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Léa Linster: «La cuisine de Paul Bocuse est extraordinaire!»


Léa Linster ne perd jamais son grand sourire. Pour elle, "c'est une question de principe" (photo: le Quotidien)

Le chef Paul Bocuse, décédé le 20 janvier, a amené la gastronomie française dans une autre dimension. Léa Linster, depuis son restaurant étoilé, honore le maître qui lui a remis le Bocuse d’or en 1989.

Elle est toujours la seule femme lauréate du Bocuse d’or. Heureuse et fière de s’inscrire dans la lignée du pape de la nouvelle cuisine, la chef de Frisange, qui était présente aux obsèques de Paul Bocuse, loue sa vision d’une cuisine généreuse réalisée avec les meilleurs produits.

Vous connaissiez bien Paul Bocuse…

Léa Linster : C’est comme si je l’avais toujours connu. En janvier prochain, cela fera tout juste 30 ans que j’ai remporté le Bocuse d’or. Je suis toujours la seule femme à l’avoir gagné et je serai la seule à qui Paul Bocuse l’aura remis en main propre.

Pouvez-vous nous raconter la façon dont s’est déroulé le concours?

Tous les deux ans, il rassemblait tous les pays du monde à Lyon. Paul Bocuse choisissait les produits et nous, nous devions les cuisiner. En 1989, il fallait travailler de la langouste et de la selle d’agneau. Recevoir le prix de ses mains était un moment extraordinaire!

Malheureusement, vous n’avez plus ce trophée, on vous l’a volé…

Oui… Mais si on peut m’enlever ce trophée, je reste toujours celle que je suis. Lorsque j’ai découvert ce vol, je suis allée me regarder dans le miroir et je me suis fait un beau sourire. Je sais que j’ai la chance d’en avoir un! Eh bien, ça m’a rendue heureuse, parce que celui-là, je ne l’avais pas perdu! Perdre mon sourire est ce qui pourrait m’arriver de pire, mais j’ai toujours envie d’être heureuse et de transmettre ce sentiment aux autres. Il faut apprendre à savourer le plaisir et à ne surtout pas le gâcher.

Que représente Paul Bocuse à vos yeux?

C’est la figure qui illustre le mieux ce qu’est la cuisine française. La grande nouveauté, c’est qu’avant lui, les chefs n’étaient jamais connus. Ce sont les maîtres d’hôtel qui étaient mis en avant. Il a sorti les chefs de leurs cuisines, comme on dit. Aujourd’hui, on voit à quel point ce premier pas vers le grand public a été important : les grands chefs sont reconnus partout dans le monde. À l’époque, ça n’avait rien d’évident. Mais il savait exactement ce qu’il voulait, c’était un maître qui décidait et savait ensuite le faire valoir. Il a voulu cette célébrité et il l’a assumée jusqu’au bout.

Quel a été son apport sur le plan de la gastronomie?

Il incarne mieux que quiconque la nouvelle gastronomie française. Avant Paul Bocuse, on cuisinait encore comme on le faisait pour les rois. Mais il fallait tout changer parce que l’on n’avait plus les moyens de proposer ces anciens plats. Il a donc allégé la cuisine et l’a rendue plus goûteuse. Il fallait le faire, ce n’était plus du tout la cuisine d’Escoffier, par exemple!

Mettre l’accent sur les produits, proposer des cuissons plus courtes, avec moins de sauce… c’est aussi une cuisine qui ne pardonne pas, qui doit être très précise…

Tout à fait, la cuisine légère ne pardonne pas! Si l’on avait une viande à la qualité douteuse, il suffisait de renforcer la sauce pour le camoufler. Si vous saviez comme la moutarde a eu bon dos! La nouvelle cuisine, ce n’est pas la recette qui la fait : c’est l’alchimie entre les produits et les chefs.

À quel point la recherche des bonnes matières premières est-elle capitale?

Elle fait tout : la recette ne peut pas marcher si les produits ne sont pas bons. Cela signifie qu’il y a un indispensable apprentissage pour connaître et reconnaître les bons produits, leur saisonnalité… Il doit y avoir une sorte de communion entre le chef et les produits qu’il travaille. Pour cela, il faut aimer ce que l’on fait et pouvoir le faire dans de bonnes conditions. C’était un des messages essentiels de Paul Bocuse.

Retrouvez l’intégralité de l’interview dans votre Quotidien du 03 et 04 février.

Erwan Nonnet