Des compositions réalisées seule dans sa chambre aux grandes plateformes comme YouTube et Spotify, il n’y a qu’un pas que Ninon, 23 ans, a franchi avec un programme concocté par le Rocklab. Au bout, une chanson et un clip de qualité professionnelle, censés lancer une carrière.
Dans la carrière d’un(e) jeune artiste, certaines dates comptent. Il y a celle, bien sûr, de la première scène, mais chez Ninon, deux autres ont leur importance : ce jour de juillet 2023 où le Rocklab lui annonce qu’elle a remporté le Screaming Fields Song Contest et cette matinée du 4 octobre 2024 où elle partage les résultats d’une année de travail, en studio et en collectif, concrétisés par une chanson, Come Pick Me Up, et son clip.
«C’est mon premier vrai morceau !», lâche-t-elle, même si la jeune compositrice-interprète, 23 ans, en a déjà sorti cinq autres depuis janvier, sans compter ceux, nombreux, qui se dévoilent et se répandent sur internet depuis ses débuts en 2021. «Je fais tout le temps de la musique, et dès que j’ai fini un titre, je le sors. Je déteste les garder pour moi !», se justifie-t-elle. Même si, là, elle a «dû faire un effort» et peaufiner son projet, le seul finalement qui ne répond pas à son implacable rythmique : écriture en journée et mise en ligne le soir.
C’est le sujet et la substance même de ces dispositifs de soutien et d’accompagnement dits «d’accélération», qui permettent, comme on le définit à Belval, de «supporter la nouvelle vague d’artistes» du Luxembourg dans ses envies, légitimes, d’émancipation. Parmi ces programmes d’aide à la création (qui se multiplient au pays et touchent toutes les disciplines artistiques), ceux proposés par le Screaming Fields sont à double entrée.
Il y a d’abord le festival en début d’été qui, outre les concerts promis par les partenaires de l’événement à leurs coups de cœur respectifs, offre au grand gagnant une année de formation (Live Music Accelerator) pour parfaire sa performance scénique, comme ce fut le cas en 2023 avec Culture the Kid, et comme ce le sera pour Blue-ish, dernière lauréate en date. Il y a ensuite, en parallèle, un concours qui se tourne vers les compositeurs-producteurs, du moins ceux pour qui la scène n’est pas si essentielle. Depuis 2017 et sur cinq éditions, il a ainsi primé Maz, ÆM, Francis of Delirium, Emily Grogan, et donc Ninon. La sixième est en cours (lire l’encadré).
Michael Jackson dans la peau
La jeune musicienne de Bertrange qui, jusque-là, n’avait jamais enregistré en studio, mais seulement dans sa chambre sur une installation faite maison, remonte le fil de l’histoire : «Je suis du genre casanière, à faire tout toute seule», mais là, elle se lance, «consciente» de la nécessité, pour progresser, de sortir de sa bulle et de «travailler avec des gens». Elle se plie donc au jeu, à savoir composer une chanson selon une thématique imposée – pour elle et la vingtaine d’autres candidats retenus cette année-là, ce sera «Tomorrow Starts Today» («demain commence aujourd’hui»).
Du piano installé devant son lit jailliront alors les notes, gagnantes, de Come Pick Me Up, ballade honnête, pleine d’amour et de tristesse, à laquelle il ne manque finalement qu’un «bon son de guitare», qu’elle se sent incapable de produire seule. Oui, le DIY («Do It Yourself») a ses limites, qu’elle va cependant pouvoir combler au Rocklab durant douze mois.
Concrètement, la proposition est simple : sur place, elle choisit son producteur et son partenaire artistique pour la réalisation du clip et se mêle à la fourmilière locale, jamais avare en conseils. Pour le chant, elle s’appuiera sur les recommandations de Grégory Vajs. Idem pour l’écriture et la structure musicale, avec Jana Bahrich (Francis of Delirium) et Lata Gouveia à ses côtés.
Superviseur en chef depuis le studio, Sacha Hanlet (Falcon, Mutiny on the Bounty) veille, lui, à ne pas «dénaturer» la chanson d’origine, toujours à l’écoute des envies de l’artiste, essentielles. Il précise : «Il y a deux choses importantes : ce qu’elle ou il veut et ce que la chanson exige.» Entre les deux, il défend une démarche «naturelle», sans quoi tout risquerait d’être biaisé. Car «la plupart du temps, c’est la musique qui dirige, indique-t-il. Parfois, ça marche même sans rien dire. Mais c’est vrai, avoir les mêmes goûts, ça aide !» Avec Ninon, il se trouve une passion commune pour Michael Jackson. Ils ont même chacun un tatouage de leur idole. «On était tout de suite sur la même longueur d’onde», avoue-t-elle.
Va-et-vient en campagne
Tous les week-ends, elle quitte alors, «impatiente», son quotidien à Bruxelles (elle y étudie le cinéma) pour gagner les quartiers du Rocklab et les ateliers qui l’attendent (mentoring, masterclass...). «Le train, c’est toujours un peu long, mais j’adore revenir chez moi», confie-t-elle. Surtout pour voir, au fil des sessions, Come Pick Me Up prendre de la carrure, trouver un équilibre entre refrain et couplets et sonner comme jamais grâce à la qualité de la production.
Sans oublier sa voix, qu’elle a su dompter. «C’était le challenge : gérer mon vibrato. Chaque fois que je finis une phrase, ça tremble. J’en ai seulement eu conscience quand je suis entrée en studio et qu’on m’a demandé si j’étais nerveuse!» (Elle rit.) «Appliquée sur chaque phrase, à la moindre prononciation», elle passe le cap, bien qu’elle n’en ait pas fini avec les découvertes qu’impose la méthode.
En effet, il y a le tournage du clip qui se prépare, confié aux soins de Two Steps Twice, partenaire dans la gestion de projets musicaux et visuels, habitué à l’exercice. Avec Rari Matei à la réalisation, on part, en images, à bord d’une vieille Nissan Cherry des années 1980. À son bord, Ninon et un beau garçon tatoué et à moustache, Sam Tordy, pour une promenade passionnelle dans la campagne luxembourgeoise.
Liza Kuzmicheva, de l’équipe, se souvient : «Avec Ninon, notre première rencontre remonte à février-mars. On a tout de suite su quoi faire par rapport à la chanson, aux paroles.» Le script final en poche, les voilà partis pour deux jours de tournage à parcourir de petites routes sinueuses. «Des tonnes d’allers-retours, encore et encore», souffle-t-elle, jusqu’à s’en faire expulser un dimanche à minuit par quelqu’un d’apparemment excédé par ces va-et-vient incessants.
Labellisée Two Steps Twice
Pas de quoi gâter l’expérience de la musicienne, qui savoure le résultat final. Déjà parce qu’elle appréhendait le regard cru de la caméra, elle qui n’est pas «comédienne». Ensuite parce qu’elle ne connaissait pas son partenaire, qu’elle avait juste «croisé» mais qui s’est avéré quelqu’un de «confiance», avec qui elle a su calmer sa «peur» et se «détendre». Enfin, parce qu’au départ, Come Pick Me Up était une chanson mélancolique, composée «dans un moment vulnérable», et qu’aujourd’hui, à l’écran, elle paraît «beaucoup plus joyeuse», «détachée» du coup de blues original. Pour tout ça, Ninon n’en retient que du «positif». «C’était fun ! J’adore la vidéo et tous les gens que j’ai rencontrés.» Au point que Two Steps Twice est aujourd’hui son label, sur qui repose donc une partie de ses progrès à venir.
Car si le Rocklab et ses partenaires (ministère de la Culture, Film Fund, Sacem Luxembourg, Eldoradio) apprécient le dénouement et la visibilité de leur patronage commun sur Spotify et YouTube, pour l’artiste, il est bien question de commencement. Tout est encore à l’état de bourgeon malgré cette «évolution» sensible et rapide, dit Ninon, qui sait que certaines choses sont acquises, mais que d’autres sont à conquérir. «Je ne suis plus seule et, autour de moi, je peux compter sur d’excellentes personnes.»
Pour le reste, elle mise sur sa chanson (qui sera «poussée» par son équipe) pour lui ouvrir certaines perspectives, dégager des aides financières et se faire une place en pleine lumière, au pays et au-delà. À défaut, elle pourra toujours regagner sa chambre et créer à sa manière, sans appui ni filet. Dans un sourire qui en dit long, elle sait qu’elle y reviendra. À l’instar d’un de ses modèles, Billie Eilish, certains réflexes ne s’effacent pas si facilement.
Le Rocklab attend la nouvelle mouture
En même temps que la dernière gagnante, Ninon, dévoilait son clip et ce qu’il est advenu de sa chanson, Come Pick Me Up, le Rocklab avait déjà la tête en 2025 et lançait le sixième appel à candidatures du Screaming Fields Song Contest. Depuis vendredi dernier, donc, et jusqu’au 11 décembre, les auteurs-compositeurs-interprètes-producteurs âgés de 12 à 25 ans (mais aussi les groupes) peuvent lui soumettre leurs démos et leurs idées de chansons sur un thème qui, cette année, est «Can we start over?» (Peut-on recommencer à zéro?»). Inscriptions : www.screamingfields.lu