Décédé à l’âge de 90 ans en 2021, le photographe luxembourgeois touche-à-tout reçoit cet été les honneurs des prestigieuses Rencontres d’Arles. Une réhabilitation, après un long oubli, qui fait sens.
Dans sa vaste entreprise de déstabilisation, la crise sanitaire aura mis (et met toujours) une pagaille sans nom dans les programmes culturels. Lët’z Arles, qui soutient et promeut la photographie du Luxembourg, en a eu la douloureuse expérience, elle qui avait tout mis en place pour fêter Romain Urhausen aux Rencontres d’Arles en 2021.
Décalée à cette année (confinement oblige), l’exposition prendra finalement la forme d’un hommage, puisque l’artiste s’est éteint en juillet dernier, à 90 ans, laissant les organisateurs à leurs souvenirs d’une fraîche collaboration.
C’est ce qu’il est ressorti de la présentation de ladite rétrospective, qui prendra ses quartiers au cœur du prestigieux festival en juillet prochain, et se propose de replacer Romain Urhausen «en son temps», soit à son apogée entre les années 1950 et 1970.
«Il est important de lui rendre sa place dans le paysage artistique au Luxembourg et plus loin», lâche ainsi la ministre de la Culture, Sam Tanson, dans la foulée de Paul Lesch, directeur chagrin du CNA qui avait déjà célébré le photographe dans une monographie en 2016 : «Je n’oublierai jamais mes rencontres avec lui», dit-il.
Romain Urhausen très bien entouré…
Le commissaire Paul di Felice, encore plus proche de l’artiste touche-à-tout (avec qui il préparait ce rendez-vous depuis 2019), va lui aussi de sa révérence : «C’était quelqu’un que j’admirais énormément.» Comme l’écrivait Lët’z Arles, les honneurs n’en seront que plus «vibrants» cet été, même s’il serait dommage de s’arrêter au simple stade de l’émotion, surtout à la vue des œuvres réunies à cette occasion.
Et histoire que la réhabilitation ne soit aucunement remise en question, à Arles, les 100 clichés de Romain Urhausen seront mêlés à une quarantaine d’autres de ses contemporains, et non des moindres : Lucien Clergue, Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson et Otto Steinert.
Cerise sur le gâteau, l’espace Van Gogh, mieux à même à accueillir ce bel assemblage que la chapelle de la Charité (ancrage habituel du Luxembourg aux Rencontres d’Arles), partagera ses espaces avec une autre star de la photographie : Lee Miller (lire ci-contre).
«On attend beaucoup de cette exposition», note Christoph Wiesner, directeur du festival, qui a lui aussi rencontré l’artiste fin 2020. Après tant d’éloges et de flatteuses comparaisons, il est bon de se demander comment un tel artiste a disparu des radars aussi longtemps, au sein de son propre (petit) pays.
En équilibre entre Paris et l’Allemagne
Le même qui, durant une double décennie, aura exposé au MoMA de New York («Postwar European Photography», 1953), fait un livre-photo avec Jacques Prévert (Les Halles, 1963) et, côté local, reçu une importante commande de l’ARBED (1965). Concrètement, en image, Romain Urhausen est un équilibriste, sur un fil tendu entre Paris et l’Allemagne, ses attaches géographiques de cœur et de style. La première l’a en effet ouvert à la photo humaniste; la seconde à celle subjective – «une façon différente de regarder le monde», explique doctement Paul di Felice.
L’artiste ne choisit pas entre les deux écoles, mais s’en inspire simultanément, sautant de l’une à l’autre comme le racontent ses œuvres en noir et blanc, mélange de «polyvalence, de curiosité et d’humour», poursuit le commissaire (assisté ici dans sa tâche par Krystyna Dul).
Que montrent-elles? Un quotidien saisi à flanc de trottoirs, la vie dans toute son énergie (la jeunesse, les fêtes…), le travail, le paysage industriel, et d’autres inclinaisons, comme le nu ou encore l’autoportrait, tous abordés à travers une approche plasticienne et expérimentale.
Des timbres, un livre et des accrochages
Il va même s’amuser carrément du médium, en jouant sur les contrastes, les cadrages, sur les nouvelles utilisations du papier photosensible et des procédés d’alors, comme la superposition, la solarisation…
Autant d’arguments qui définit Romain Urhausen tel qu’il était : un inventif, curieux de tout, qui plus tard, l’a amené à multiplier les casquettes : architecte, graphiste, sculpteur, créateur de bijoux et designer (la MNHA a d’ailleurs récemment acquis sa Chaise à bascule datant du début des années 70).
De peur, probablement, que la mémoire collective ne défaille à nouveau, Lët’z Arles compte redonner ses lettres de noblesse à l’artiste une bonne fois pour toutes, et ce, à travers plusieurs initiatives qui vont précéder, accompagner ou faire écho à sa présence aux Rencontres de la photographie : un accrochage au parc de Merl, des timbres «collector» sortis par Post, un livre édité chez delpire & co et des grands formats à la gare de Luxembourg.
Pour finir, même, une exposition prévue pour 2023 en partenariat avec ArcelorMittal, 20 ans après celle mise en place par l’ARBED, toujours à la Schlassgoart (Esch-sur-Alzette). De mémoire, «la plus belle» qu’ait connue Romain Urhausen, conclut Paul di Felice.
«Romain Urhausen, en son temps»
Espace Van Gogh – Arles.
Du 4 juillet au 25 septembre.
Les photographes femmes, stars des Rencontres d’Arles
Opprimées, libérées, témoins d’une époque : les femmes seront à l’affiche de la 53e édition des Rencontres photo d’Arles, festival de renommée mondiale, derrière l’objectif et plus seulement devant, à l’instar de Lee Miller, muse de Man Ray mais aussi photographe de guerre.
«On a voulu rendre visibles celles qui sont longtemps restées invisibles», souligne Christoph Wiesner, le directeur du festival. Exposition phare de cette édition, encore inédite en France, «Une avant-garde féministe des années 1970» sera présentée tout l’été à l’atelier de la Mécanique, ancien site des ateliers ferroviaires transformé en centre culturel.
Des artistes femmes pour lesquelles la photographie a été «l’un des moyens d’émancipation pour se révolter contre le « culte du génie masculin »» (selon la formule attribuée à Lucy Lippard, historienne de l’art américaine), développe Christoph Wiesner. Dans la continuité de cette exposition, l’église Sainte-Anne présentera l’œuvre de la photographe française Babette Mangolte et ses clichés de danse dans le New York des années 1970, plaçant le spectateur au cœur de la performance.
Lee Miller, portraitiste et photographe de guerre
Le mouvement des corps toujours, mais vieillissants cette fois, est aussi exploré par l’Américaine Susan Meiselas et sa «cartographie du corps» immersive et acoustique. Elle aussi témoin du temps qui passe, Léa Habourdin plongera les visiteurs au cœur des forêts primaires, dont elle a développé des clichés sur des tirages ne résistant pas à la lumière du jour, et qui vont donc muer entre le début et la fin de l’été, le temps de leur exposition.
Les Rencontres ont souhaité cette année «retravailler le personnage» de Lee Miller, mannequin souvent réduite à sa collaboration avec l’artiste Man Ray, qui fut aussi, pourtant, une portraitiste de talent et une photographe de guerre accompagnant l’armée américaine en Europe à la Libération. Quarante expositions seront présentées à Arles jusqu’à fin septembre.