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[Musique] Le Robert Stephen Band, 40 ans après


Le quatuor s’apprête à rejouer sur scène, dans un esprit rock qui ne l’a jamais vraiment quitté, son album Ka komme wat wëllt. (Photo : editpress/didier sylvestre)

En 1982, le Robert Stephen Band sortait Ka komme wat wëllt, album qui révolutionna le paysage musical du pays et la manière d’aborder la langue luxembourgeoise en chanson. Quatre décennies plus tard, le quatuor s’apprête à le rejouer sur scène, dans un esprit rock qui ne l’a jamais vraiment quitté. Rencontre.

Cette semaine, à la Kulturhaus de Mersch, le Robert Stephen Band prenait doucement ses marques sur la grande scène. Il y a d’abord Michel Bontemps, le plus jeune (65 ans) et le plus discret, préférant tirer sur les câbles et essayer les synthétiseurs plutôt que de discuter. Qu’importe, Roger Hamen (70 ans), batteur et ancien responsable du Rocklab, parle pour deux. À leurs côtés, le «guitar hero» Mil Garofalo (70 ans) qui, en son temps, a postulé chez Iron Maiden lors d’un séjour à Londres. Et enfin, Gollo Steffen, 69 ans, leader à la gentillesse à fleur de peau, par qui tout est arrivé.

Influencé par Bob Dylan ou Leonard Cohen, le guitariste-chanteur décide, au début des années 80, de traduire ses textes de l’anglais au luxembourgeois. En résultera notamment un album qui va faire date, Ka komme wat wëllt (que l’on peut traduire par «quoi qu’il arrive»), et va influencer bon nombre de jeunes musiciens au pays. Quarante ans après, à l’occasion d’une double soirée anniversaire, la bande reprend ses classiques (Amerika Läit Jhust Viroan Ëlwen, Véier Wochen, Jhust e Clown…), enregistrés pour l’occasion et partagés en live avec certains de ses héritiers (Daniel Balthasar, Claudine Muno, Thierry Kinsch, Serge Tonnar). Ça méritait bien quelques confidences et anecdotes.

Début 1980, comment se présente le paysage musical au Luxembourg?

Gollo Steffen : C’était surtout compliqué de trouver des musiciens. Il n’y avait pas d’infrastructures comme l’on connaît aujourd’hui avec les écoles de musique. Allez donc trouver un batteur quand vous habitiez dans le nord du pays! Franchement, quand on trouvait des gens motivés pour monter tous les week-ends dans l’Oesling, il y avait de quoi s’estimer heureux (il rit). Un jour, « Mich » m’a dit que Mil Garofalo était intéressé par ce que l’on faisait. La chance était alors de notre côté car, lui, c’était une star à l’époque! Je me rappelle encore du concours auquel on avait tous participé et qu’il avait gagné. C’était une bonne nouvelle.

Et musicalement, c’était comment?

G.S. : Des fanfares et encore des fanfares! Rien de très fou.

Dès la fin des années 70, le luxembourgeois s’impose dans vos textes. Comment est-ce arrivé?

G.S. : Si on faisait du rock, l’anglais était une évidence. D’ailleurs, quand on s’appelle le Robert Stephen Band, il est difficile de s’en cacher. Mais dans d’autres pays, certains groupes osaient chanter dans leur langue natale, comme Téléphone en France ou BAP en Allemagne. Trois jours avant d’enregistrer le premier album (Du méist lo ufänken), j’ai alors traduit tous mes textes. Juste comme ça, pour voir… Finalement, la version anglaise n’est jamais sortie!

En quoi cette affirmation identitaire était-elle nécessaire?

G.S. : Par le biais de la traduction, ma région, mon pays et mon vécu se sont greffés dans les paroles. C’est important de parler de ce que l’on connaît bien. D’ailleurs, ces textes, quarante ans après, sont toujours d’actualité. Et s’ils tiennent encore aujourd’hui, c’est en raison de ce côté authentique. C’est ce qui plaît!

Roger Hamen : C’est vrai, dans le nord du pays, les gens s’y sont identifiés. Il faut rappeler qu’à l’époque, le Luxembourg était très différent en fonction de l’endroit où vous habitiez. Nous, quand on montait, on avait parfois l’impression d’être dans la pampa (il rit). Attention, c’était aussi l’aventure pour ceux qui descendaient vers Rumelange ou Schifflange. Oui, c’était des univers distincts. D’ailleurs, quand Gollo chantait à Dudelange Summer Um Stausei, les gens se regardaient et se demandaient : « Mais c’est où le Stausei? ».

G.S. : Je me rappelle qu’en ce temps-là, les gens des Terres rouges allaient en vacances dans le nord du Luxembourg en caravane. Bien avant les Hollandais!

En 1982, vous sortez Ka komme wat wëllt, que l’on retient aujourd’hui comme un disque pionnier. Pourquoi, selon vous, s’est-il mieux imposé que votre premier LP, déjà chanté en luxembourgeois?

G.S. : À mes yeux, tout tient à la façon dont on l’a enregistré. En 1980, on avait loué un studio en Allemagne et ç’a été un stress énorme. Il faut dire que l’on n’est pas des professionnels. Du coup, on regardait sans cesse la montre : il suffisait d’accorder une guitare qu’il fallait déjà payer (il rit). En 1982, c’était bien plus détendu. On a fait ça dans la cave, sous l’épicerie que tenait ma mère à l’époque, à Wiltz.

Vous en gardez de bons souvenirs? 

G.S. : Clairement. On n’avait pas la technique qu’il fallait, aucun confort acoustique, mais on avait le temps! On a fait ça sur un quatre pistes, tranquilles, entre nous.

R.H. : Il y avait ces boîtes de tomates empilées dans ce tout petit endroit où il fallait rentrer ma batterie et le gros ampli Marshall de Mil. De là allait sortir un 33 tours. C’est assez spécial, non? Pour revenir à la question précédente, si Du méist lo ufänken contenait d’excellentes compositions, selon moi, Ka komme wat wëllt était mieux fini, avec de meilleurs arrangements, des parties musicales plus efficaces. À ce moment bien précis, l’alchimie a pris.

G.S. : Encore une fois, le compteur ne tournait pas : on pouvait jouer, prendre une pause, se rafraîchir, se donner rendez-vous trois jours plus tard… On était libres, et ça s’entend! Je suis d’ailleurs tombé récemment sur des photos où l’on posait, avec un grand sourire, devant l’épicerie.

R.H. : Oui, c’est cela, on était contents de le faire. Sinon, à quoi bon? Et ça s’est fait naturellement. La caisse claire résonne comme ça? OK, on enregistre. Il y a une vibration ici? Tant pis. C’est, encore une fois, une question d’authenticité, d’honnêteté.

Quelle était l’idée derrière le titre et la pochette?

G.S. : Le titre, qui est aussi celui de la chanson principale, parle de ces gens qui prennent les choses par-dessus la jambe, qui disent « ça m’est égal ». Moi, je leur dis : « Faites attention. Il faut chercher à savoir ce qui va arriver, à avoir un certain contrôle sur ce qui se passe ». Sinon, il faut se contenter de ce qui arrive, de ce qui reste. Pour la pochette, il y avait l’idée de la marche, d’avancer et, qui sait, de laisser une trace. C’est mon amie de l’époque, ma future épouse (Renée Weber), qui a fait ce moulage. Elle travaillait chez Goodyear, où elle modelait les formes des pneus. Elle a donc posé son pied et écrit, sur-mesure, le titre à même l’enduit. Il n’y a aucun trucage!

Vous souvenez-vous de la réception du disque?

G.S. : Elle a été bonne et on a fait pas mal de concerts après! Surtout qu’au Luxembourg, quand vous jouez trois fois, les gens ne reviennent plus! On a notamment rempli le Melusina en 1982 et quelques cafés aussi. Aujourd’hui, sur Facebook, je tombe parfois sur des photos de concerts dans des bars où il y a 20 personnes dans le public. Avant, il pouvait y en avoir plus de 200.

R.H. : Sans oublier qu’il n’y avait pas beaucoup d’endroits pour faire de la musique! Deux-trois cafés dans le nord, autant dans le sud. S’il y avait foule ce soir-là au Melusina, c’est parce que les spectateurs sont venus de tout le pays. Mais c’est vrai, on ne pouvait pas jouer partout.

Mil Garofalo : (Il vient juste d’arriver) Et n’importe qui ne pouvait pas jouer non plus! Au Blow Up, dans les années 70, il y avait une pancarte qui disait : « Défendu aux Italiens et aux Algériens ». Il faut s’imaginer ça aujourd’hui, en 2022. Ça pose une époque!

G.S. : Actuellement, les bars disparaissent. Ce qui est regrettable pour les jeunes.

M.G. : Même à Londres, ils ferment des pubs historiques. C’est dire!

Cette langue est là, elle existe. Pourquoi ne pas la transmettre? Pourquoi devrait-on en avoir honte?

Comment cet album sonne-t-il aujourd’hui, pour vous?

G.S. : Quand on s’est vus pour la première fois afin de répéter, je me suis dit qu’il fonctionnait encore bien.

M.G. : Et les textes auraient pu être écrits la semaine dernière!

R.H. : Ces morceaux sont tellement ancrés en nous qu’ils reviennent sans forcer. C’est comme pour la conduite : on ne réfléchit pas avant d’arriver à un feu rouge, sinon c’est dangereux. On freine, c’est un truc acquis. Là, c’est pareil. C’est quand on hésite ou quand on pense trop que ça s’enraye.

G.S. : Pourtant, on peut rarement y échapper. Et sur les quarante années, on est devenus plus perfectionnistes! Pas question d’entrer en scène sans être préparés.

R.H. : À l’époque, Mil avait devant lui quatre pédales d’effet. Maintenant, il en a 25! (Il rit).

Vous êtes-vous sentis « rouillés »?

M.G. : Je joue tous les week-ends depuis 52 ans, alors pour moi, la question ne se pose pas!

R.H. : Nous aussi, on se sent en forme!

On n’avait pas la technique qu’il fallait, aucun confort acoustique, mais on avait le temps!

Quand on dit que ce disque fait figure de pionnier dans le rock luxembourgeois, trouvez-vous cela justifié?

G.S. : Certains artistes ont fait comme nous : ils ont commencé à chanter en anglais avant de se tourner, tôt au tard, vers la langue luxembourgeoise. Je pense à Claudine Muno ou Daniel Balthasar, avec qui j’ai repris une de mes chansons, Bild Vun Engem Mann. Et bien sûr Serge Tonnar, qui m’a déjà cité sur scène pour dire que j’avais prouvé que l’on pouvait faire des textes en luxembourgeois qui aient du sens. C’est un beau compliment.

R.H. : Trouver une écriture qui résonne, ce n’est pas évident. Tout le monde n’en est pas capable! Gollo, lui, y est parvenu. Il a su dénicher dans ce vocabulaire luxembourgeois des mots justes. Parce que les « she loves you, yeah, yeah, yeah », ça va deux minutes, hein!

Ça ferait comment en luxembourgeois?

G.S. : (Il réfléchit) Ech hunn dech gär, yeah, yeah, yeah!

Aujourd’hui, beaucoup de jeunes musiciens n’hésitent plus à chanter en luxembourgeois, alors que les possibilités de s’exporter sont plus accessibles. Qu’est-ce que cela vous évoque?

R.H. : Tant mieux! Cette langue est là, elle existe. Pourquoi ne pas la défendre ou, plutôt, la transmettre? Particulièrement dans un pays multiculturel comme le nôtre. Je ne vois pas le problème d’aller à Metz, à Francfort ou à Prague et de jouer en luxembourgeois. Pour revenir au groupe BAP, qui chantait dans le dialecte de Cologne, pensez-vous que le public à Berlin n’appréciait pas et ne criait pas les paroles? Alors pourquoi devrait-on avoir honte de notre langue?

M.G. : J’ai vu un concert de Tokyo Hotel à Varsovie, où toute la salle chantait en allemand.

R.H. : Cela dit, je trouve dommage, en raison du numérique, que l’on n’ait plus accès aux textes comme avec le vinyle. Pas mal de gens, à l’époque, apprenaient l’anglais de cette manière.

M.G. : On les étudiait même à l’école. Alors qu’aujourd’hui, les plus jeunes ne savent plus ce qu’est ce machin noir et plat, avec un trou au milieu. Il n’y a plus que le streaming qui compte…

Les textes auraient pu être écrits la semaine dernière!

On se donne rendez-vous dans dix ans. Cinquante ans, c’est un âge qui se fête aussi, non?

(Rire général) R.H. : Est-ce qu’il y aura Patrick Bruel?

G.S. : On fera des concerts depuis la maison de retraite!

M.G. : En tout cas, je n’ai pas d’arthrose!

R.H. : On n’est pas les Rolling Stones et, en plus, on n’est pas payés pour ça. Les voir encore sur la route des tournées, c’est un peu ridicule.

G.S. : Oui, à un moment, il faut être réaliste.

«Soirée anniversaire» de l’album Ka komme wat wëllt, Kulturhaus – Mersch.. Vendredi et samedi soir à 20 h. Guests : Claudine Muno, Thierry Kinsch, Daniel Balthasar et Serge Tonnar.

«Ces mecs, c’est un « hall of fame »!»

Au moment où le Robert Stephen Band sortait Ka komme wat wëllt, Daniel Balthasar avait deux ans. «Un peu jeune pour avoir remarqué le groupe à l’époque…» Aujourd’hui pourtant, il fait partie de la famille, au même titre que les autres musiciens invités à rejoindre le groupe sur la scène de la Kulturhaus de Mersch, ce soir et demain. Plus qu’une famille, «on forme le club des « songwriters » luxembourgeois», rit l’auteur-compositeur-interprète en se remémorant ce concert surprise donné en 2019 aux Bicherdeeg pour l’anniversaire de Gollo. Avec, déjà, Serge Tonnar, Claudine Muno et Thierry Kinsch. Autant dire que ce concert anniversaire sera autant un hommage qu’une fête entre copains.

Entre Daniel Balthasar et Gollo Steffen, tout a commencé en octobre 2011, à l’occasion d’un concert caritatif en hommage à l’acteur Thierry Van Werveke, à la Rockhal. Les deux musiciens avaient chanté ensemble E Bild Vun Engem Mann, sorti en 1985 sur l’album éponyme de Gollo Steffen. Puis il y eut une compilation de reprises de chansons luxembourgeoises, à l’initiative de Roger Hamen, pour laquelle Daniel Balthasar a enregistré sa propre version du même titre. «J’imagine que ça a plu à Gollo, car lorsqu’il donne un concert et que je suis libre, on se retrouve sur scène», glisse-t-il.

Il n’aura cependant échappé à personne que, contrairement à Serge Tonnar et Claudine Muno, dans la musique de Daniel Balthasar, la langue luxembourgeoise brille par son absence. «En fait, E Bild Vun Engem Mann est la seule chanson que j’aie jamais enregistrée en luxembourgeois», confie celui qui a, «depuis toujours», adopté l’anglais comme langue chantée. «Musicalement et mélodiquement, je ne me retrouve pas dans le luxembourgeois. Mais chez Gollo et les autres, ça fonctionne très bien!»

D’ailleurs, Daniel Balthasar déplore qu’au Luxembourg, «on ne rende pas hommage à ceux qui ont contribué à la musique populaire». Le concert de ce soir, juge-t-il, fait figure d’exception. «Il est temps que l’on commence à respecter ceux qui étaient là avant nous. Gollo et sa bande (…) ont fédéré plein de gens qui les ont suivis et ils recommencent aujourd’hui. Gollo a énormément contribué à la vie culturelle au Luxembourg, tout comme Roger Hamen. Ces mecs, c’est un « hall of fame » de la musique luxembourgeoise!»

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