La date du scrutin allemand est gravée depuis longtemps dans les esprits des responsables de l’UE, pressés de remettre le continent en ordre de marche face à la ribambelle de crises qu’il affronte.
«Nous avons parfois peur du leadership allemand», glisse un diplomate européen. «Mais il est difficile de vivre sans», poursuit-il, illustrant l’empressement des dirigeants à Bruxelles à être fixés sur le résultat du scrutin.
Voilà plusieurs mois que le couple franco-allemand, habituellement moteur des grands chantiers européens, «n’est pas en mesure de travailler, de prendre de grandes décisions», explique Yann Wernert de l’institut Jacques Delors. Et ce, «alors même que c’est plus nécessaire que jamais», estime-t-il, évoquant les menaces de Donald Trump, la guerre en Ukraine dont les rebondissements donnent des sueurs froides à de nombreux Européens, et le besoin urgent de relancer la compétitivité sur le continent.
Les dossiers clés européens bloqués
Après une longue instabilité politique en France, secouée par une dissolution et la chute d’un Premier ministre, et plusieurs mois de flottement au sommet de l’exécutif européen le temps de la formation de la Commission, c’est désormais au tour de l’Allemagne d’être en retrait des tractations en raison de ses élections, prévues dimanche.
Si le candidat conservateur Friedrich Merz est bien parti pour ravir le poste de chancelier à Olaf Scholz, de nombreuses interrogations demeurent quant à la nature de sa possible future coalition, la place accordée à l’extrême droite, et la durée de sa formation.
Autant d’interrogations qui bloquent l’avancée de dossiers clés en Europe, à commencer par l’élaboration d’une réponse aux échanges entre Américains et Russes sur l’Ukraine, dont ils ont pour l’instant été exclus. «Nous ne voyons pas vraiment les Allemands à l’œuvre dans les propositions», regrette un diplomate européen.
Cette inertie pousse certains à chercher ailleurs les figures qui puissent donner l’impulsion dont l’Europe a besoin.
Tusk ou Meloni à la rescousse ?
Le nom du Polonais Donald Tusk, dont le pays exerce actuellement la présidence de l’UE, est régulièrement cité. Le Premier ministre est très visible sur les questions de défense, exhortant quasi-quotidiennement les Européens à muscler leurs investissements face à la menace russe. Mais il est lui aussi paralysé sur nombre d’autres dossiers, en raisons d’élections organisées dans son pays le 18 mai.
D’autres évoquent celui de Giorgia Meloni, dont le gouvernement fait preuve d’une stabilité rare en Europe et qui se targue d’une proximité avec le président américain Donald Trump. Mais la Première ministre italienne se montre en ce moment plutôt effacée, notamment sur le dossier ukrainien.
«Toute l’Europe regarde l’élection» allemande, assure l’eurodéputé Daniel Freund. Et en attendant, «ça manque de mouvement», regrette l’écologiste allemand.
De nombreux élus s’interrogent aussi sur l’incidence que le scrutin pourrait avoir sur les équilibres politiques au sein de cette institution. La droite du PPE, première force politique de l’institution, légifère actuellement avec une grande coalition de centristes, sociaux-démocrates et verts. Mais montre des premiers signes de rapprochement avec l’extrême droite.
Une situation que certains comparent avec l’effilochement du «cordon sanitaire» en Allemagne, où les conservateurs et l’extrême droite ont fait tomber un tabou majeur en alliant leurs voix pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, lors d’un vote fin janvier.
«Pour moi, la vraie question, c’est dans quelle mesure ce qui s’est passé en Allemagne aura un impact sur le résultat des élections et quels enseignements les élus du PPE en tireront», explique Valérie Hayer à la tête du groupe centriste Renew. «Est-ce qu’ils se diront que le fait d’avoir rompu le cordon sanitaire — au moins dans les mots – en Allemagne, ça a été une stratégie perdante? Ou est-ce qu’au contraire ça a été gagnant?», détaille l’eurodéputée.
Autant de négociations qui sont suivies de près chez le groupe d’extrême droite des Patriotes qui multiplie les appels du pied auprès des conservateurs du Parlement européen. Si le cordon sanitaire tombe en Allemagne, «il sera très difficile justifier son maintien ici», espère le Danois Anders Vistisen, membre de cette formation.