Travail, regroupement familial, lutte contre la discrimination… le Luxembourg a encore des marges de manœuvre législatives pour que les migrants soient bien insérés.
Terre d’immigration s’il en est, le Luxembourg favorise-t-il vraiment l’intégration des migrants? Pour répondre à cette question, il existe un indice des politiques d’intégration des migrants, le Mipex, qui classe 56 pays en fonction de la qualité de leurs lois sur l’intégration. Cet outil existe depuis 2007 et ne s’intéresse pas aux discours politiques ni aux statistiques de terrain, mais uniquement aux textes législatifs. Car «vous ne pouvez pas avoir de bons résultats d’intégration sans de bonnes politiques d’intégration», a expliqué Basak Yavcan, responsable de recherche au Migration Policy Group, mardi.
Venue de Bruxelles avec sa collègue Marianna Gorgerino, elle a passé la journée à Luxembourg pour présenter les derniers résultats de cet outil aux politiques, accompagnée de Sérgio Ferreira, porte-parole de l’ASTI, et de Serge Kollwelter, country expert. Avec cet index, «nous mesurons la législation, pas les acteurs», a-t-elle rappelé, en indiquant le score 2024 du Grand-Duché : 61 sur 100, un point de moins qu’il y a cinq ans.
Selon ce résultat, l’approche du Luxembourg en matière d’intégration est «légèrement favorable», mais précisent les experts, malgré des progrès notables, le pays n’a accompli «que la moitié du chemin pour garantir l’égalité des chances et la sécurité à long terme tant pour les citoyens étrangers que luxembourgeois». Certains domaines, sur les huit passés au crible, restent problématiques.
Premier coup dur : la participation politique des étrangers, et ce, malgré des efforts pour leur faciliter le droit de voter et d’être éligible aux élections locales en supprimant les conditions de période de résidence ou en finançant des associations de migrants. Mais le remplacement en 2023 du Conseil national pour les étrangers par un organe, le Conseil supérieur, sans obligation de présence de migrants en son sein, a fait baisser la note. «On pourrait très bien imaginer un Conseil des étrangers sans étrangers», ont ironisé les experts. Résultat : le Luxembourg recule dans un domaine pourtant essentiel pour la cohésion sociale.
«Des années peuvent être perdues»
Autre frein : le regroupement familial. La législation, qui n’a pas évolué sur ce point ces dernières années, exige entre autres un logement «adéquat» pour accueillir la famille du migrant. Dans un contexte de crise du logement, cette condition devient souvent insurmontable. «Des années peuvent être perdues à chercher un toit assez grand, ce qui retarde la scolarisation des enfants et complique leur intégration», a souligné Serge Kollwelter. D’autant que, sur le terrain, d’une manière générale, Sérgio Ferreira constate «une application plus stricte de la loi actuellement».
Dans le domaine de la santé, un projet pilote d’accès universel a permis de remonter le score. Même constat pour le travail, où le pays a progressé grâce à une nouvelle loi en 2023 facilitant l’emploi aux familles de ressortissants de pays tiers.
Mais ces avancées ponctuelles ne masquent pas des lacunes structurelles comme les retards sur la reconnaissance des diplômes ou l’impossibilité d’accéder aux emplois publics, freinant la mobilité des migrants sur le marché du travail. «Reconnaître plus vite les qualifications permettrait de transformer des arrivants en acteurs économiques à part entière», a insisté Sérgio Ferreira.
Quant à la lutte contre la discrimination, le Luxembourg a encore du chemin à parcourir : le Centre pour l’égalité de traitement (CET) n’a pas le pouvoir d’accompagner juridiquement les victimes, contrairement à son équivalent belge. «Donnez plus de compétences au CET et vous obtenez un score à 100», affirme dans un rire Basak Yavcan.
Enfin, tous s’accordent à dire qu’une politique d’intégration ne se résume pas à «organiser une fête interculturelle», mais doit couvrir toute la chaîne : logement, emploi, santé, accès aux droits. «Plus le statut des migrants est stable, plus ils s’engagent», résume Sérgio Ferreira.
Le Luxembourg, 6e en Europe : peut mieux faire
Dans le classement Mipex 2024, le Luxembourg se hisse à la 6ᵉ place parmi les 27 pays européens évalués, avec ses avancées dans l’éducation et l’accès aux soins de santé. Devant lui : la Suède (1re du classement), la Finlande, le Portugal, la Belgique et l’Espagne, qui affichent des politiques jugées plus inclusives, notamment sur l’accès à la nationalité et à la participation politique. Il est à égalité avec l’Allemagne, qui excelle sur la mobilité sur le marché du travail grâce à une reconnaissance rapide des diplômes et un accès facilité à la formation. Le Grand-Duché fait toutefois mieux que la France (10e), qui peine sur l’éducation et la participation politique des migrants malgré un bon accès aux droits sociaux. Mais il fait moins bien que la Belgique (4e), où la lutte contre la discrimination est renforcée par un organisme puissant, l’UNIA, capable d’accompagner les victimes en justice, contrairement au CET luxembourgeois.