Comme chaque année à l’Assomption, le village de Greiveldange s’est transformé ce vendredi 15 août en un rassemblement aussi religieux que festif à l’occasion du populaire «Léiffrawëschdag».
D’un coup de goupillon, le curé asperge de l’eau bénite sur une gerbe d’herbes aromatiques et médicinales, de fleurs, de céréales et de légumes disposée au pied de l’autel. Puis un autre jet vient mouiller un tonneau de crémant et des bouteilles disposées sous une statue du Christ. Pas de doute, nous sommes bel et bien à Greiveldange, un jour de l’Assomption.
Dans ce petit village de près de 1 000 âmes, situé dans la commune de Stadtbredimus, la messe du 15 août est unique en son genre. En l’église Saint-Jacques-le-Majeur, on célèbre le Léiffrawëschdag, une coutume associée à la célébration de la Vierge Marie et sauvée de l’oubli il y a 40 ans par les habitants (lire ci-dessous).
Outre la messe, le Léiffrawëschdag est aussi une fête du vin, avec des stands de restauration, des buvettes, des concerts et un marché d’artisans et commerçants en tout genre. De quoi attirer des milliers de personnes chaque année.
«Qu’est-ce que c’est, ces bouquets?»
Parmi la foule qui attend de recevoir un morceau de pain et un verre de crémant offerts à la sortie de l’église, un couple de touristes s’interroge : «Qu’est-ce que c’est, ces bouquets?» Arrivés là grâce aux suggestions d’internet, ces deux touristes français restent étonnés devant ces gerbes pour le moins originales, mais qui partent comme des petits pains. Après éclaircissements, la Lilloise est séduite et en achète deux. «Je suis aussi chrétienne, mais je n’avais jamais vu une cérémonie comme celle-là, c’est super», déclare-t-elle, tandis que son compagnon, verre à la main, loue cette «célébration du terroir».

Nico, originaire de Frisange, n’a pas besoin d’explications. Le bouquet qu’il a dans la main, il va «l’accrocher chez (lui) dans la cave». Avisé, il ajoute qu’«il vaut mieux ne pas boire beaucoup, car il fait très chaud aujourd’hui». Comme lui, de nombreux Luxembourgeois note Greiveldange dans leur agenda le 15 août.
Tout comme les quelques politiques présents chaque année ou comme Tony et Manuela. «On vient tous les ans ici», lance fièrement ce couple qui vient, lui, de la commune de Helperknapp. Soit une bonne quarantaine de kilomètres qu’ils font avec plaisir, «par conviction religieuse et pour la fête du vin aussi».
Une fête de village entrée dans la culture
À l’instar de l’historique procession dansante d’Echternach ou de la plus récente Nuit des lampions à Wiltz, Tony rate le moins possible les événements typiquement luxembourgeois. «Je suis la culture partout où elle est, c’est important que ces fêtes ne s’arrêtent pas», insiste-t-il. Comme un hommage à l’ASBL Greiweldenger Leit qui a maintenu la tradition et qui organise cette année sa 41e édition du Léiffrawëschdag.
Francine Kieffer, membre de la première heure de l’association, se souvient encore de la première modeste édition en 1985. «Nous n’avions qu’une seule petite tente et nous avons été débordés. En début d’après-midi, nous n’avions plus rien à boire ni à manger», rigole-t-elle aujourd’hui. «Le pire, c’est qu’au début, certains hésitaient pour la date, parce que c’était un jour férié et pendant les vacances. Ils pensaient qu’il n’y aurait pas grand monde.»
Depuis, la petite fête du village a pris de l’ampleur. Une centaine de bénévoles «qui viennent de Greiveldange et de partout» y donnent un coup de main. Le bourg ne pouvant accueillir des centaines de voitures, des navettes partent toutes les demi-heures de Canach ou Remich. «On ne pensait pas que cela prendrait autant», confie Francine, loin de se plaindre.
«Léiffrawëschdag» : Une tradition ancestrale qui a failli s’éteindre
Célébré depuis l’ère préchrétienne puis popularisé par l’Église, le «Léiffrawëschdag» a pourtant disparu au fil du temps, jusqu’à l’initiative de quelques motivés en 1985.
Au vu de la foule présente à Greiveldange ce vendredi 15 août, nul doute que la fréquentation de cette édition 2025 se situe dans la même fourchette que les précédentes, entre 4 000 et 5 000 personnes. Difficile aujourd’hui d’imaginer que cela n’a pas toujours été le cas.
Dans un article du Luxembourg Wort publié en 1972 sur le «Léiffrawëschdag», le journaliste d’alors écrit qu’«une grande partie de cette tradition appartient au passé». À cette époque, cette fête des moissons est en effet en voie de disparition, en même temps que le déclin du nombre d’agriculteurs dans le pays. L’Assomption était pourtant célébrée dans tous les villages de Moselle depuis des centaines d’années. Voir un millénaire.
D’abord fêté le 18 janvier
Selon les historiens, le «Léiffrawëschdag» remonte à l’ère préchrétienne avant que cette fête des moissons païenne se transforme, comme d’autres, en un événement religieux lorsque les populations locales se convertissent au christianisme. La date n’était cependant pas fixée au 15 août, mais au 18 janvier, comme le rapporte le poète national Dicks. Ce dernier écrit dans son ouvrage «Coutumes et traditions luxembourgeoises» de 1883 que la fête est finalement déplacée par l’Église en l’an 582.
L’Assomption était alors l’occasion pour les paysans de faire bénir par leur curé une gerbe («wësch» en luxembourgeois) qui pouvait être composée d’une centaine d’herbes, des céréales et des légumes. Après avoir donné la carotte aux enfants, le bouquet porte-bonheur était ensuite dispersé : suspendu dans l’étable, disséminé dans la semence, utilisé dans la soupe ou placé dans les cercueils.
Sauvé par Greiveldange
Aussi appelée «Krautwëschdag» («kraut» voulant dire herbes), la coutume prend une autre dimension en 1678, lorsque la Vierge Marie est choisie comme sainte patronne du Grand-Duché. Dès lors, la bénédiction des herbes précède une procession en l’honneur de la Vierge. Trois siècles plus tard, le dogme de l’Assomption est reconnu en 1950 par le pape Pie XII, mais le 15 août a déjà perdu en importance au Luxembourg en raison du déclin de l’agriculture et de son mode de vie.
Tandis que la tradition disparaît sans bruit des villages, les habitants de Greiveldange inversent le cours de choses en décidant de la relancer en 1985, au travers d’une fête en hommage aux agriculteurs, vignerons et artisans d’autrefois. Au fil des années, l’ASBL «Greiweldenger Leit» fait de son «Léiffrawëschdag» un incontournable et le seul encore existant. Depuis 2020, la fête figure à l’inventaire national du patrimoine culturel immatériel, plus que jamais sauvée de l’oubli.