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Le Luxembourg et Frontex : une journaliste privée d’informations


Charlotte Wirth aux côtés de Misch Pautsch, le président de l’Association luxembourgeoise des journalistes professionnels (ALJP). (Photo : julien garroy)

Le ministère des Affaires intérieures refuse de fournir des documents sur l’implication du Grand-Duché dans la mission de sécurisation des frontières extérieures de l’UE. La justice est saisie.

Le Luxembourg est-il impliqué dans des renvois illégaux de migrants («pushbacks») en Méditerranée? C’est la question que pose la journaliste indépendante Charlotte Wirth, qui travaille notamment pour le site d’information en ligne Reporter.lu. Alors que notre consœur a eu accès à des informations venant de Frontex, l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, le gouvernement luxembourgeois refuse, lui, de fournir les documents sollicités afin d’éclaircir l’implication du Grand-Duché dans la sécurisation des frontières extérieures de l’UE et plus particulièrement dans la surveillance de migrants tentant de traverser la Méditerranée.

L’enquête de Charlotte Wirth repose notamment sur un document confidentiel de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) qui accuse l’ancienne direction de Frontex d’avoir eu connaissance de renvois illégaux, parfois brutaux, de migrants en Grèce. Dans un long article publié mardi sur Reporter.lu, la journaliste avance que la contribution du Luxembourg dans les activités de Frontex est – contrairement à ce qui est affirmé par le gouvernement – bien «plus importante et problématique». Le Luxembourg aurait ainsi «participé à des opérations visant à empêcher les migrants de quitter le territoire ou à les renvoyer dans leur pays d’origine sans procédure d’asile».

Plus concrètement, l’hélicoptère de surveillance aérienne que le Luxembourg met depuis 2017 à la disposition de Frontex pourrait avoir contribué à des refoulements illégaux de migrants. «Dans trois cas, deux en juillet 2022, un en novembre 2022, des personnes ont tenté de se rendre en Europe via la route de la Méditerranée à bord d’un kayak et d’un canot pneumatique. Mais les garde-frontières ont empêché le passage et les réfugiés potentiels ont été ramenés sur les côtes tunisiennes. Ce refoulement, que les experts jugent illégal, aurait pu être réalisé grâce à un aéronef luxembourgeois», écrit Charlotte Wirth.

Le gouvernement contre-attaque

Le ministère des Affaires intérieures récuse ces reproches en soulignant que «l’hélicoptère n’est pas impliqué dans des incidents qui auraient entraîné des violations des droits fondamentaux des migrants à bord des bateaux repérés par l’hélicoptère». De plus, ce même hélicoptère «n’a pas pour mission de patrouiller sur les côtes tunisiennes ni de communiquer avec les garde-côtes tunisiens». Sa mission serait de contribuer «activement au sauvetage de migrants en situation de détresse en Méditerranée» (lire également ci-contre).

Cette prise de position a été publiée hier, dans la foulée d’une conférence de presse organisée par l’Association luxembourgeoise des journalistes professionnels (ALJP) en présence de Charlotte Wirth. Il a été précisé à cette occasion que la Commission d’accès aux documents de l’État a validé à deux reprises la demande de la journaliste visant à pouvoir consulter les contrats et autres conventions renseignant sur l’implication du gouvernement dans les missions de Frontex. Le ministère a cependant refusé l’accès à ces documents qualifiés de «sensibles». Une publication entraverait le secret commercial de Luxembourg Air Ambulance (LAA), exploitant de l’hélicoptère, et menacerait aussi la «sécurité nationale».

Charlotte Wirth estime que ce refus entrave le travail journalistique. Pleinement soutenue par l’ALJP, la journaliste vient d’introduire un recours contre la décision du ministère devant le Tribunal administratif. Il s’agirait du dernier moyen au vu des lacunes de la législation sur le droit d’accès à l’information. Cette affaire judiciaire intervient à un moment où le gouvernement s’apprête justement à améliorer les droits de la presse en la matière.

«Des centaines de vies sauvées»

Le ministère tient à souligner qu’entre 2017 et 2023, l’hélicoptère luxembourgeois a participé à 49 missions de sauvetage dans le cadre des missions de Frontex. Depuis le début de cette année, 59 migrants ont été sauvés au large des côtes italiennes près de Lampedusa et, dans huit cas, un appui au repérage de bateaux de migrants en détresse a été assuré. «L’hélicoptère a ainsi contribué à sauver des centaines de vies», conclut le communiqué.

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