L’entreprise de construction et de génie civil Poeckes fête son centenaire, entourée de ses employés, dont l’engagement et la fidélité sont restés intacts au fil du temps.
Pas moins de quatre générations de Poeckes se sont succédé aux manettes de cette entreprise emblématique de Rumelange depuis que Jos, maître maçon, y a monté son affaire en 1924.
Une exploitation minière à l’origine, qui assurait la production de Minett pour les hauts-fourneaux du sud, avant que la société s’oriente vers les travaux d’infrastructure, puis le génie civil et la construction.
C’est son arrière-petit-fils, Paul Nathan, qui dirige aujourd’hui ce fleuron de l’économie nationale aux 220 collaborateurs et 34 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel.
Une histoire de famille dont les employés ont toujours fait partie intégrante : c’est ce que nous racontent deux conducteurs de travaux, qui ont bien du mal à décrocher après toute une carrière chez Poeckes.
Retraité… ou presque
Ainsi, Laurent Bastian est en retraite depuis janvier. Du moins sur le papier. Car ce matin-là, à 7h30 pétantes, il était encore connecté en visio pour un briefing.
«J’aime bien rester au courant», sourit cet employé historique, qui a toujours sous la main son téléphone professionnel. Dans la salle de réunion où se déroule notre entretien, il s’installe naturellement en bout de table : «Ma place habituelle», souffle-t-il.
Conducteur de travaux, comme papa
La première fois qu’il est entré chez Poeckes, il avait à peine sept ans et tenait la main de son père, lui-même conducteur de travaux. Il a suivi ses pas et poursuivi des études dans le bâtiment, avant d’être embauché dans l’entreprise comme aide technicien.
«En 38 ans de maison, j’ai gravi tous les échelons, jusqu’à la direction de travaux. C’est comme ça ici, on te laisse ta chance», souligne-t-il, très reconnaissant.
Les patrons étaient très investis, on avait un lien direct avec eux
Même sentiment pour Sébastien Ingrasci, dont le gendre a pu intégrer la société après une formation. Lui aussi pourrait être en pension, mais non, il a choisi de rester.
«Fin d’année, c’est prévu de freiner quand même», admet-il à peine. «Ce serait trop difficile de couper comme ça, du jour au lendemain, après 35 ans».
Ce qui lui a tout de suite plu en rejoignant Poeckes en 1989, c’est l’implication des dirigeants : «Les patrons étaient très investis, on avait un lien direct avec eux, on se sentait entouré et capable de résoudre n’importe quel problème», témoigne-t-il.
«Fiers de tout ce qu’on a fait»
Une organisation horizontale qui n’a pas bougé d’un iota en cent ans, et qui continue de faire le succès de l’entreprise. Des bons souvenirs, ces deux experts dans leur domaine en ont collecté des tas.
Des projets d’envergure menés dans le résidentiel comme dans le secteur industriel, mais aussi des chantiers qui sortaient parfois de l’ordinaire, comme les silos géants de la cimenterie à Esch. «On est fiers de chacun des chantiers qu’on a menés», assure Laurent Bastian.
«On courait à la cabine téléphonique avec des pièces»
Sans oublier la façon de travailler, ou plutôt de communiquer, bien différente à l’époque où les téléphones mobiles n’existaient pas : «On courait à la cabine téléphonique du coin pour passer nos commandes de matériel, on mettait des pièces et des pièces là-dedans», se souvient-il en riant.
«Et pour appeler la centrale, on avait la cibi dans la voiture», enchaîne son collègue. «On envoyait nos documents par fax. Et pas le droit à l’erreur! Je me demande comment feraient les jeunes aujourd’hui dans ces conditions», s’amuse-t-il.
«On se mettait d’accord à l’oral et c’était réglé»
Des difficultés qui avaient du bon, puisqu’il y avait alors bien moins de paperasse et plus d’échanges directs. «La confiance comptait beaucoup, on se mettait d’accord à l’oral et c’était réglé», raconte Sébastien Ingrasci.
Les tendances dans la construction ont aussi évolué au fil de ces décennies, et ces deux professionnels ont été aux premières loges : «Dans les années 1980, on faisait de la maçonnerie vue, les briques apparentes, c’était la folie!»
«Au début des années 2000, c’était le béton vu qui était en vogue, lissé ou coffré, et désormais, ce qui plaît, c’est le mix entre béton et bois», indiquent-ils. Ce qui leur a permis de ne jamais ressentir de routine et d’apprendre constamment de nouvelles techniques.
Le grand-duc héritier attendu
Avec l’ensemble du personnel, ils sont conviés aux célébrations du centenaire qui auront lieu le 6 juin : une séance académique auréolée de la présence du grand-duc héritier, et une soirée dédiée aux collaborateurs, qui s’annonce forte en émotion.
Sur le portrait en noir et blanc affiché au mur de la salle de réunion, Jos Poeckes peut continuer de fumer sa pipe : son affaire prospère toujours, un siècle plus tard.
«Faire du mortier, c’est la première leçon»
Respect et solidarité : depuis 2015, Paul Nathan perpétue les valeurs fondamentales de Poeckes, et ça réussit à l’entreprise.
Comment ne pas flancher en reprenant à son tour l’entreprise que ses aînés ont fait briller? En 2015, Paul Nathan a ressenti ce vertige, mais n’a pas hésité une seconde : «Le poids de l’héritage m’a effrayé, j’ai eu peur de ne pas réussir, mais j’aurais regretté de ne pas me lancer», confie cet ingénieur de formation de 39 ans.
C’est son grand-père maternel, Théo Poeckes, qui lui a transmis sa passion pour le métier : «Quand on était petits, avec mon frère, il nous emmenait sur les chantiers le dimanche et nous expliquait tout», se rappelle-t-il. Des escapades qui ont grandement influencé les jeunes garçons puisque Paul a choisi le génie civil et son frère, l’architecture.
Mais pas question de s’installer dans le fauteuil de patron sans avoir ses preuves. Ce travailleur acharné a d’abord fait ses armes ailleurs, et a pu s’appuyer sur les bases solides enseignées par sa famille : «On m’a inculqué très tôt la valeur du travail. À 16 ans, j’allais faire du mortier pour les maçons. La première leçon, c’est celle-ci.»
«Chez nous, on peut compter les uns sur les autres»
Un esprit de respect et d’entraide qui guide chaque jour son action, comme une boussole. «Nos piliers sont la qualité, être fiers de ce qu’on fait. La sécurité, à la fois sur nos chantiers, mais aussi sociale – on n’a jamais eu de perte d’emploi liée à la conjoncture. Et enfin, la confiance, qui se tisse dans le temps», liste ce papa de deux enfants. «Chez nous, on ne ment pas, et on peut compter les uns sur les autres. C’est comme une grande famille.»
Une culture d’entreprise plutôt atypique en 2024 qui porte cependant ses fruits : «L’entreprise en bénéficie par la motivation des salariés en retour, leur loyauté et leur implication sans faille», pointe le gérant, qui traite encore aujourd’hui avec des clients de son arrière-grand-père. Sûr qu’eux aussi apprécient cette relation de confiance.
Alors, presque dix ans après sa nomination, Paul Nathan mesure l’importance de sa pierre à l’édifice familial : «Je me dis que je compte désormais pour 10% de l’histoire de Poeckes. C’est une étape importante», note-t-il, conscient du chemin qui reste à parcourir. «Mon part du travail sera pleinement accomplie au moment où je passerai le relais.»
À son fils de six ans? «Pourquoi pas», sourit-il. «Il demande souvent à m’accompagner pour voir les machines et me pose beaucoup de questions, donc ça l’intéresse! Quoiqu’il arrive, mes enfants seront libres de décider ce qu’ils veulent faire.»
Ch.B.