Ivan Centrone (28 ans) caresse toujours le rêve de rejoindre une équipe professionnelle de premier plan, même si le temps presse forcément.
C’est lui qui le dit avec le langage fleuri qui sied parfois aux cyclistes, généreux par nature de leurs efforts, prompts aussi à se livrer sans fard ni faux-semblant. «J’ai comme l’impression que depuis le début de ma carrière, je suis en course poursuite. En chasse-patate.»
Pour le titre, on retiendra donc la première expression. Le décor est planté. On part à la rencontre d’un homme sans cesse placé face à cet énorme défi de devoir rattraper le temps perdu. Et larguer, si possible, ses doutes. Évacuer des montagnes de frustration nées d’une succession ahurissante de contretemps, pour rester poli. De ses débuts à ses derniers coups de pédale, tout aurait pu être plus simple pour Ivan Centrone.
Mais c’est comme si le cadet de Vincenzo, professionnel en 2008 dans l’éphémère équipe Preti Mangimi montée par Alberto Elli, était abonné aux emmerdes en tout genre. Dans sa quête d’un contrat professionnel dans une formation de première ou deuxième division, l’intéressé, qui file quand même vers ses 29 ans, n’a pas dit son dernier mot.
Mais plus le temps passe, plus il fait son œuvre. «J’ai un plan B en tête si je ne trouve pas de solution», explique-t-il, comme s’il était résolu à mettre, s’il le faut, le clignotant. Pour de bon. Et entrer de plain-pied dans la vie active, aux côtés du grand frère, aujourd’hui placé à la tête de plusieurs restaurants au City Concorde de Bertrange.
Nous n’en sommes pas là. Pour l’heure, Ivan Centrone, qui sera fin mai au départ du Tour de Malopolska (en Pologne), affûté comme jamais, reste dans la peau de ce cycliste déterminé, prompt surtout à quitter la troisième division, ce peloton continental trop souvent fait de bric et de broc. Un passage obligé pour beaucoup.
Et s’il porte, comme deux autres de ses compatriotes, les couleurs de Global 6 United, équipe enregistrée au Luxembourg, ce n’est évidemment pas une fin en soi. Mais une béquille, une passerelle nécessaire qui l’aiderait enfin à voir un peu plus haut et toucher enfin son graal.
Car il suffit de l’inviter à dérouler le fil de sa carrière pour comprendre que tout n’a pas été simple ni linéaire pour cet enfant de Leudelange, couvé du regard par Angela et Vito, ses parents, qui ne ratent aucune de ses courses, par ses sœurs Mara et Liana et, bien sûr l’incontournable Vincenzo, toujours là, également, comme le reste d’une famille nombreuse et enthousiaste.
Après des débuts à sept ans dans le club de Schifflange, où il effectue ses premiers tours de roues sous la houlette de Raymond Berg et Romain Gastauer, il range du jour au lendemain son vélo au garage. Nous sommes en 2010. «J’étais dégoûté de ne pas avoir été retenu pour les Jeux de la Jeunesse», indique-t-il. La fâcherie dure trois ans et demi. Il découvre un autre pan de la vie, fait de sorties et de plaisirs. Prolixe, il sourit : «Une vraie vie d’adolescent.»
Ce gameur invétéré se met à se passionner pour le football. Le voilà fan de la Juve. Il se pique au jeu et signe une licence juniors à Strassen. «Je n’avais aucune base de foot et j’ai commencé à bosser. C’est là que j’ai retrouvé l’esprit de la compétition.»
À telle enseigne que ce numéro 10 gagne rapidement sa place de titulaire. Mieux, on lui propose une place en équipe une. «Le foot, j’ai adoré… Mais j’ai eu une sorte de flash. Je me suis dit que si je gagnais si rapidement ma place, alors il serait dommage de ne pas tenter de revenir dans le cyclisme, puisque c’était mon sport initial.»
On fait beaucoup d’investissement personnel et des efforts surhumains
Banco. Il revient début 2015 dans l’équipe continentale de Differdange, où il signe donc sa première licence professionnelle. «Gabriel Gatti m’a accueilli les bras ouverts alors que je sortais de nulle part, apprécie-t-il. Plus petit, je montais dans sa voiture pour suivre mon frère.»
Les débuts sont difficiles. «Pour ma première course, se souvient-il, la Rabobank Dorpenomloop Rucphen, une course néerlandaise classée 1.2, je me retrouve déjà hors course après 35 bornes. Mais j’ai continué à bosser. Mes sélections en équipe nationale espoirs avec Bernhard Baldinger, comme le succès de Tom Thill dans la première édition du Tour de Hongrie, m’ont fait progresser.» Fait et dit, l’année suivante, il termine 23e de son premier Tour de Luxembourg, puis 9e du Circuit de Wallonie ou encore deuxième du Tour de Moselle. Un peu plus que de simples promesses.
Surmotivé, il commet toutefois l’erreur de trop en faire l’hiver suivant. «J’avais pris beaucoup de muscle avec de l’entraînement spécifique», se souvient-il. Et si sa saison ne fut pas mauvaise en soi, il se présente diminué lorsqu’il intègre en tant que stagiaire l’équipe Vini Fantini pour un stage d’entraînement à Livigno. Il vivra sa non-sélection au Tour de l’Avenir comme un coup de grâce porté par l’ancien entraîneur national Christian Swietlik, «avec lequel la relation n’a jamais été bonne».
Il remet tous ses espoirs à l’année suivante. Mais une vilaine blessure au genou droit va gâcher sa saison 2018 jusqu’au Tour de Luxembourg, où il chute lourdement. Il finira avec le scaphoïde fissuré. Mais au lieu du repos préconisé par son médecin, il se remet prématurément à s’entraîner.
Une belle saison 2019 lui permet néanmoins d’intégrer en 2020 l’équipe continentale de Roubaix, où il découvre des épreuves comme le Tour du Haut-Var ou le Tour de Provence. Malheureusement, cette fois, c’est le Covid-19 qui le stoppe dans son élan. Cela ne l’empêche pas de réussir à la reprise une belle fin de saison (20e du Tour de Luxembourg, 12e de Paris-Camembert)
En 2021, les pépins redoublent après une chute survenue à l’Étoile de Bessèges : on décèle qu’il souffre d’une endofibrose de l’artère iliaque. Il sera opéré en novembre en Belgique (par le chirurgien qui avait opéré Bob Jungels du même mal) et rejoint l’équipe belge Geofco Doltcini-Materiel-Velo.com, où il restera deux saisons.
En 2023, il remporte au Tour de Guadeloupe son premier succès estampillé UCI. Une belle récompense pour faire admettre la dure réalité à ces coureurs des équipes continentales. «On fait beaucoup d’investissement personnel et des efforts surhumains.»
On pourrait ajouter à cette liste un calendrier pas forcément toujours cohérent, un matériel et un équipement aléatoires. Et dans son cas personnel, ces dernières saisons, pas de salaire. Comme tant d’autres en fait.
Ivan Centrone, qu’on a récemment vu dans la dernière Flèche du Sud se lancer en attaque sous les yeux de sa compagne, Coline, orthophoniste au CHEM, avec laquelle il vit à Cessange, sait donc ce que le mot résilience veut dire. Car ce coureur stylé et talentueux, un vrai acharné qui mérite de l’attention, veut encore y croire un peu. Il reste en course poursuite avec son propre destin…