Premier volet de notre série consacrée aux bibliothèques insolites du Luxembourg : direction le Mullerthal, où la Société préhistorique luxembourgeoise a trouvé refuge dans un lieu aussi improbable que fascinant. Un hôtel abandonné pour 8 000 livres qui remontent aux origines de l’humanité.
Au bout d’une route tortueuse à travers la nature faite de roche et de forêt du Mullerthal, nous débouchons sur la commune qui a donné son nom à cette région. Le ciel est bas, l’air humide, les nuages gris prennent toute la place et au milieu de ce tableau d’automne se dresse l’hôtel des Cascades. Érigé il y a plus de cinquante ans, l’imposant bâtiment à la blancheur passée a été abandonné depuis de nombreuses années.
Comme un lendemain de fin du monde, lorsqu’on longe ses baies vitrées, on aperçoit des tables bien en place, des objets soigneusement rangés. Une impression que les derniers visiteurs viennent de quitter les lieux pour se lancer sur l’un des sentiers qui partent de-ci de-là de tous les côtés du village. C’est dans cette ambiance digne d’un film de David Lynch que la lumière d’une des pièces du rez-de-chaussée de l’hôtel vient de s’allumer.
Un relogement temporaire
Là, quatre membres de la société préhistorique luxembourgeoise (SPL) sont réunis comme chaque troisième mercredi du mois dans l’endroit qui constitue leur bibliothèque. «Nous avons été installés ici en 2024 par la commune de Waldbillig», explique Marie-Paule Wagener, la secrétaire générale de l’association, tandis que Nelly, une femelle teckel, se tortille sur le sol.
«D’habitude, nous sommes dans un local du centre scolaire et sportif de la ville, mais depuis le début des travaux d’agrandissement du complexe scolaire, la commune a mis à notre disposition cette salle dans l’ancien hôtel des Cascades. Une partie de la bibliothèque est ici avec nous et le reste se trouve en dépôt dans la maison paroissiale.»
Cette bibliothèque unique au Grand-Duché a été créée «en même temps que l’association en 1979, elle regroupe aujourd’hui environ 8 000 ouvrages», précise Marie-Paule Wagener. Dans cette grande salle basse de plafond sur lequel sont accrochés des néons, plusieurs dizaines d’étagères sont alignées.
Dans ces rayons sont disposés des publications, des livres et des séries scientifiques spécialisées sur une période allant de la préhistoire à la protohistoire. Soit des écrits qui explorent les détails de la période qui s’étend de l’apparition de l’Homme, il y a 2,8 millions d’années, à l’invention de l’écriture, vers 3 300 av. J.-C.
Les livres comme liens d’amitié
Cet endroit, véritable antre du savoir dans un hôtel qui se détériore à petit feu, se veut un espace d’études pour les spécialistes, les étudiants et les amateurs de l’histoire de nos lointains ancêtres. «La bibliothèque est constituée de publications de nombreux pays, onze au total.
Les ouvrages viennent, par exemple, d’Allemagne, de France, de Belgique, de République tchèque et, bien sûr, du Luxembourg», liste Fernand Spier, le vice-président de la SPL. «Et nous n’avons pratiquement pas acheté de livres!», s’exclame-t-il en souriant.
Depuis sa création, la société préhistorique luxembourgeoise a grandi en se liant avec des institutions et des archéologues et préhistoriens étrangers. Au fil des années, lors de colloques ou de conférences au Grand-Duché ou à travers l’Europe, ses membres se sont toujours évertués à créer des contacts.
Ces contacts une fois établis, les échanges d’ouvrages sont devenus une façon d’alimenter la bibliothèque tout en renforçant les relations. «Nous avons grandi grâce à nos relations», résume Fernand Spier. Chaque année, le SPL reçoit une centaine de nouvelles publications qui sont intégrées au fur et à mesure dans la bibliothèque. L’association compte aujourd’hui près de 200 adhérents habitant au Grand-Duché ou dans les pays voisins.
Dans la section du Luxembourg
Au rez-de-chaussée de l’hôtel des Cascades, les ouvrages sont classés par pays. La plus imposante rangée est sans aucun doute celle des publications venues d’Allemagne. On y trouve des écrits extrêmement spécialisés sur des fouilles, des recherches, des découvertes et des analyses réalisées sur l’ensemble du pays, le tout dans la langue de Goethe. Moins corpulente, la section dédiée au Luxembourg regroupe une centaine de documents dont 34 qui sont particulièrement chers aux yeux de la SPL.
Ces écrits sont les bulletins interrégionaux de pré- et protohistoire édités par la SPL depuis 1979. Ils concentrent des publications de travaux menés par des chercheurs et des chercheuses du Luxembourg, de Belgique, de France et d’Allemagne et paraissent chaque fois qu’un nombre suffisant d’articles est réuni. «Le premier numéro faisait quarante pages et ma sœur ou bien Marie-Paule recopiaient les notes en faisant de la dactylo», raconte Fernand Spier en feuilletant ces archives. «C’est comme ça que je suis entrée dans cette société», ajoute Marie-Paule Wagener.
Depuis 2024, les membres de l’association s’affairent autour d’un travail d’envergure : la création d’un catalogue qui regrouperait l’intégralité du fonds documentaire de la bibliothèque. «Nous faisons ce travail pour aider les chercheurs, les étudiants et les passionnés à accéder plus facilement à nos ressources», souligne la secrétaire générale de l’association.

La dernière parution du bulletin de la SPL date de 2022 (Photo : Hervé Montaigu)
Comment emprunter un livre?
Que ce soit un bulletin de la SPL ou un autre ouvrage qui compose cette incroyable bibliothèque, il est possible d’emprunter ou de consulter tous les écrits présents dans les rayons. Ces derniers sont loin d’être victimes de leur succès puisque d’après le classeur qui recense les prêts, seuls huit livres ont été empruntés depuis 2024. «Il faut avoir le courage de les lire», commente Marie-Paule Wagener. Si le contenu extrêmement spécifique des ouvrages écrème une grande partie des lecteurs, le règlement de prêt constitue également une marche à suivre relativement stricte.
La bibliothèque est ouverte chaque troisième mercredi du mois et sur rendez-vous. Avant de vous y rendre, il est nécessaire de contacter par téléphone un des deux membres de l’association qui peut y accéder. La consultation sur place ne peut pas excéder les deux heures et la durée d’un prêt est limitée à trois semaines.
Cette durée peut être prolongée deux fois sur la même période et les lecteurs ne peuvent pas emprunter plus de trois livres à la fois. Comme dans toute bibliothèque qui se respecte, le sous-prêt, sous quelque forme que ce soit, est expressément prohibé et l’emprunteur s’engage à restituer les ouvrages empruntés dans l’état dans lequel il les a reçus.
Pour les visiteurs, parcourir cet endroit, c’est également déambuler entre les caisses remplies de silex et autres ossements. C’est aussi s’arrêter devant une vitrine remplie de roches taillées par les membres de l’association comme le faisaient les hommes de la préhistoire.
Enfin, c’est surtout prendre un moment pour discuter avec ces passionnés qui passent leur temps libre à étudier des ouvrages uniques et extrêmement pointus ou à inspecter des champs à la recherche d’objets minuscules que seuls leurs yeux sont capables de repérer dans une terre fraîchement labourée.
Avant de s’installer à Waldbillig, la bibliothèque de la société préhistorique luxembourgeoise a déménagé plusieurs fois au gré des contraintes et des opportunités. À sa création en 1979, elle se trouvait dans une salle au Centre universitaire de Luxembourg. Un lieu déniché par le professeur Marcel Lamesch dans lequel elle resta jusqu’en 1985.
En août 1985, le trésorier de la SPL permet à la bibliothèque de transférer ses ouvrages au centre Albert-Wagner situé au Kirchberg. «Là-bas, il n’y avait ni eau ni sanitaires. C’était une petite pièce assez modeste», se souvient Marie-Paule Wagener.
Mais à la suite des événements du 11 septembre 2001 et de l’adoption de nouvelles mesures de sécurité, l’association a choisi de chercher un nouveau local mieux adapté à ses besoins.
Après des pistes pour s’installer à la nouvelle bibliothèque nationale (BNL), c’est finalement à Waldbillig, dans le centre scolaire et sportif de la commune, que la SPL posera ses cartons remplis de milliers de livres en septembre 2006.
Depuis 2024 et en raison de travaux d’agrandissement du complexe scolaire, la bibliothèque est installée temporairement au sein de l’ancien hôtel des Cascades, au Mullerthal.