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Le patronat réinvente le dialogue social


 Michel Reckinger (à d.) et Marc Wagener veulent moderniser le droit du travail, et surtout se passer des syndicats. (Photo : hervé montaigu)

Négocier directement avec les délégués du personnel pour conclure des conventions, c’est le désir de l’UEL, soutenu par le gouvernement. Des accords d’entreprise, sans les syndicats.

Il est certain que le Premier ministre, Luc Frieden, a apporté au patronat un grand soutien. L’UEL ne pouvait espérer mieux que d’entendre l’ancien président de la Chambre de commerce déclarer «qu’une révision du droit du travail est en cours», pour apporter «des ajustements ciblés, en phase avec notre époque».

Hier, Michel Reckinger, le président de l’Union des entreprises luxembourgeoises, et Marc Wagener, son directeur, ont indiqué la voie à prendre vers «un dialogue social restructuré au service d’une modernisation du droit du travail». Une initiative qui permettrait aux entreprises de mieux s’organiser. Le patronat propose «un dialogue social démocratique avec des interlocuteurs représentatifs et au plus proche du terrain», exactement comme le souhaite le ministre du Travail. Son intention avait d’ailleurs entraîné la colère des syndicats, qui manifesteront le 28 juin, accusant le gouvernement de saboter le modèle social.

L’UEL soutient que son modèle assure des solutions «gagnant-gagnant». Son objectif est de dialoguer en priorité avec la délégation du personnel, qu’il qualifie de «partenaire privilégié au niveau de l’entreprise». Dans ses intentions, l’UEL vise aussi à adapter le code du travail aux réalités économiques et sociales actuelles en entreprise, exactement comme le préconisait Luc Frieden dans son discours sur l’état de la Nation. Pour ne pas irriter davantage les syndicats, le patronat assure que les conventions collectives du travail (CCT) «demeureront un instrument important dans la boîte à outils à déployer dans le cadre de cette modernisation».

Cela étant dit, les entreprises répètent que le droit du travail les étouffe et ne répond plus à «la complexité des situations qui se présentent dans le cadre de leur activité». Sur les 36 700 entreprises actives fin 2022, plus de 90 % sont trop petites pour disposer d’une délégation du personnel et 76 % comptent moins de cinq salariés. Le dialogue social se déroulerait directement entre l’employeur et ses salariés dans plus de 32 000 entreprises, selon les chiffres livrés par l’UEL. Environ 3 500 entreprises disposant de plus de 15 salariés comptent une délégation du personnel, mais les deux tiers ne sont pas affiliées à un syndicat. Mieux vaut dialoguer avec les délégués, que le patronat estime plus proches des préoccupations quotidiennes des entreprises et des autres collaborateurs.

L’UEL propose ainsi «une nouvelle architecture du dialogue social». Le niveau conventionnel comprendra toujours les conventions collectives et les accords en matière de dialogue social interprofessionnel négociés avec les syndicats. S’y ajouteraient des accords d’entreprise négociés avec les délégations du personnel présentes en entreprise ou, à défaut de délégation, avec le personnel.

Ce nouveau cadre légal, imaginé par le patronat, prévoit des dispositions dites «supplétives», applicables en cas d’échec d’un accord. Celles-ci doivent également être revues pour être adaptées aux réalités d’aujourd’hui, en particulier en ce qui concerne l’organisation du travail et du temps de travail, qui sont des piliers pour structurer les activités des entreprises et des salariés.

Un désastre pour les syndicats

Les syndicats vont certainement bondir, d’autant qu’ils ignorent encore la substance qui leur restera pour négocier des conventions collectives. «Un dialogue social démocratique avec des interlocuteurs représentatifs et au plus proche du terrain est également un élément clé pour un droit du travail moderne», martèle le patronat.

Le Premier ministre ne disait pas l’inverse : «Les accords conclus au niveau de chaque entreprise se verront attribuer un rôle accru. Ils permettront de régler des aspects spécifiques à la réalité de chaque entreprise et aux besoins de ses salariés. Ces changements ne visent pas à renforcer une partie ou à affaiblir l’autre. L’objectif est d’agir dans l’intérêt de la société dans son ensemble, en conformité avec une politique moderne.»

En désaccord profond avec ce point de vue du gouvernement, l‘OGBL et le LCGB se sont alliés pour faire front. Ils ont un objectif clair : empêcher par tous les moyens nécessaires que les acquis sociaux, «pour lesquels les syndicats ont lutté et œuvré pendant plus d’un siècle, soient anéantis par une politique gouvernementale qui s’annonce désastreuse sur le plan social». Les organisations syndicales ne vont pas aimer cette nouvelle architecture du dialogue social que propose le patronat, au centre du conflit qui les oppose depuis le mois d’octobre dernier.

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