’arrivée prend quelques minutes, le temps que les deux collègues soient au fait. Une fois fini, Mathilde et Elke prennent leurs sacs et s’en vont se changer au vestiaire. Maquillage, tenue et enfin, dernière étape de leur préparation : enfiler leur nez rouge. «C’est lui qui active notre état de clown», explique Mathilde.

Lors de leur visite, Nitouche et Lula ont déambulé dans les couloirs de la maison de soins pour saluer les résidents.

Lorsqu’elles ont fini de se changer, ce ne sont plus Mathilde et Elke que nous retrouvons, mais Nitouche et Lula, leurs clowns respectifs. Deux personnages hauts en couleur avec leurs coiffes singulières et leurs tenues bariolées. «Pour les créer, nous avons pris nos défauts pour en faire des qualités», souligne Mathilde. Autant de traits de personnalité ou de particularités physiques qui entrent dans le jeu avec les bénéficiaires. Et le clown, c’est aussi une autre manière d’agir : «Lula a une relation différente avec mon corps», s’amuse Elke.

Alors, lorsqu’elles commencent à déambuler dans les couloirs, c’est avec une tout autre démarche et des voix différentes qu’elles le font. Elles disent bonjour aux résidents, sautillent de droite à gauche et font des blagues, avant d’entrer dans les chambres des résidents souhaitant les recevoir.

Les chansons, vectrices d’émotions

«C’est Nitouche et Lula!», s’exclame Mme S. tout sourire lorsque les deux clowns entrent dans sa chambre. «C’est important que les résidents (re)connaissent les clowns et aient une relation de confiance avec nous», souligne Mathilde. Les maisons de soins font d’ailleurs partie des seules structures où les duos de clowns changent rarement, afin de garder une routine rassurante pour les résidents. Leur visite mensuelle repose sur la régularité, l’organisation et la collaboration avec la structure. «Ainsi, nous pouvons nous focaliser sur la personne à visiter.»

Et quoi de mieux pour faire sourire nos aînés que de se remémorer leur jeunesse? L’une des clés pour cela est la chanson. Alors, lorsque Nitouche et Lula arrivent dans une pièce commune ou passent un moment dans une chambre, les paroles de vieilles musiques luxembourgeoises fusent souvent, telles un «hit-parade». «D’Pierle vum Da, dat si meng Diamanten / D’Blummen um Feld, déi sin däin Hochzäitskleed / An d’Nuechtigäillercher, dat sin deng Musikanten / An däin treit Hierz ass meng Gléckséilegkeet», fredonnent les deux clowns. Les résidents ne tardent pas à chanter à l’unisson.

Un peu plus tard, c’est une autre chanson qui se fait entendre : «’t as Fréijor an d’Vullen déi sin rëm erwaacht / an d’Margréitchen huet sech eraus och gemaacht / si huet d’wäiss Kolrettchen rëm frësch ugedon / soubal si de Poufank gehéiert huet schlon / soubal si de Poufank gehéiert huet schlon.» Accompagnées de quelques pas de danse, ces chansons luxembourgeoises ne manquent pas leur but : les résidents se mettent à sourire, et parfois leurs yeux se remplissent d’émotion. «Certaines personnes ne parlent plus du tout dans la vie de tous les jours, mais lorsque nous chantons, les paroles leur reviennent et elles se joignent à nous», sourit Mathilde.

Les deux clowns apportent une bouffée d’air frais aux résidents via le jeu, les blagues et surtout les chansons.

«Rendre les personnes actives»

Les chansons ne sont pas le seul vecteur de rire. Bien que les interventions auprès des personnes âgées passent moins par le jeu physique, cela n’empêche pas nos deux clowns de blaguer et de jouer avec leurs bénéficiaires du jour. Nitouche n’en manque pas une pour se moquer des cheveux de Lula, que les résidents remarquent aussi : «C’est un bouquet garni!», rigole-t-elle à plusieurs reprises.

Elles interagissent également avec l’environnement et les activités des uns et des autres… Notamment les chaussons qu’elles ne rechignent pas à sentir, à leurs risques et périls. «C’est un joli chausson ça, en crocodile!», disent-elles à Mme A., une résidente très contente de voir les deux comparses. Elle finit même par leur donner du chocolat pour les remercier de leur passage.

M. S. est très réceptif aux passages de Nitouche et Lula, avec qui il joue et chante avec plaisir à chacune de leurs venues.

Peu importe la manière de faire, le plus important reste toujours de s’adapter au rythme et aux demandes des bénéficiaires : «Nous ne sommes pas là pour faire le show, mais pour rendre les personnes actives», précise Elke. Lors de leur passage dans la chambre de M. et Mme S., l’homme n’hésite d’ailleurs pas à entraîner lui-même les clowns dans son jeu. «C’est typiquement un exemple de bénéficiaire très réceptif qui nous donne tout, nous avons juste à prendre son énergie!» Ce résident adore le duo de Nitouche et Lula. Sur les murs de sa chambre, plusieurs photos en compagnie des deux comparses sont accrochées.

Mais malgré le jeu et le côté ludique, le métier de clown n’en reste pas moins sérieux. «Cela nous demande beaucoup de concentration de rester dans l’énergie tout en observant l’environnement et en communiquant avec notre partenaire», constatent-elles toutes les deux. Avant d’entrer dans une pièce, elles regardent discrètement qui s’y trouvent pour adapter leur jeu.

Les deux clowns communiquent par les yeux pour s’accorder. «Même si nous jouons, le sérieux reste toujours dans un coin derrière notre tête.» À la fin de la sortie, elles prennent un temps pour reprendre leurs esprits et souffler. Mathilde et Elke reviennent parmi nous. En tout cas, elles l’assurent : «C’était une bonne sortie, il y a eu des moments touchants et rigolos!»