Marcelo Fernandes, Brésilien exilé à Esch-sur-Alzette depuis 1996, est un fervent collectionneur d’objets sur Pelé. Il a même écrit un bouquin sur son idole.
La photo qui l’émeut le plus est parue dans le journal O Globo en octobre 1962, peu après une finale de Coupe intercontinentale contre Benfica, remportée 8-4 sur deux rencontres. Et pour tout dire, elle est carrément mystique. On y voit un Pelé «shooté» au flash dans un stade totalement plongé dans la pénombre. Si bien que le maillot du Roi (qui venait de coller cinq buts aux Lisboètes), son short, ses chaussettes, d’un blanc immaculé, semblent flotter, portés par un spectre.
Il était inévitable qu’un jour la réalité finisse par rejoindre ce cliché, que ce corps jadis si rapide et félin, à la détente exceptionnelle, finisse par lâcher. Et qu’au Luxembourg, à notre mesure et à 9 650 kilomètres de São Paulo, où se tiennent les cérémonies pour dire adieu au meilleur joueur de l’histoire de ce sport, l’on se tourne vers Esch-sur-Alzette. Juste en face du contrôle technique, pour être précis. C’est là où vit Marcelo Fernandes. Qui l’admet : «Cette photo, je l’aime : on dirait effectivement qu’un fantôme se promène avec un t-shirt de foot.»
Au Luxembourg depuis 19 ans
Aujourd’hui, huit jours après le décès d’Edson Arantes do Nascimento, c’est donc un autre Brésilien, exilé au Grand-Duché depuis ses 19 ans, qui nous est subitement devenu incontournable pour parler de Pelé, pour remettre une légende à la hauteur de notre minuscule pays qui n’a jamais affronté qu’une fois les Auriverde dans toute leur histoire, en 1952 (défaite 2-1, aux Jeux olympiques d’Helsinki). Alors que Pelé avait 12 ans, s’apprêtait à jouer pour la première fois au foot avec de vrais crampons du côté du club d’Ameriquinha et ne lancerait sa légende internationale en même temps que le Joga Bonito que cinq ans plus tard. C’est dire comme il est loin de nous. Et pourtant si près, grâce à Marcelo : quand vous faites réviser votre auto, dans ce petit coin du pays, vous n’êtes finalement qu’à quelques mètres d’un mythe.
«Vous voulez des photos de ma caverne d’Ali Baba?», lançait l’ingénieur industriel du Freeport de Niederanven en début de semaine, encore sous le coup de l’émotion, «puisque voir Pelé disparaître, c’est comme perdre un membre de la famille». Bien sûr qu’on voulait : cet homme avenant, à l’accent délicieux, achète depuis près de vingt ans absolument tout ce qui a trait à l’attaquant prodige !
« Un travail qui ne s’arrêtera jamais »
L’idole de son père – un commerçant qui s’est installé à São Paulo peu avant qu’O Rei ne se mette à terroriser les défenses du pays – est devenue la sienne. Le paternel lui a expliqué, souvent, que Pelé ne se comparait à personne d’autre, pas même à Maradona, puisque le natif de Três Corações, lui, savait tout faire («il a même été gardien de but pendant quatre matches pour dépanner et il n’a pas encaissé un but, vous le saviez?»).
L’histoire était là. Elle ne demandait qu’à ce que quelqu’un s’en empare. Et c’est arrivé après que le jeune Marcelo est tombé dans la cave familiale sur un vieux magazine de foot intitulé Placar, qui constituait une partie sentimentale majeure de l’héritage que son père comptait lui laisser. Entièrement consacré à Pelé bien sûr. Depuis, cartes, journaux, écharpes, fanions… tout y passe et, très récemment, cet accro s’est encore levé à 2 h du matin pour enchérir sur un programme de l’un des matches du Santos FC, finalement acquis pour 30 dollars.
Le voilà propriétaire de plus de 2 000 articles répartis sur deux continents, une partie de la collection trônant dans la maison familiale, à Osasco, petite bourgade de… plus de 700 000 habitants, dans la banlieue de São Paulo (mégapole de 12,5 millions de personnes). «Et je continue! C’est un travail qui ne s’arrêtera jamais, surtout que désormais tout le monde va vouloir acheter et vendre! Mais cela va faire augmenter les prix et c’est dommage, parce que, pour les gens comme moi, c’est sentimental. C’est comme avoir un morceau de l’histoire avec nous.»
Les bestioles, ça bouffe tout!
Sa pièce principale : une rareté, un maillot porté par le Roi en 1962 (même s’il en a un autre dédicacé par le joueur). Acheté 1 000 euros à un passionné de Belgique il y a près de dix ans, mais qu’on a essayé de lui arracher récemment pour 4 000, une somme qu’il juge dérisoire, «puisque, aujourd’hui, il doit facilement en valoir 10 000 et que je ne commencerais vraiment à réfléchir qu’à partir de 20 000. Non, en fait, ça n’a pas de prix. Surtout avec sa mort.»
Ces maillots ne sont pas chez lui. Il les conserve pieusement en sécurité au Freeport la plupart du temps. Ils sont sagement entreposés dans des sacs hermétiquement fermés, «comme ça, l’air n’entre pas et les bestioles non plus. Ça bouffe tout !» Lane (prononcez Lany), son épouse, a reçu des consignes pour que si jamais il devait arriver malheur à Marcelo, elle donne de préférence le tout à un musée «qui saura protéger la collection». Il a d’ailleurs déjà démarché la FIFA pour lui signifier qu’il était prêt à mettre certaines pièces à sa disposition au cas où Gianni Infantino et ses services souhaitent organiser une exposition. «Et ça pourrait bien se faire.»
Historien autodidacte
L’histoire serait déjà belle si elle s’arrêtait là. Mais Marcelo ne s’est pas contenté de collectionner. Il s’est aussi improvisé historien autodidacte. A fondé un collectif d’une vingtaine de «chercheurs» amateurs et professionnels, et lui-même écrit un bouquin sur le Santos FC des années Pelé. Longtemps, son (vrai) boulot l’a bien aidé pour collecter ses informations. Car débarqué au Luxembourg dans le but aussi de quitter un Brésil «dur, à la sécurité pas top, aux salaires peu élevés, bref une vie de sacrifices», Marcelo voulait voyager et a travaillé quatorze années durant pour Luxair.
Il en a profité pour visiter une cinquantaine de pays. En décidant d’emblée de s’imposer un petit rituel maniaque : «Partout, où que j’aille, j’allais visiter la bibliothèque de la ville pour trouver des traces du passage du Santos de Pelé, qui a vraiment été partout sur la planète. Je l’ai fait aux États-Unis, à Sydney, à Hong Kong, au Caire…»
C’est que, pour garder Pelé en Amérique du Sud plutôt que de le voir filer pour la riche Europe, Santos a très vite compris qu’il lui faudrait allonger la monnaie. Et environ deux mois par an, il envoyait son «cirque itinérant» en tournée, certains amicaux rapportant plus de 10 000 dollars, soit l’équivalent d’une quinzaine de matches au pays. Pelé conservant une grosse partie des gains. En sont sorties une foule d’anecdotes.
J’ai fait les bibliothèques de Sydney, de Hong Kong, du Caire…
Celle de l’équipementier brésilien Athleta, par exemple, soucieux d’organiser une forme d’espionnage industriel à l’échelle planétaire et qui a fait de Pelé une sorte d’agent secret : puisque tout le monde voulait échanger son maillot avec lui, il partait en tournée avec une quinzaine d’exemplaires quand ses coéquipiers n’en avaient que deux. Les maillots qu’il collectait en échange, O Rei les ramenait à Athleta, qui observait ce qui se faisait sur les autres continents afin de rester dans le coup et d’améliorer ses produits.
C’est de cette période qu’est né le seul grand regret de Marcelo, qui n’a jamais pu rencontrer Pelé en personne (mais qu’il a vu jouer une fois, en 1987, avec une équipe de vétérans) alors que son collectif de chercheurs avait plusieurs fois eu rendez-vous chez le Roi pour l’interroger. «Une rencontre sans cesse repoussée à cause de son état de santé. Quel dommage… on avait tous des choses à lui demander. Moi, j’aurais aimé connaître les détails de l’organisation de leurs voyages. Dans le but de faire un maximum d’argent possible, ils ont été souvent arnaqués, logeant dans de tout petits hôtels quand on leur promettait un cinq étoiles, voyageant en bus quand on leur avait promis un avion…»
Marcelo en a quand même tiré un livre, paru il y a six ans et intitulé Santos, le plus grand spectacle du monde. Vendu à plus de 2 000 exemplaires et qu’il espère voir relancé («ça peut réconforter les gens») avec la disparition de son plus illustre ambassadeur.
En attendant de savoir si son ouvrage devient un doudou pour fans inconsolables, sa cave pourra toujours devenir un lieu de pèlerinage. Ce fantôme-là risque de hanter encore longtemps la planète entière. Et Esch-sur-Alzette en particulier.
Fantastique 👏👏👏