La Cinémathèque de la Ville de Luxembourg fait vivre le cinéma analogique depuis les années 70. Georges Bildgen, le responsable des archives, nous a emmenés dans l’antre de leur collection.
Promouvoir le cinéma analogique, c’est l’ADN de la Cinémathèque. Établissement unique au Luxembourg, elle propose chaque jour un programme varié pour faire découvrir au public des films plus ou moins connus et l’éduquer à la pellicule. Et pour le faire en bonne et due forme, tout se joue sur la collection. Elle se cache au Kirchberg, loin de la salle de projection située place du Théâtre. C’est derrière les portes d’un petit bâtiment blanc que la magie opère. Le responsable des archives, Georges Bildgen, nous y accueille un matin grisâtre pour nous en faire la visite.
«Comme nous nous considérons comme un musée du cinéma, nous voulons montrer les films dans leur format d’origine et dans leur état de conservation actuel», commence-t-il. Mais pas question de négliger la conservation des films pour autant. «La qualité des copies est très importante pour nous, alors nous essayons de les préserver dans les meilleures conditions.» Le responsable nous fait traverser un long couloir bordé de vieilles affiches. L’ambiance y est déjà à la passion du cinéma. Il nous montre le pan de mur : «Derrière tout ça, il y a ce qu’on appelle en interne le « frigo« . Ce sont les archives de films. Pourquoi? Parce que c’est comme à la maison. On met les légumes ou la viande au frigo pour les conserver plus longtemps. Pour les films, c’est la même chose», compare Georges Bildgen.

Alors que nous nous engouffrons à l’intérieur du «frigo», l’air y devient très frais. «La température est de 6 °C et le taux d’humidité de 50 %», explique le responsable. Une odeur de vinaigre parfume les lieux. «C’est dû à la réaction chimique des « safety films« , la deuxième grande famille de films, elle provoque un virage des couleurs, le syndrome du vinaigre et le rétrécissement des bobines.» Au total, 15 000 copies de films 35 millimètres et 5 000 de 16 millimètres comblent les nombreuses étagères des archives. Parmi elles, des «safety films» donc, datant des années 50 à 80. Mais aussi des films nitrates, les premiers films datant d’avant les années 50, qui posaient des problèmes de sécurité à cause de leur caractère inflammable, et des films en polyester plus récents et quasiment indestructibles.

Quand Georges Bildgen pousse les rayonnages pour que l’on puisse passer dans les allées, des grands classiques se laissent évidemment entrevoir. Mais dans la collection, d’autres pépites se cachent. «Nos plus vieilles copies sont les premiers films des frères Lumière, comme L’Arroseur arrosé», dit le responsable. Certaines vieilles copies sont même très rares, voire uniques. Et quand nous lui demandons son film préféré, nous sentons sa grande hésitation… Au bout de quelques instants de réflexion, il nous parle du Goût de la cerise d’Abbas Kiarostami. «Et j’aime beaucoup les films noirs, même si la qualité des 16 mm est moindre, j’aime le support original pour son histoire et son aura.» C’est d’ailleurs cette grande collection de films noirs qui fait la renommée de la Cinémathèque de Luxembourg auprès des autres archives de films.
Des savoir-faire de plus en plus rares
Les archives ne servent pas simplement à conserver les films analogiques. Les équipes qui y travaillent sont également là pour en faire des contrôles de qualité et des tests de projection. Georges Bildgen nous emmène dans un bureau, comme figé dans les années 80 avec ses affiches de film accrochées aux quatre coins de la pièce et ses machines à la Retour vers le futur. Dans un coin, des bobines sont empilées sur une étagère en métal : «Quand nous programmons des films, nous les sortons du frigo et les laissons ici avant de les faire partir au cinéma», indique le responsable. De cette manière, les bobines s’acclimatent à la température ambiante.
C’est là aussi qu’elles attendent d’être contrôlées. L’une des premières procédures, c’est de passer sur la table de visionnage. Georges Bildgen s’y assoit pour nous en faire une démonstration. Il y met une bobine et commence à la faire défiler. Le film L’Année du dragon défile sur l’écran. «C’est comme un projecteur», explique-t-il. La table permet de contrôler rapidement et d’approfondir l’analyse du support : qualité, état et ratio de l’image, piste sonore, producteur, marque de la pellicule et nature du support… Tout y passe. Le responsable zoome dans l’image, avance et recule le film et passe la pellicule sur le carré de lumière pour nous faire une démonstration complète. Nous mettons même notre œil au-dessus de la loupe pour inspecter les écritures présentes. Nous y lisons «Fuji Color» : «C’est une marque stable au niveau des couleurs, contrairement à Eastman par exemple qui perd rapidement et beaucoup en couleur.»

Après le passage sur la table de visionnage, le film peut, au besoin, être passé dans le nettoyeur à ultrasons pour enlever les taches d’huile. «La dernière étape avant la projection, c’est le contrôle physique à la main.» Et ça, ce sont les projectionnistes qui s’en chargent. Ce jour-là, c’est Steve qui fait dérouler les bobines entre ses mains pour vérifier si tout est en ordre. «Ici, nous contrôlons les perforations et les collures pour être sûr qu’il n’y aura pas de soucis à la projection. C’est très rare, mais ça toujours arriver.» Une fois cette étape finie, la copie est rembobinée et mise sur fin pour être prête à la projection.
Malheureusement, avec le passage au digital en 2010, les bobines ne se font quasiment plus. Alors le métier de projectionniste se fait aussi de plus en plus rare, tout comme le matériel. «C’est l’un de nos challenges du futur : trouver les personnes qui savent faire et continuer à avoir le matériel nécessaire», s’attriste Georges Bildgen. Mais pour le moment, pas question d’être pessimiste : «Nous avons une grande force, celle de faire retrouver la cinéphilie aux gens et de leur donner un lieu où échanger de leur intérêt commun.» Alors pour l’heure, le responsable ne s’en fait pas trop. Lui et son équipe vont continuer à «réhabituer les gens à l’expérience» et à les faire «voyager dans le passé». D’autant plus que leur collection est si grande qu’ils ont encore sous le coude plein de films qu’ils n’ont encore jamais montré. «Nous avons une panoplie de possibilités devant nous pour continuer à faire vivre le cinéma analogique.»