Martin Forkel a transformé en quelques mois une équipe qu’on attendait en perdition cette saison en un groupe extrêmement solide. Le joli fruit d’expériences folles?
L’Iran est un pays de 90 millions d’habitants dans lequel «les femmes qui osent aller au stade peuvent finir en prison». Selon les statistiques balancées autour d’une bière à Martin Forkel par Winfried Schäfer, ancien coach de Karlsruhe et sélectionneur du Cameroun, la République islamique n’en compte pas moins 40 millions de supporters de Persepolis et 30 millions d’Esteghlal, le club qui a accueilli Forkel entre janvier et avril 2019.
C’est en devenant à Téhéran l’adjoint de ce vieux sage de 73 ans que Forkel a découvert sur le tard une façon de concevoir le football sacrément envahissante : «On a joué le derby au stade Azadi devant plus de 100 000 personnes. On l’a perdu 1-0 en ratant un penalty et nos fans étaient tellement furieux que nous avons dû attendre plus de deux heures après le match avant de pouvoir sortir du stade. Et sur le chemin de retour à l’hôtel, ils nous attendaient encore dehors pour nous crier dessus.»
Voilà à quoi a ressemblé la vie de Martin Forkel un an et demi avant son arrivée au Grand-Duché, à Berbourg, en novembre 2020. Et voilà à quoi il a vaguement dû penser après huit matches sans le moindre succès en début de saison, alors que les médias du pays «déclaraient tous sans exception qu’on était candidats numéro un à la relégation». Mais galérer sur les bords de la Sûre ne pouvait de toute façon pas être aussi compliqué qu’au pied des monts Elbourz.
«Le foot, c’est simple»
Le 9 octobre 2022, au sortir d’une débâcle 5-1 contre Pétange qui résumait à quatre défaites et quatre nuls sa prise de pouvoir du Victoria, le natif de Cobourg, en Bavière, se retrouvait au seuil d’une semaine décisive avant d’affronter Etzella. Et c’est à un autre moment bien plus lointain de sa carrière professionnelle (quand même 164 matches de 2e Bundesliga), datant de 2007, que Forkel a dû faire appel.
«Je me souviens d’Uwe Rapolder qui a repris l’équipe à Coblence alors qu’on risquait d’être relégué après une défaite à Unterhaching. Et dès le premier entraînement, avant qu’on joue Munich 1860 et alors qu’il n’avait que trois séances devant lui, il nous a parlé. Son concept, sa structure étaient clairs. Je pouvais sentir sur le terrain, littéralement, que tout était logique. C’était excitant. On n’a plus perdu de la saison.
Je me suis dit « wouah, on peut faire ça en trois sessions seulement? ». Là, j’ai compris que le foot, c’était simple. Mais que certains s’amusaient à le rendre compliqué.» Et le 16 octobre 2022, Rosport battait Etzella (3-1).
«Il est important de savoir comment ne PAS faire les choses»
Six mois plus tard, voilà Rosport plus très loin du maintien et en train de jouer pour une place en quart de finale de la Coupe. Au-delà des performances collectives, ce sont ses joueurs qui semblent s’éclater, offrant des manifestations individuelles (mais multiples) d’éclatement majeur sur la pelouse. Comme on n’en voyait plus depuis longtemps au Camping.
D’où cette question : c’est quoi, la méthode de cet homme qui finit actuellement son diplôme UEFA Pro en Lituanie, aux côtés de l’ancien DTN de la FLF, Reinhold Breu? «Des coaches, j’en ai connu beaucoup. Le truc, c’est de prendre le positif et le négatif. Il est important, aussi, de savoir comment il ne faut PAS faire les choses.»
Et sa façon, à lui, c’est de travailler l’humain. «Mes joueurs, je me dois de les écouter. Je dois comprendre leurs problèmes. Et le foot, ça doit être du plaisir. Sur le terrain, je leur demande de jouer avec des émotions. Mais de les contrôler.»
«En Iran, le bus s’arrêtait parce que des gens dansaient autour»
Ça, c’est pour la forme. Mais pour le fond, les expériences passées ont pesé de tout leur poids sur l’ancien joueur de Sarrebruck. Au Vietnam par exemple (déjà avec Schäfer) où il a été préparateur physique et adjoint pendant deux ans et demi : «Schäfer me laissait construire les séances. Fut un temps, c’était un control freak, totalement possédé sur son banc. Mais avec l’âge, il a appris à déléguer. Il arrivait les matins et me demandait juste « bon, qu’est-ce qu’on fait aujourd’hui? » et il validait, n’interrompant la séance que quand il voulait corriger quelque chose.
Par contre, en période de mousson, quand le terrain devenait impraticable en seulement 30 minutes, il fallait avoir des plans B et C pour organiser les séances. Ça aide parce que c’est valable aussi pendant les matches : toujours avoir des plans B et C. Là-bas, on a trouvé des garçons qui avaient tellement envie d’apprendre que pas un ne râlait si on faisait deux séances de plus de 1 h 30 par jour. Alors qu’en Allemagne, dès que ça dépasse 1 h 15, les joueurs râlent.» C’est ce qui, à son sens, rapproche un peu ses jeunes joueurs des jeunes Vietnamiens…
La curiosité en moins peut-être. Sur les bords de la Sûre, Martin évite ainsi de trop parler de sa carrière de joueur. «Ce n’est pas la même génération du tout, et je me rends compte qu’ils ne connaissent même pas les garçons avec lesquels j’ai pu jouer.» Dont l’ancien gardien de but de la Mannschaft Timo Hildebrand («Seul Niklas Bürger le connaît», rit-il), avec lequel il a participé en 1999 à la Coupe du monde U20 au Nigeria, une édition réunissant Ronaldinho (Brésil), Simão (Portugal), Forlan (Uruguay), Xavi et Casillas (Espagne)… Il y avait là des dizaines de milliers de fans dans les stades.
Une folie comparable à celle de Téhéran et Esteghlal, où «2 000 personnes nous attendaient dans les aéroports», où «le bus pouvait s’arrêter en plein milieu de la route parce que les gens dansaient autour» et où «on voyait carrément des supporters embrasser les joueurs».
C’est sûr, un jour, Forkel retournera au monde pro pour revivre ce genre de choses. Mais avant, il n’est pas exclu de le voir prolonger une saison à Rosport, pour faire encore mieux que cette belle saison 2022/2023.