La Sacem Luxembourg fête sa double décennie. L’occasion de revenir avec son gérant, Marc Nickts, sur le fonctionnement et les objectifs de cet organisme, rarement bien compris.
Depuis quelques jours, il court, regarde sa montre et enchaîne les entretiens, tout heureux de l’intérêt croissant porté à la Sacem Luxembourg (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique). Depuis 2010, Marc Nickts est à sa tête, cherchant avec son équipe à faire comprendre toute l’utilité de l’organisme, aussi bien auprès des artistes qu’auprès des diffuseurs au pays. C’est que le monde de la propriété intellectuelle est complexe. Des géants du numérique aux rémunérations variables, il donne quand même quelques explications.
Tout le monde connaît la Sacem, sans vraiment comprendre son activité. Pouvez-vous l’expliquer brièvement ?
Marc Nickts : La Sacem Luxembourg est une gestion collective pour l’ensemble des ayants droit diffusés sur le territoire national. En somme, on va chercher le salaire de l’auteur, compositeur et éditeur partout où sa musique est diffusée. Je ne peux pas faire plus court (il rit)!
Cela concerne les artistes locaux et internationaux, n’est-ce pas ?
Exact. On a des accords de réciprocité avec plus de 120 gestions collectives étrangères, ce qui veut dire, par exemple, qu’un artiste d’Allemagne diffusé au Grand-Duché reçoit ses droits d’auteur via la Sacem Luxembourg, qui verse l’argent à la GEMA (NDLR : la Sacem allemande) qui, à son tour, répartit l’argent. Dans ce sens, on représente au Luxembourg une grosse partie du répertoire mondial. Et on facilite à l’utilisateur l’accès à ce gigantesque catalogue. Ainsi, un café, un commerce ou autre établissement reçoivent, en payant les droits d’un auteur, une autorisation de le diffuser.
Vous fournissez aussi une aide précieuse à l’artiste, qui ne peut pas savoir où et quand sa musique est utilisée…
On est le partenaire du musicien adhérent, qui donne mandat à la Sacem d’aller collecter pour lui les droits partout où ses œuvres sont diffusées. Surtout qu’une chanson, une fois sortie, devient incontrôlable! Et quand on sait que le droit d’auteur court encore 70 ans après la mort de l’auteur, ça donne une idée de la tâche… On peut dire, pour résumer, que l’on est les yeux et les oreilles de l’artiste.
En quoi, en 2003, une antenne luxembourgeoise était-elle devenue nécessaire ?
C’était une volonté de la scène locale, portée à l’époque par Olivier Toth, Alex Muhlenbach et Gast Waltzing. L’idée était d’avoir une entrée plus directe à ce monde parfois complexe qu’est celui de la propriété intellectuelle. Il fallait aussi prendre en compte toutes les particularités du Luxembourg, être proche du marché local afin que la démarche soit plus transparente, et compréhensible par tous.
Avant cela, c’était le « no man’s land » alors ?
Historiquement, la présence de la Sacem au pays remonte aux années 1930, quand RTL s’installe au Luxembourg et lance la première radio privée, contournant au passage le monopole d’État imposé en France. La Sacem est alors venue ici pour négocier la diffusion du répertoire protégé par la Sacem directement avec RTL. Deux décennies plus tard, le chanteur d’opéra Venant Pauké devenait le premier mandataire général au Luxembourg. C’est lui qui a commencé la collecte des droits dans tous les lieux publics, les cafés, les restaurants…
Concrètement, un jeune artiste sort sa première chanson, veut la protéger et en tirer éventuellement des revenus. Comment doit-il procéder ?
Il peut ou non adhérer à la Sacem, et si oui, en quelques clics, c’est réglé! Il faut juste avoir une première exploitation publique de son œuvre. Aujourd’hui, c’est très facile d’en devenir membre, ce qui n’a pas toujours été le cas… Après, une précision s’impose : la Sacem est là pour gérer les droits d’auteur, mais la protection d’une œuvre est en soi une chose différente. Si on veut avoir une preuve temporelle de la création d’une chanson ou de l’écriture d’une partition, il est préférable de laisser une trace, ne serait-ce qu’en cas de litige. Un outil comme MusicStart le permet, mais ce n’est pas la vocation de la Sacem qui est, je le rappelle, d’offrir la possibilité de toucher une rémunération quand son œuvre est utilisée.
Aujourd’hui, au Luxembourg, on compte 1 800 membres, avec près de 200 inscriptions par an. C’est énorme, non ?
Absolument. Je suis toujours surpris de cette croissance accélérée. Il est vrai que cette nouvelle manière d’adhérer a simplifié les choses. Mais oui, j’ai l’impression que l’on nous fait confiance, du professionnel à l’amateur. Quel que soit le niveau de carrière et les ambitions artistiques de chacun, la Sacem semble aujourd’hui être vue comme une nécessité. Notre travail et notre existence ont du sens.
Ici, les droits d’auteur varient entre quelques euros seulement et plusieurs milliers
Parmi ces membres, un peu plus d’un tiers a touché des droits d’auteur en 2022. Quels sont ceux qui dominent cette redistribution ?
Ça, je ne peux pas le dire. Si ces auteurs-compositeurs veulent parler de leur rémunération, qu’ils le fassent, mais ça ne sera pas moi. En tout cas, on n’a pas de top 10 à notre disposition! Toutefois, ce que je peux préciser, c’est que les droits d’auteur varient au Luxembourg entre quelques euros seulement et plusieurs milliers. Ça dépend de différents critères : la forme, l’exploitation…
Il y a toujours ce fantasme de vivre exclusivement de ces droits d’auteur, comme Patrick Hernandez et sa chanson Born to Be Alive qui lui rapporterait plus de 1 000 euros par jour. Au Luxembourg, serait-ce possible ?
Ce serait forcément compliqué, et ça dépend toujours de ce qu’on a besoin pour vivre… Il faudrait aussi miser sur une plus grande diffusion à l’internationale. Se contenter d’exister seulement au Luxembourg, ça se respecte, mais ça a ses limites. Mais à mes yeux, un droit d’auteur, ça reste avant tout un revenu qui s’inscrit dans l’économie globale d’une carrière artistique. Ni plus ni moins.
Une chanson, une fois sortie, devient incontrôlable!
En face des artistes, on compte 7 000 utilisateurs au Luxembourg. Est-ce que tout le monde joue le jeu ?
Il faut déjà distinguer deux cas : quand la musique est un élément clé de votre activité, l’utilisateur paie un pourcentage sur les recettes qu’il réalise. Un commerce qui diffuse de la musique en fond sonore paie quant à lui un forfait. Pour répondre à votre question, il y a toujours des gens qui ne déclarent rien ou ne voient pas la nécessité de le faire. On a souvent les mêmes remarques : il y a ceux qui disent « je ne savais pas », d’autres « je ne comprends pas » et enfin certains qui ne veulent pas. Mais quand on explique la démarche, ou que l’on compare les montants en jeu si l’affaire doit se trancher au tribunal, les gens comprennent que ça vaut la peine de respecter les droits patrimoniaux des auteurs-compositeurs. Mais en dehors de petits soucis et quelques actions en justice annuelles, il n’y a pas trop de problèmes.
On se souvient du ramdam provoqué en 2019 par la directive européenne sur le droit d’auteur, tant contestée par les géants américains du numérique. Comment appréhendez-vous votre mission face à la puissance des diffuseurs dominants que sont les réseaux sociaux et les plateformes de streaming ?
Depuis l’année dernière, on a enfin un cadre pour discuter avec les géants du numérique, et la Sacem a du poids dans les négociations. On est satisfait qu’ils aient désormais une responsabilité, ignorée de longues années durant, avec le consommateur comme principal accusé. C’est vrai, les rémunérations issues de ces plateformes ne sont pas encore à la hauteur des attentes, mais on va continuer à se battre. Ça reste, avouons-le, un échange complexe et pas évident à la vue du flux en ligne, mais on y veille. Depuis 2017, par exemple, la Sacem a conclu un partenariat avec IBM pour créer URights, qui gère les droits provenant des services de streaming musicaux et vidéo.
La Sacem fête ses vingt ans. Comment voyez-vous son évolution ces prochaines années ?
La scène locale évolue et montre une volonté de collaborer avec les différents acteurs pour professionnaliser le métier. Aujourd’hui, le succès de la Sacem au Luxembourg se mesure surtout dans sa compréhension par le milieu tout entier.
La Sacem est-elle finalement à l’image de la scène locale, en plein développement ?
On peut dire ça, oui, d’où cette fête d’anniversaire qui se veut à notre image : la plus éclectique possible. Avec la Sacem, tout le monde est le bienvenu! Peu importe le style de musique que l’on défend, la cause soutenue reste la même. C’est que ce l’on s’attache à faire depuis vingt ans : être le plus proche possible de nos membres et des utilisateurs, afin de travailler ensemble avec le plus d’efficacité possible.
La Sacem en quelques chiffres :
Création en 2003
1 800 membres résidant au Grand-Duché
200 nouveaux membres chaque année
2 000 nouvelles œuvres en 2022
7 000 utilisateurs au Grand-Duché
5 millions d’euros collectés en 2022
1,2 million d’euros redistribués en 2022