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[Le portrait] Geoffrey Franzoni, le facteur et l’oursin


Capitaine foufou d’un FCD03 dont le sérieux va devenir légendaire, Geoffrey Franzoni arrive encore à nous faire rire, quinze ans après!

On ne peut pas faire comme si l’image de Geoffrey Franzoni, dixième joueur de champ le plus capé de l’histoire de la BGL Ligue, fort de cinq Coupes et deux titres de champion, n’était pas née, dès le début, de sa rencontre extrêmement intime avec… un oursin, sur une plage grecque.

On est en 2011, le FCD03 vient d’arriver à Volou pour un match d’Europa League et les joueurs se dégourdissent les jambes sur la plage. Franzoni, qui n’est pas encore le gars légèrement grisonnant flanqué d’un brassard qui le désigne comme le patron foufou de l’équipe la plus rigoureuse du XXIe siècle, court dans les vagues. Insouciance de la jeunesse, début de la légende.

Car l’attaquant, qui vient d’être reconverti latéral par le FCD03, marche sur une bestiole qui pique et doit être ramené dare-dare à l’hôtel pour se faire soigner, sous le regard courroucé de ses dirigeants, qui se demandent alors s’il pourra jouer (il pourra). Quand on n’a pas de bol, 30 ans et qu’on est sérieux, les circonstances atténuantes existent, mais quand on a 18 ans, qu’on transpire ce charmant petit grain de folie et qu’on le revendique, mais aussi que la poisse s’en mêle, c’est fatal et on développe ce qui s’appelle… une réputation.

«Je les avais cumulées sur ce déplacement, s’esclaffe « Geoff« . Je m’étais aussi cassé la main en tapant sur une porte. On va dire que c’était un excès d’engagement. Et après la sortie avec les joueurs, j’avais raté le taxi, j’avais dû rentrer à pied.» En Estonie, après s’être retrouvé perdu en marge d’un autre match continental, il se fera aussi mystérieusement courser dans les rues de Tallinn par un autochtone dont il ne sait toujours pas ce qu’il lui voulait. «Il faut croire qu’il n’y a qu’à moi que ça arrive… Heureusement, je me suis assagi.»

Peut-être, mais c’est trop tard. Franzoni, c’est un joyeux concept développé au contact d’un de ses coaches de vie favori, Philippe Lebresne. Et tout le monde au pays en connaît désormais les bases. Aujourd’hui encore, il le théorise comme ça : «Ça reste un plaisir de jouer, et moi, j’aime rigoler. Le foot moderne est trop sérieux.» Même le monde moderne l’est beaucoup trop, à ses yeux. Par exemple, après deux ans à faire ses tournées de facteur sur le secteur Cosne-et-Romain – Longwy-Haut, il a hérité d’une camionnette pour livrer des colis, ce qui n’a rien changé à cette tradition qui veut qu’en France, les personnes âgées apprécient un peu de compagnie et ont l’invitation facile quand il s’agit de boire un petit verre. «Oh, ça se fait de moins en moins, temporise Franzoni. Disons que la politique de la maison, c’est qu’on accepte les deux premiers verres et que pour le troisième, c’est à nous de voir. Mais bon, ça reste le travail, faut pas faire n’importe quoi!»

La politique de la maison, c’est qu’on accepte les deux premiers verres

Le travail, parlons-en. Mini-Franzoni, qui a grandi en Meuse avant de déménager à Réhon avec sa mère, a su très tôt que footballeur ne serait pas son métier. Après quelques mois à l’internat du FC Metz, il a rapidement découvert que sa famille lui manquait trop. Un demi-regret seulement car de sa génération, seul Kalidou Koulibaly (ex-Naples et Chelsea) percera. Les autres, Geoffrey les revoit de temps à autres et récemment, il a eu la surprise de s’entendre dire par l’un de ses anciens coéquipiers que, «comparé à ceux qui sont restés au centre du FC Metz, toi, tu as bien réussi!»

Et si Geoffrey Franzoni était la plus grande supercherie de l’histoire de la DN? Un gars qui fait semblant de passer depuis 15 ans pour un touriste attaqué sournoisement par l’océan une veille de Coupe d’Europe, mais est, finalement, l’une des plus grosses bêtes de compétition du siècle? Et si son sourire et ses yeux perpétuellement rigolards nous mentaient? Une semaine après qu’il a été le premier capitaine de l’après-covid à soulever deux trophées la même saison, voilà qu’on parle en effet d’un gars que tout le monde voudrait inviter à son barbecue dominical, un gars que tout le pays a vu débarquer au Thillenberg en provenance de Clemency, en Division 1 («C’est Maurice Spitoni, le seul homme qui va voir des matches que personne ne veut voir, qui m’y avait repéré»), en se demandant combien de temps il durerait, mais qui est toujours là, 15 ans plus tard, un statut d’icône sur le dos. «C’est vrai que je fais un peu dernier des rescapés. Chaque fin de saison, je prends un coup parce que je sais qu’à la reprise, certains de mes copains auront disparu. Quand j’en recroise, ils me demandent « mais comment tu fais pour être encore là?« » Un mystère insondable.

Même son jeune fils, Andrea, 7 ans, qui n’en finit désormais plus de l’accompagner sur les podiums pour soulever des coupes («Il est en extase quand il fait ça»), semble le traiter de mythomane quand papa lui raconte qu’il a déjà affronté le PSG au Parc des Princes. «Quand je lui dis ça, il ne me croit pas. Après, il me demande si Mbappé était là, sourit l’ailier droit. Alors, je lui réponds que non, que c’était il y a bien plus longtemps. Et je finis par lui montrer des images de mon penalty contre Utrecht (NDLR : 3-3 et qualification, en juillet 2013) en lui disant « regarde, c’est papa ». C’est quand même dommage, cette histoire de PSG : Zlatan Ibrahimovic est arrivé juste l’année d’après. D’ailleurs, j’ai appelé mon chien Ibra. C’est un staffie.» C’est tout Franzoni, cette réponse : «Je prends tout à la légère.»

C’est pour ça qu’on a l’impression de ne pas encore avoir épuisé totalement cette formidable histoire d’un homme qui lie quasiment toute sa vie à un club. Il avait pourtant failli filer à Pétange, après Clemency où il était couvé par son grand-frère, meneur de jeu, qui «prenait un rouge à chaque fois que je prenais un coup. Il me protégeait. J’avais 17 ans.» Le FCD03 et Fabrizio Bei avaient emporté le morceau en lui faisant miroiter l’Europe, ses gros matches, en omettant de parler de ses fruits de mer qui font mal… Tant mieux : Differdange y aurait perdu une forme d’incarnation de quinze années de succès, dont il est le seul visage restant sur le terrain.

C’en est même à se demander comment on peut voir passer autant d’entraîneurs et les séduire tous au point qu’ils font de vous une pièce indispensable de leur effectif, année après année. Sans clash. Sans mésentente. «Je ne râle jamais dans un vestiaire. Et je ne me suis jamais pris la tête avec un coach. Ah si, une fois peut-être, un peu, avec Paolo Amodio. C’était encore en Europe, à Mostar. La veille, à l’entraînement, je fais une passe en retrait de la tête dangereuse et il m’engueule. Je lui réponds « ça va, je ne vais pas faire ça en match! » Et le lendemain… on prend un but exactement comme ça, par ma faute. Manque de pot. Le coach avait raison, mais m’afficher devant tout le groupe à la mi-temps, ça fait encore plus mal…» Typiquement «Franzonienne», cette histoire. Comme ce jour où il lâche à Kilian Gulluni, qui lui pose une question tactique en plein match, «t’occupe pas de la marque de la bicyclette, pédale!» Une blague de facteur? «Ça veut dire « t’inquiète pas, je gère ».» Quelques secondes plus tard, sorti de son match, le latéral rate une passe en retrait et son FCD03 prend un but.

Ce n’est peut-être pas très rigoureux, mais c’est drôle, et dans cette équipe hyperréaliste de Differdange, ça fait du bien, un peu de lâcher-prise. Ça l’a humanisée, disons. Merci le facteur.