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Le Grand-Duché menacé par un manque de pluralisme dans les médias


Le Luxembourg obtient un score global de 46 %, ce qui le place sur la liste des pays avec un risque «moyen» de manque de pluralisme. (Photo : LQ)

Dans une étude diligentée par le Parlement européen, le Centre for Media Pluralism and Media Freedom (CMPF) a pointé du doigt des lacunes en matière de pluralisme et d’inclusion sociale dans la sphère médiatique luxembourgeoise. Une vingtaine de points ont été analysés, plaçant le Luxembourg en 12e position, sur 32 pays évalués.

Sous l’égide du Parlement européen, le Centre for Media Pluralism and Media Freedom (CMPF) a mis au point un outil de recherche pour identifier les risques pesant sur le pluralisme médiatique dans les États membres de l’Union européenne, ainsi qu’une poignée de pays candidats, tels que la Turquie.

Les protections fondamentales, le pluralisme du marché, l’indépendance politique et l’inclusion sociale ont donc fait l’objet d’une analyse à l’aide d’entretiens et de données collectées sur le terrain. Au sein de ces grandes catégories, une vingtaine de points ont fait l’objet d’une évaluation poussée, afin de déterminer un niveau de risque : «faible», «moyen» ou «élevé».

Des réserves sur l’inclusion sociale et la pluralité du marché

Les Dr Raphaël Kies, Alina Ostling et Mohamed Hamdi, issus de l’université du Luxembourg, se sont chargés de ce travail dans l’objectif d’attribuer une note au Grand-Duché. Au regard des remarques qui lui ont été conférées dans chacune des catégories, le Luxembourg obtient un score global de 46 % et se classe ainsi en 12e position, sur 32 pays évalués.

Si le rapport encense les dispositions prises en matière de protection de la liberté d’expression et du droit d’information, il se montre plus craintif quant à l’inclusion sociale et la pluralité du marché.

Des lois fondamentales protégées

Avec une population de 634 000 habitants et environ 200 000 travailleurs qui traversent quotidiennement la frontière, le Luxembourg est particulièrement fragmenté sur le plan linguistique et culturel. Le secteur médiatique comprenant cinq quotidiens, cinq chaînes de télévision et plusieurs médias en ligne, l’offre est riche par rapport à la taille du pays et le nombre d’habitants.

«Ce paysage médiatique luxembourgeois reste stable et les lois fondamentales sont présentes et protégées. La liberté d’expression est explicitement reconnue dans la Constitution et protégée par la législation nationale. Les journalistes sont protégés par le droit du travail et par les organisations professionnelles, souligne le rapport, en prenant toutefois la mesure de certaines problématiques. L’accès des journalistes aux documents officiels continue de susciter des inquiétudes et la crise du covid a entraîné plusieurs atteintes à la liberté d’expression. De plus, les journalistes avaient au début de l’année un accès restreint aux conférences de presse gouvernementales, puisque le gouvernement ne diffusait pas les questions du journaliste.»

Accès simplifié à des informations d’envergure

Depuis, ces contraintes ont quasiment disparu. L’accès aux informations liées à la pandémie et la diffusion de l’intégralité des conférences de presse sur la chaîne YouTube du gouvernement ont permis un accès simplifié à des informations d’envergure.

Le CMPF note également que la plupart des médias se sont émancipés de l’influence partisane, et ce, malgré l’existence de liens étroits avec les partis politiques et le nouveau régime d’aides publiques, adopté en juillet 2021. Ce dernier permet d’ailleurs à plusieurs médias en ligne et communautaires d’être pris en compte par les pouvoirs publics.

La pluralité du marché et l’inclusion sociale dans le viseur

Toutefois, des efforts sont encore à fournir sur le front de la transparence et de la concentration des médias : «Le Luxembourg continue d’avoir un paysage médiatique très concentré et une structure de propriété, qui n’est pas totalement transparente et accessible. Il n’existe aucune disposition légale visant à limiter la concentration horizontale ou croisée des médias d’information», rapporte le CMPF.

Il est vrai que le groupe RTL occupe une place prépondérante dans le secteur audiovisuel, tandis que les groupes Mediahuis et Editpress dominent la presse écrite, avec des titres comme le Tageblatt ou Le Quotidien. À ce jour, aucune loi nationale ne permet de réguler et contrôler la concentration horizontale ou verticale de diffusion de l’information. Un fait rare pour un État membre de l’Union européenne.

De plus, le CMPF rappelle que «les médias imprimés ne sont tenus de divulguer l’identité que des propriétaires détenant 25 % ou plus des actions» et que «les informations sur l’actionnariat ne doivent être publiées qu’une fois par an». En cas de violation de la transparence, aucune sanction n’est prévue.

La place des femmes

L’inclusion sociale au sein des médias luxembourgeois a également fait l’objet d’une évaluation, qui s’est avérée peu flatteuse. De nombreux risques ont été signalés, à l’instar de l’accès aux médias pour les personnes handicapées, jugées «insuffisant» dans la plupart des rédactions.

De même que la place des femmes dans les hiérarchies : «Le Luxembourg est particulièrement faible en ce qui concerne la présence des femmes aux postes clés, exprime laconiquement le rapport, avant de détailler : «Les femmes sont moins souvent invitées par les médias à commenter les évènements politiques et autres questions importantes que les hommes.»

Enfin, dans les dernières lignes du rapport, la problématique de la désinformation a également été exhumée, dans un contexte postpandémie Covid-19. Malgré les initiatives qui visent à endiguer le phénomène, comme la création de pôles de vérification des informations et d’éducation aux médias, il n’existe aucun cadre juridique ou politique visant à lutter efficacement contre les fake news.

Comment sauver le pluralisme et l’inclusion dans les médias?

En préambule du rapport, le CMPF a présenté une série de préconisations visant à combler les carences soulevées plus haut. Parmi elles, la nécessité d’améliorer «la transparence de la propriété des médias en les centralisant dans un format facilement accessible». Ainsi, les données sur l’audience et la publicité devraient, toujours selon le centre, faire l’objet d’une publication par les médias hors ligne et en ligne.

Pour en améliorer la portée, ces mesures devraient être accompagnées par une offre alternative dédiée aux minorités linguistiques, dans la radio du service public et RTL notamment. Enfin, en matière d’inclusion sociale, le CMPF conseille aux rédactions de «favoriser l’accès des femmes tant au sein du conseil d’administration que pour les postes clefs». Une politique d’accessibilité en direction des handicapés devrait également voir le jour.

L’ensemble de ces décisions permettrait une meilleure représentation des différents points de vue dans le champ médiatique.