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[Le portrait] Fine Bop, la position du missionné


Bop, un sacré zèbre ! (photo Melanie Maps)

Le Sénégalais de 35 ans, buteur compulsif qu’on adorerait revoir enfin en DN, est d’ici fin-mai «en mission» montée avec Bissen… avant de filer à la Mecque pour un pèlerinage qu’il a manqué de peu à son époque à Muhlenbach.

Il y a cinq ans, Fine Bop a failli faire le pèlerinage de La Mecque en partant depuis… Muhlenbach. À l’époque, le club vient de monter à la surprise générale en DN et un dirigeant, musulman, laisse l’option aux joueurs : soit la prime de fin de saison, soit le «Hadj» tous frais payés, qu’il organise assez régulièrement vers l’Arabie saoudite. Il y a quand même 5 000 euros dans la balance.

Et l’attaquant sénégalais, qui a grandement contribué à offrir la BGL Ligue (18 buts), a choisi. Entre son rôle de soutien de famille ou s’adosser pour quelques jours à l’un des cinq grands piliers de l’islam, il décide de faire le voyage pour voir la Kaaba, un lieu bien plus essentiel à ses yeux que toutes les surfaces de réparation du pays réunies, même si les hanter depuis dix ans lui permet de faire vivre plein de monde au pays.

Et puis Muhlenbach décide de fusionner avec Hamm et le voyage n’a finalement pas lieu. On annule le Airbnb à Masjid al-Haram et l’on repart sur une saison…

En attendant de remplir cette «mission sacrée» (il s’est promis de le faire cette année, ce pélerinage), Fine Bop en a une autre : aider Bissen. Qui ne demande au Sénégalais que de faire ce qu’il a toujours fait, c’est-à-dire «monter» le club. Pour lui, rien de plus normal.

Ça lui est arrivé avec le RFCU en 2015, ça lui est arrivé avec Muhlenbach en 2019, ça lui est arrivé avec Bissen déjà (entre la D1 et la Promotion) en 2024. Bop n’a finalement échoué qu’une fois, avec Canach.

En 2023, il n’est qu’à quelques secondes de faire la bascule, lors d’un match de barrage finalement perdu en prolongation contre le Fola, qui égalise sur la toute dernière action du temps réglementaire.

103 matches de championnat, 125 buts et 24 passes

Sans cet accroc-là, son CV ressemblerait encore plus à ce qu’il est déjà, celui d’un joueur qui marque toujours au moins un but par match en moyenne et qui n’aurait jamais dû quitter la BGL Ligue, plutôt que de passer son temps à escorter vers les sommets, façon sherpa, des équipes qui auraient sûrement du mal à y arriver sans lui.

Depuis cinq ans (et coïncidence troublante, qu’il a été privé de pèlerinage), il est pourtant tenu à l’écart de ce genre d’accomplissement que constitue une montée en DN. Mais ses statistiques sont restées sidérantes : 103 matches de championnat, 125 buts et 24 passes. Maintenant, on aimerait tous voir comment le pistolero de Thiès existerait face au Progrès et au Swift, à Differdange ou au Progrès.

Chaque mois, je dois nourrir maman

Elle n’est pas banale cette histoire d’un gars qui aura fait une décennie en vivant du football d’en bas, ne signant que des contrats pros partout où il est passé, c’est-à-dire beaucoup en PH.

Sa carrière se sera écoulée dans l’ombre (alors qu’elle n’aurait dû être baignée que de lumière), à refuser beaucoup d’offres de l’étranger ou de DN, à sacrifier une certaine réussite sportive à sa condition de grand-frère.

«Chaque mois, je dois nourrir maman (qui durant sa jeunesse, lui avait collé une énorme gifle en découvrant que Fine séchait des journées entières d’école pour aller s’entraîner au football dans l’académie de football située juste derrière la maison du quartier Lamy, puis passait prendre une douche chez un ami avant de rentrer), des cousins, ma femme, mes enfants… restés au Sénégal. C’est comme ça que ça fonctionne chez nous et c’est une fierté. Quand c’est plus difficile, il me suffit de me rappeler que je suis venu ici, au Luxembourg, pour maintenir ma famille debout. On n’est pas des gens riches, mais on a notre dignité.»

Ils m’écoutaient essayer de parler luxembourgeois et se foutaient de moi

De la dignité et de la suite dans les idées. Quand il signe à Canach, Fine Bop impose en effet une clause au contrat, bénéficier de cours de langue luxembourgeoise. C’est Sandra, une «fille très gentille, installée à Mamer», qui s’y colle. Parfois simplement au téléphone.

Et Fine Bop, depuis son salon, souvent entouré de sa famille de substitution, des amis sénégalais trouvés sur la capitale et qui n’en finissent pas de traîner chez lui, se fait chambrer : «Ils m’écoutaient essayer de parler luxembourgeois et se foutaient de moi. Ils me disaient : « Mais arrête ça ! On est ici depuis bien plus longtemps que toi et on ne parle pas un mot ! » Mais moi, j’étais déterminé!» Il échoue à son premier test de langue. Il réussit le deuxième.

«Et maintenant, j’ai le passeport !» Le sésame pour faire venir sa petite famille au Grand-Duché et ne plus avoir à subir les larmes de sa petite fille, 3 ans, qui n’aime pas quand papa repart au travail, après les vacances d’été.

Un papa qui a des principes éducatifs : «Je suis heureux qu’ils viennent bientôt, mais aussi qu’ils aient reçu une première éducation au Sénégal. Ils ont appris le Coran, à respecter les aînés ! Ici, les enfants ont beaucoup de droits et de pouvoirs. Je préférais que les miens apprennent que la vie n’est pas toujours rose.»

Je dis que j’ai mal mais je sais bien que le coach m’a capté

Pour patienter toutes ces années, Bop s’est appliqué à reconstruire ce qui lui manquait le plus de son Afrique : la famille. Chez Vincent Thalamot, le directeur sportif qui était allé le chercher à Metz, où les choses traînaient trop, et qui l’a hébergé à son arrivée. «Son épouse, Samya, est comme une mère pour moi. Et Vincent comme un père. Si cela n’avait pas été pour lui, je ne serais pas forcément allé à Bissen, où j’ai découvert des gens extraordinaires. Comme Madame Anita, qui s’occupe de la buvette et ressemble tant à ma grand-mère. Elle a le même visage !»

Bop s’est trouvé aussi plein de «petits frères» sur les terrains. D’ailleurs, André Mendy, nouvel attaquant du FCD03, vient «du quartier» et Fine a déjà été mandaté pour «s’en occuper un peu». Famille, entraide, solidarité. Surtout en hiver.

Au cours de l’un de ses derniers appels vidéo quotidiens en direction de Thiès, Fine Bop a en effet éclaté de rire, en voyant sa mère enveloppée dans le sweat-shirt de Bissen qui lui avait été offert par ses dirigeants à sa signature et qu’il a refilé à maman.

Ce n’est pas la vision, qui l’a fait marrer, mais plutôt la réponse de sa mère à la question de savoir pourquoi elle le portait : «Parce qu’il fait froid.» Renseignement pris, ce jour-là, dans cette région située au beau milieu de la bande côtière du Sénégal, il faisait… 19 °. Bop a répondu à maman qu’elle ne savait pas ce que c’est que le froid.

Lui qui avoue essayer de se planquer à la salle de kiné («Je dis que j’ai un peu mal, mais je sais bien que le coach m’a capté») ou au fitness plutôt que sur le terrain dès que le thermomètre descend un peu trop, dans le nord du pays, nous a inévitablement renvoyé à une interview donnée il y a dix ans, à son arrivée au RFCU.

Il y disait ceci, à propos de son arrivée dans la capitale : «Je n’avais jamais eu aussi froid de ma vie. Chez nous, en dessous de 15 °,on met des doudounes! À l’aéroport, j’ai dit à mon agent qu’ici, j’allais mourir. Je ne sentais plus mes pieds.»

Une décennie plus loin, Bop n’a jamais été aussi vivant et il le clame haut et fort, en cette fin de trêve hivernale, «les buts, ce sont mes vitamines». Ils risquent d’en manger, des prunes, les clubs de PH, ces prochaines semaines…

En Bref

Né le 12 octobre 1989 à Thiès, Fine Bop, de son nom complet El Hadji Fine Bop depuis que son oncle a fait le pèlerinage à La Mecque, a commencé sa carrière à Ngor avant de passer en D1 sénégalaise, à Diambars, où il a été élu meilleur buteur du pays avec… 12 réalisations.

Père de deux enfants, il était arrivé en janvier 2015 au Grand-Duché et plus précisément au Racing, après l’échec de négociations qui n’ont jamais vraiment débuté avec le FC Metz.

Dans la foulée, il a joué à Sandweiler, Mühlenbach, Canach et enfin Bissen, avec lequel il aspire désormais à rejoindre la BGL Ligue.