Cet infirmier, naturalisé depuis dix ans, a bâti son rêve à partir de rien : la première sélection nationale de beach-soccer du Grand-Duché.
Retaper la jolie petite maison avec jardin qu’il vient de se payer à Volstroff, au sud-est de Thionville, attendra jusqu’à la fin de l’été. On est le 15 juin et comme chaque année, pendant trois mois, Julien Steinmetz va être occupé à construire des châteaux de sable un peu partout sur la planète. Dans trois jours, il va d’ailleurs décoller pour l’Afrique, escorté de plusieurs compatriotes pour participer à son premier match de Golden League contre le pays hôte égyptien, le Brésil et l’Italie. Et cela, juste parce que lui, l’infirmier dans une structure pour personnes démentes du côté d’Ettelbruck, l’a décidé.
Être acteur de son rêve, devenir joueur de beach-soccer au Luxembourg «un peu comme les Rasta Rockett qui ont fait du bobsleigh en Jamaïque», voilà bien un chemin saugrenu qui s’est tracé lentement.
Il faut remonter quinze ans en arrière, du côté de Malte, pour en trouver la première balise. Ce joueur de foot à onze à Trémery, puis Hagondange, participe sur l’île posée au milieu de la Méditerranée, à une sorte de voyage scolaire avec des étudiants de plein de pays francophones. Un tournoi de «foot plage» s’organise. Révélation. Passage de l’herbe au sable. Et à plein de clubs un peu partout en France dont un qui lui offre un jour une confrontation amicale avec une référence de la discipline, Tahiti. «Et là, leur coach, vice-champion du monde, me dit un truc qui me marque et qu’il répète dans chacune de ses causeries« : « La réussite est à portée de tous, il suffit d’aller la chercher.« »
«Pour lancer les choses, il me fallait le passeport»
Pour Julien Steinmetz, il est temps d’aller chercher sa réussite. Ce sera du côté des archives départementales de Moselle, à Saint-Julien-lès-Metz, où l’on peut retracer des généalogies jusqu’au Moyen Âge : il y a bien longtemps, son arrière-arrière-grand-père, un gars de Remerschen, a franchi la frontière pour s’installer en France. Il lui faut absolument retrouver sa trace. Car une idée a germé chez ce garçon bilingue et qui n’a pas d’autre choix que de l’être, sans quoi il ne pourrait communiquer avec ses patients âgés : «Je voulais jouer des tournois FIFA. Pour ça, il était indispensable que je devienne luxembourgeois. Ce n’était pas la motivation première, mais quand même… Et pour lancer les choses, il me fallait le passeport.»
Le document frappé du lion est tombé en juin 2013. Pile 10 ans. Et pour fêter cet anniversaire autant que tout le long processus que Julien Steinmetz a mis en place depuis, seul ou quasiment seul, il va aller transpirer en Égypte, sous le regard des caméras qui permettront à sa petite fille de suivre ça à distance : «Elle va prendre conscience de tout ce que j’ai fait pour en arriver là et il est important qu’elle sache que ça compte, pour moi. J’aimerais que mes enfants soient fiers de ce que j’ai accompli.»
Du culot
Cela aussi, c’en est un, de sacré chemin. Steinmetz a son passeport. Bien. Mais il lui manque encore tout le reste, notamment le principal : des infrastructures, des compétitions, des sponsors (le plus fidèle reste d’ailleurs toujours l’entreprise familiale de mécanique générale et métallurgie de son père, qui œuvre sur les trois frontières) et surtout… une équipe ! «Je l’ai fait au culot. J’ai commencé à faire ma sélection et à décrocher mon téléphone en 2015 et à appeler principalement d’anciens joueurs des Roud Léiwen, comme Claudio Lombardelli ou Jo Kitenge qui était une référence à l’époque. Ils ont été surpris, mais ont assez vite adhéré. Je ne vais pas le cacher, il y avait un double intérêt à avoir un Kitenge : au-delà de ses qualités footballistiques – c’est une bête –, il a énormément de connexions et c’était important pour moi. Tous ces garçons nous ont fait de la promotion même s’ils n’en ont pas fait des tonnes parce que beaucoup étaient encore engagés avec des clubs et nous rejoignaient sur leur temps libre, j’avais besoin de pouvoir toucher le plus de monde possible.» C’est un tour de magie. Convaincre suffisamment de joueurs de foot de venir s’éclater sur des plages alors que les gazons les attendent quelques semaines plus tard pour la reprise, il faut en avoir du culot. Et être sérieusement convaincu par son produit.
Un peu comme les Rasta Rockett en Jamaïque
Mais après tout, comment pourrait ne pas l’être ce passionné? Recruté par Eindhoven (ce qui le force à enchaîner les allers-retours avec les Pays-Bas presque tous les week-ends de juillet et août), le milieu offensif-distributeur s’impose un sacerdoce qui dure depuis une décennie. Organiser le sportif, c’est-à-dire commencer dès octobre à sonder les joueurs (tous sous contrat dans des clubs affiliés FLF… une institution qui a par ailleurs refusé de s’associer au projet beach-soccer) sur leurs disponibilités six mois plus tard. Organiser les déplacements. Organiser les entraînements. Organiser des lieux d’accueil. Organiser les finances. Et optionnellement, prendre soin de son corps d’homme de 35 ans. À base de footing de 15 kilomètres par jour, de séances avec le FC Trémery mais aussi de séances en solitaire dès qu’il trouve du sable quelque part.
C’est notamment comme ça que le Luxembourg a fait demi-finaliste de la Coupe du monde 2018 en Thaïlande, au milieu de douze pays… invités certes, mais qu’il fallait se coltiner : France, Angleterre, Cameroun, Russie, Pays-Bas… «Avec des gens qui nous suivaient jusqu’à notre hôtel pour faire des selfies. Ici, on est des inconnus, mais là-bas, l’espace de quelques jours, on était des stars. Un rêve de gosse.» Ce rêve, il l’a construit comme un grand, mais se sent «toujours aussi seul» dans son rôle de marchand de sable. «Et je pense qu’à moins de trouver un passionné, je le serai toujours. Si je m’arrêtais, là, personne ne reprendrait derrière moi. Mais heureusement, j’ai encore de belles années devant moi.» La maison à Volstroff attendra bien encore un peu.