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[Le portrait] Philippe Dillmann, loin de nos yeux, près de son cœur


Une cicatrice, ça n’empêche pas de regarder vers l’avenir.

L’ancien attaquant de Rumelange et de la Jeunesse, Philippe Dillmann, sort de trois ans passés à se reconstruire après une opération à cœur ouvert. Et il veut renouer avec le foot luxembourgeois.

C’était un mercredi soir ordinaire donc… extraordinaire. Il y avait une large cicatrice blafarde, mais un terrain. Il y avait une légère angoisse, mais un ballon de foot. Il y avait un petit froid mordant, mais les copains de la section vétérans du club d’Ottange. Philippe Dillmann vient d’intégrer l’équipe. Il honorait sa deuxième séance seulement, hier soir, avec des coéquipiers qui ont déjà passé un peu moins de temps à reluquer discrètement sa montre pour surveiller les pulsations cardiaques qu’elle indique avant de lui demander, alors même qu’elle ne révèle rien d’inquiétant, si «ça va?»

L’ancien avant-centre, 173 matches de BGL Ligue entre 1996 et 2006, avec Rumelange et la Jeunesse, est revenu la semaine dernière à «la vie normale» après trois ans en marge de son ancien monde. Alors mercredi, il a pris plaisir à rassurer tout ce qui, autour de lui, portait des crampons et un intérêt à sa santé : désormais, son opération à cœur ouvert, pratiquée le 16 avril 2021, est enfin loin derrière. Et plus rien ne l’empêche de regarder vers l’avenir.

Il ne pense d’ailleurs plus qu’à ça, à l’avenir, le 112e meilleur buteur de l’histoire de la DN (81 buts). Il n’a même que ça à faire depuis que son employeur, le groupe Atalian, leader mondial du «facility management» où il était directeur commercial, l’a «licencié» alors qu’il venait tout juste de revenir au travail. «Cela devait fatalement arriver. Je ne suis même pas surpris.» On le sentirait presque soulagé de repartir, à 53 ans, d’une page totalement vierge.

Il espère pouvoir y écrire plein d’histoires d’amour. En retrouvant une copine après avoir perdu, rigole-t-il, pas peu fier, 25 kilos lors de deux séjours de remise en forme à Marseille. En renouant aussi sa romance avec le football luxembourgeois, brutalement interrompue avec le covid alors que son expérience d’adjoint de Noël Tosi à la Frontière lui avait donné l’envie de s’inscrire pour passer les diplômes d’entraîneur.

Si j’étais allé au lit, je ne me serais jamais réveillé

Le covid, il allait s’en rendre compte un dimanche soir de clasico OM – PSG, allait vite devenir le cadet de ses soucis. Ce jour-là, il se sent bizarre, et pas seulement parce que contrairement à d’habitude, il ne parvient pas à s’enthousiasmer pour le match phare du foot français, qui le passionne d’habitude tant. Il le regarde cette fois sans aucun plaisir, absent, conscient que quelque chose cloche alors même qu’il n’éprouve pourtant aucune douleur. «Je suis dur, au niveau santé. Je ne me plains jamais. J’allais aller me coucher en me disant que ça passerait.» Heureusement, à l’époque, il est en couple. Madame décide à 22 h, avant même le coup de sifflet final, de conduire son mec aux urgences. Elle a bien fait : «Ils m’ont débouché une artère en urgence. Si j’étais allé au lit, je ne me serais jamais réveillé.»

Le lendemain, un chirurgien vient lui annoncer qu’il va devoir subir une opération à coeur ouvert, deux mois plus tard. Dillmann devra rester huit semaines sans rien faire à la maison, puis un chirurgien va lui ouvrir la cage thoracique, sortir pour une heure cet organe de malheur curieusement défectueux afin de le réparer alors que son propriétaire n’a «jamais fumé» et ne comprend donc pas.

Il va aussi se retrouver «avec des tuyaux partout» et embringué dans un parcours de soins impossible à effectuer à cause de la pandémie et des restrictions appliquées un peu partout. Et ce n’est presque pas la partie la plus déplaisante. «On est alors encore en pleine pandémie. J’ai attrapé un staphylocoque – qui va longtemps m’empêcher de cicatriser – en réanimation, puis… le covid. À certains moments, je n’arrivais plus à respirer. J’ai appelé ma copine et je lui ai dit « Je crois que cette fois c’est fini.« » Ce n’est pas fini. Et la semaine suivante, il est chez lui parce que c’est la seule option que le coronavirus lui laisse, alors qu’il n’a même pas «la force de soulever une fourchette».

Comme d’autres, passés avant lui par ce genre d’épreuve, il s’entend dire que son passé de joueur de haut (disons « bon« ?) niveau fait que son cœur ne souffre d’aucune séquelle. Là encore, il a de la chance : le foot n’aurait pas dû autant faire partie de sa vie. C’est qu’au sortir de l’armée, c’est un jeune prometteur formé à Thionville mais qui a échoué lors d’un essai à l’AS Nancy-Lorraine, qui décide que le ballon rond, ce n’est pas pour lui. Son bac pro maintenance en poche («Je sais réparer un four ou une machine à laver, disons»), il embauche à l’usine Scholtes et dans le club local de Manom, commune de 3 000 habitants. Bas, très bas. Pour s’amuser. Mais Villerupt l’a vu en championnat de France militaire et veut tenter le coup. Dillmann aussi.

Plusieurs fois par semaine, il fait les 60 km aller-retour avec sa vieille Peugeot 305 et tente de s’adapter. Dur quand on passe de la 2e série à la DH. Le déclic tombe lors d’un match de Coupe contre Longwy. Villerupt gagne 5-3, il colle un triplé et pas longtemps après, c’est le voisin rumelangeois du président Jeitz qui vient frapper à la porte. Nouveau choc thermique : la DN, c’est encore un autre monde. Il s’y adapte si bien qu’à 30 ans, ce sont le F91 et la Jeunesse qui s’arrachent ses services. Il choisit la Vieille Dame. «Moi qui n’ai jamais été un grand technicien, moi qui étais juste adroit devant le but, j’ai tout de suite su que je ne pourrais jamais aller plus haut. J’aurais eu beaucoup de mal, dans le foot moderne. C’était mon apothéose!»

Manom est alors très loin quand il pénètre sur la pelouse de Celtic Park, contre Glasgow, en Europa League. On est en août 2000 et il a encore des frissons quand il parle de cette atmosphère où les gens «se lèvent et applaudissent à chaque fois que je prenais un tacle», alors que le score est de 7-0 après le 0-4 de l’aller. «Très vite, tu te rends comptes que tu ne peux pas rester acteur. Qu’il faut que tu deviennes spectateur. Pour t’en souvenir.»

«You’ll never walk alone», c’est un peu ce que la grande famille du foot luxembourgeois lui a chanté ces derniers mois pour lui souhaiter du courage, de Manou Cardoni à Stefano Fanelli en passant par Jhemp Barboni. C’est un peu ces émotions-là, désormais, qu’il aimerait retrouver. Et si possible dans ce Grand-Duché qu’il a adopté, avec cette mentalité qu’il «adore». Il est en encore en pleine convalescence, il y a quelques mois, quand il se dit qu’il crèverait pour retrouver les terrains. Un vestiaire. «Ou que ce soit. En PH, en D1. Vous pouvez passer le message?» En attendant, les vétérans d’Ottange s’occupent de lui redonner goût au jeu : «Il y a des ailiers qui veulent prouver qu’ils sont encore rapides alors moi, je n’ai pas besoin de sortir de la surface.» Mais s’il pouvait quand même se rapprocher de nos yeux…