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Le gouvernement sous la pression d’Omnibus


De g. à d. : Jean-Louis Zeien, Noémie Sadler, Charles Muller, Nora Back, Gérard Zoller, Jana Degrott, et Charel Schmit ont lancé ce matin la campagne. (photo Didier Sylvestre)

L’Initiative pour un devoir de vigilance lance une campagne pour faire sortir le gouvernement de son silence sur «le paquet Omnibus».

Le temps presse. Après la Commission européenne, c’est désormais au tour du Conseil et du Parlement européen de se pencher sur le paquet législatif «Omnibus». Objectif affiché : simplifier certaines normes européennes. Si les trois institutions parviennent à un accord, les nouvelles mesures seront adoptées et viendront modifier des textes votés en 2014 seulement – comme la CSDDD sur la publication des informations des entreprises en matière de durabilité, leur devoir de vigilance et le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Motif de la manœuvre : stimuler la compétitivité économique de l’UE et réduire les coûts administratifs, dixit la Commission.

Si les modifications de ces directives et ces règlements sont du goût de nombre de politiques et d’entrepreneurs, elles sont loin de faire l’unanimité. Même les experts de l’Organisation des Nations unies n’ont pas hésité à les qualifier de «pas en arrière».

Au Luxembourg, le gouvernement reste silencieux. Une absence de position qui n’a pas échappé à l’Initiative pour un devoir de vigilance (IDV), un collectif regroupant une quinzaine d’organisations de la société civile. Résultat : une campagne de sensibilisation, intitulée «Luxembourg, gardons le cap !» a donc été lancée ce mardi.

Sur de grandes affiches noires et rouges, huit personnalités issues de la société civile, du monde politique et du secteur privé appellent le gouvernement à s’opposer «à toute tentative de déréglementation». Parmi elles, Jean Asselborn, Charel Schmit, l’Ombudsman fir Kanner, ou encore Noémie Sadler, la présidente de la CCDH, prêtent leur visage à cette campagne, en plus de poursuivre des entretiens à tous niveaux.

«On va droit dans le mur»

Ce matin, assis entre Nora Back et Jana Degrott, Gérard Zoller, chef d’entreprise, détonne un peu dans ce casting. «Je vais probablement être critiqué pour m’être trouvé ici», glisse-t-il dans un sourire. Mais il assume. Si le paquet «Omnibus» était rejeté, comme il l’appelle de ses vœux, il affirme que «toutes les entreprises sont plus prêtes qu’on ne le pense (NDLR : au Luxembourg, 76 seraient concernées)». Et de questionner : «Peut-on être pour la traite humaine ? Pour la pollution ?». Il voit plutôt dans ces directives, l’opportunité d’attirer des sociétés «avec un label de qualité qui dirait « si vous achetez en Europe, vous achetez propre »».

Jean-Louis Zeien, coordinateur de l’IDV, enfonce le clou : «C’est maintenant le mois décisif où le Luxembourg doit aussi prendre position.» Tous les membres du gouvernement «qui ont pris la parole sur ce sujet, simplifient d’une certaine manière le débat, en disant qu’il s’agit d’une simplification», ironise-t-il. «Or nous avons démontré qu’il est question d’une dérégulation», poursuit-il.

Le 9 avril, l’IDV, la CCDH et l’Ombudsman fir Kanner ont rencontré les ministres de la Justice et de l’Économie. «Nous leur avons dit clairement où le bât blesse», relate Jean-Louis Zeien. Le collectif craint que l’approbation du paquet «Omnibus» profite aux multinationales au détriment des populations vulnérables. «Leur réponse ? « Nous sommes pour la simplification, mais pas pour une dérégulation ». D’ailleurs, je n’entends jamais personne dire être pour la dérégulation, à part quelques extrémistes», s’amuse-t-il.

Mais que redoute précisément l’IDV si ce paquet était approuvé ? «Bon nombre de mesures proposées ne vont pas dans la direction d’une harmonisation ni d’une simplification», reprend Jean-Louis Zeien. «Elles risquent surtout de créer des difficultés supplémentaires pour les victimes dans leur accès à la justice, une insécurité juridique pour les entreprises… mais aussi au niveau des plans de transition climatique.» Et de conclure, lapidaire : «D’ailleurs, si jamais on fait ça, on va droit dans le mur, car on va propager le greenwashing au lieu d’avoir les plans de transition climatique ambitieux.»

Trois questions à Jana Degrott

Pour la juriste et entrepreneuse, «la proposition Omnibus constitue un recul alarmant qui menace de vider la directive CSDDD de sa substance et de compromettre la protection des droits humains».

Pourquoi vous êtes-vous engagée personnellement dans cette initiative ?
Jana Degrott : D’abord parce que je suis très investie dans les droits des femmes et des jeunes. Et puis, je suis moitié africaine, donc mon background me rend sensible à ces sujets. Mais au-delà de ça, je me sens représentative d’une nouvelle génération qui est là vraiment pour challenge the statu quo.
Vous n’êtes pas là non plus au nom du DP ?
J’ai pris la parole en mon nom propre, en tant que femme engagée et dirigeante d’entreprise.
Il faut un équilibre entre attractivité économique et respect des droits ?
Il ne s’agit pas de choisir entre être attractif et respecter les droits humains. On peut faire les deux. Trop de règlements ? Les entreprises partent. Pas assez ? On trahit nos valeurs. Il faut trouver la juste mesure et qu’on les aide à appliquer les mesures qui sont dans les directives. C’est bien beau d’avoir de grands principes, mais si on laisse les chefs d’entreprise seuls avec leur salade administrative… ben ça ne marche pas.